Au coeur d’une nou­velle sai­son de qua­li­té, l’Opéra de Toulon a eu la bonne idée de pré­sen­ter « La fille du régi­ment » de Gaetano Donizetti. A prio­ri une heu­reuse ini­tia­tive, pour de mul­tiples raisons.

D’abord La fille du régi­ment consti­tue cer­tai­ne­ment l’oeuvre la plus fran­çaise du com­po­si­teur ita­lien Donizetti (1797−1848). En 1840 Donizetti s’est fixé en France, et c’est en langue fran­çaise, ce n’est pas cou­rant, qu’il écrit cet opus, l’un des soixante-douze d’une car­rière brillante et pro­li­fique. C’est le 11 février de cette même année qu’il la pré­sente, pour la pre­mière fois, à l’Opéra comique de Paris. Donizetti se situe alors au som­met de sa renom­mée, ce qui agace nombre de musi­ciens fran­çais à l’é­poque, dont notam­ment Hector Berlioz lui-même.

Ensuite il s’a­git effec­ti­ve­ment d’un opé­ra comique, au dénoue­ment heu­reux à défaut de paraître cré­dible. Un diver­tis­se­ment, tant au niveau de l’ar­gu­ment que de la com­po­si­tion musi­cale. Une oeuvre gaie, avec des moments certes empreints d’é­mo­tion, mais tout sauf un drame. La gra­vi­té, si on la cher­chait, serait plu­tôt à trou­ver du côté des sen­ti­ments réci­proques entre Marie (la fille du régi­ment) et Tonio, ou dans les accents patrio­tiques fran­çais mar­qués lors de pas­sages récur­rents et appuyés du livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François-Alfred Bayard.

Côté exé­cu­tion nous avons assis­té à une pres­ta­tion de nou­veau excel­lente du choeur et de l’or­chestre de Toulon, ce der­nier sous la direc­tion ferme, enle­vée et en même temps souple de Roberto Rizzi Brignoli. Avec une dis­tri­bu­tion sans élé­ment faible dans la chaîne, de Tonio (Frédéric Antoun) et Marie (Daniela Fally) au Sergent Sulpice (Frédéric Concalves) et à la mar­quise de Berkenfield (Anne-Marguerite Werster), en incluant les seconds rôles (la duchesse de Crakentorp, Hortensius et autres).

Tous les ingré­dients pour une soi­rée par­faite, idéale pour se détendre en har­mo­nie, en ces moments de ten­sion poli­tique et sociale, dans un cli­mat pré-élec­to­ral pesant. Alors d’où vient cette impres­sion miti­gée, ce sen­ti­ment de fête un peu gâchée ?

Tout sim­ple­ment de la mise en scène, des cos­tumes et des décors. Qui ne sont ni à la hau­teur des acteurs et de l’or­chestre, ni en per­ti­nence avec l’es­prit de l’oeuvre. La mise en scène de Vincent Vittoz affiche un par­ti-pris qui ne cor­res­pond pas à la culture de la fin de la pre­mière moi­tié du XIXème siècle. Elle se veut, et hélas réus­sit, à être ana­chro­nique, tra­his­sant ain­si l’en­vi­ron­ne­ment his­to­rique mais aus­si la cré­di­bi­li­té des per­son­nages et de leurs sen­ti­ments. Les décors d’Amélie Kiritzé-Topor et sur­tout les cos­tumes et maquillages de Dominique Burté accen­tuent ce malaise. Y avait-il vrai­ment besoin de faire des­cendre un para­chu­tiste au second acte ? Ou de mettre une Fiat 500 sur scène au premier ?

A quoi rime la trans­po­si­tion de l’ac­tion au second acte dans une archi­tec­ture et un mobi­lier des années 1920 ? Surtout pour­quoi tra­ves­tir jus­qu’au ridi­cule les mili­taires fran­çais qui occupent pour­tant une place de choix dans l’é­cri­ture de la fille du régi­ment ? La réponse à toutes ces ques­tions relève mal­heu­reu­se­ment de cette mode, que l’on espé­rait révo­lue, consis­tant sous pré­texte de le « revi­si­ter » à déna­tu­rer le réper­toire clas­sique, façon MJC de ban­lieue ou de pro­vince des années 60 et 70. Passéiste, ridi­cule et affli­geant avec le recul des yeux d’aujourd’hui.

Dommage, le tra­vail des musi­ciens et des chan­teurs méri­tait mieux. Donizetti aussi.

Marc FRANCOIS, Toulon, 3 mars 2017