L’Hebdo Varois 18–2016

Personne ne croit Boudjellal

Le pré­sident du RCT a tout dit, sou­vent n’importe quoi. Puis fait le contraire par­fois. Ces der­niers temps il insiste trop sur sa las­si­tude et sur son éven­tuel départ.

Mourad Boudjellal, pré­sident du RCT (Rugby Club de Toulon) est un homme fan­tasque. Ses tirades sont rare­ment empreintes de mesure. À croire qu’il soigne volon­tai­re­ment son image d’éternel râleur, ver­sion déjan­tée. Depuis qu’il pos­sède, grâce au club de rug­by de la ville, une visi­bi­li­té média­tique natio­nale, on ne compte plus ses sor­ties intem­pes­tives. Il ne limite pas ses décla­ra­tions fra­cas­santes au domaine de la balle ovale. Monde de l’ovalie qu’il connaît d’ailleurs de fraîche date, depuis qu’il a rache­té le RCT il y a une dizaine d’années. Il s’est aus­si lan­cé à plu­sieurs reprises dans des pro­pos péremp­toires sur le ter­rain poli­tique, avec moins de bon­heur que dans le rugby.

Un président las

Ce n’est pas la pre­mière fois que les bords de la rade bruissent de la rumeur d’un départ de Boudjellal en fin de sai­son. En cause la fatigue accu­mu­lée, le stress des com­pé­ti­tions, la répé­ti­tion des dépla­ce­ments, la baisse iné­luc­table de l’attrait pour la nou­veau­té que repré­sen­tait au départ pour lui le busi­ness du rug­by. Vraisemblablement aus­si le flair de l’homme d’affaires avi­sé. Mourad Boudjellal sait mieux que qui­conque qu’il sera dif­fi­cile de beau­coup plus valo­ri­ser qu’il ne l’est aujourd’hui l’investissement qu’il a naguère consenti.

C’est logique, il sera très dur de faire mieux en trois sai­sons consé­cu­tives que trois titres de cham­pion d’Europe et un titre de cham­pion de France. Davantage que le club, plus que cen­te­naire, n’en avait gla­né depuis ses ori­gines. Même la der­nière sai­son 2015–16, avec la double éli­mi­na­tion par le Racing en quart de finale de l’Europe et en finale du Brennus, si elle reste blanche de titres, n’est pas pour autant hon­teuse ni catas­tro­phique. À part le Racing Métro 92 (ex Racing Club de France), on ima­gine que tous les autres clubs fran­çais s’en seraient contentés.

Prêche-t-il le faux ?

En tout état de cause, si l’homme éprouve peut-être de temps à autre des états d’âme, il paraît assez roué pour que le busi­ness­man – qu’il demeure fon­da­men­ta­le­ment – n’en subisse pas les incon­vé­nients. Or ce ne serait pas vrai­ment valo­ri­ser le fond de com­merce que de lais­ser entre­voir en début de sai­son, 8 mois de com­pé­ti­tions res­tant à cou­rir, qu’il met la socié­té sur le mar­ché. Au moment où Toulon n’est pas, fait rare depuis plu­sieurs années, dans le haut du clas­se­ment du Top 14. Quand bien même deux vic­toires de suite sur Clermont-Ferrand et Montpellier viennent de redres­ser la barre.

Véritable coup de pompe, aggra­vé par des résul­tats qui se font attendre ? « Je ne suis pas loin d’arriver au bout d’un truc », a‑t-il glis­sé. Certes, mais de là à lâcher toutes ses parts et renon­cer à toute influence dans le rug­by à Toulon, ce serait le grand écart. Même si on croit savoir que des inves­tis­seurs se bous­cu­le­raient au por­tillon pour lui pro­po­ser envi­ron dix fois sa mise ini­tiale. Dix ans plus tard, ce serait une belle preuve, et une récom­pense écla­tante, du tra­vail qu’il a accom­pli et des choix qu’il a faits. Mais on a peine à se faire à l’idée que Mourad Boudjellal ne serait qu’un homme d’argent. Quand il a ven­du les Éditions du Soleil, il aurait pu arbi­trer en faveur de tout autre chose que cet inves­tis­se­ment, à l’époque osé et hasar­deux, dans un domaine pro­fes­sion­nel qu’il ne connais­sait pas. Dans un club qui fai­sait le ludion entre la Pro D2 et le Top 14, vivant plu­tôt sur sa répu­ta­tion due à ses gloires et mythes du pas­sé que sur ses résul­tats d’alors.

Pour savoir quel vrai ?

« Je me suis appau­vri à cause de mon club. Je suis dans un pro­jet altruiste, mais à un moment ça me pour­rit la vie. Comme actuel­le­ment. » a‑t-il encore lâché. Bon, on ne va pas for­cé­ment le croire sur son affir­ma­tion de pau­pé­ri­sa­tion, ni oublier qu’il a fait cette « confi­dence » le soir où Toulon s’est fait battre par Brive à Mayol, ce qui n’était pas arri­vé depuis – pré­ci­sé­ment – dix ans… D’ailleurs il a ajou­té : « Je peux prendre du recul sans vendre le club ». Voici qui est plus nuan­cé déjà. Comme s’il annon­çait son véri­table pro­jet à doses homéo­pa­thiques. En effet, Boudjellal peut fort bien vendre des parts, ne plus pos­sé­der par consé­quent la majo­ri­té dans la socié­té, tout en res­tant influent. Voire action­naire de réfé­rence, ou du moins en état de peser sur le choix du futur pré­sident. En n’ayant plus à s’épuiser dans la ges­tion du quotidien.

Ses fuites média­tiques, orga­ni­sées et contrô­lées, lui ser­vi­raient alors à faire mon­ter les enchères sur le prix de ses parts dans le club, ou à espé­rer conti­nuer de tirer les ficelles sans avoir à autant mouiller le maillot. Plus qu’à annon­cer un véri­table retrait de l’univers ovale. Cette hypo­thèse est d’ailleurs cohé­rente avec ce que l’on sait du per­son­nage. Toulon vit depuis tou­jours une pas­sion fusion­nelle avec son équipe de rug­by. Boudjellal peut tout envi­sa­ger sauf, pour son ego, de ne pas être quelqu’un à Toulon. Et on ne peut pas vrai­ment comp­ter dans la ville si l’on n’affiche pas des liens avec le RCT. Donc, comme il l’explique avec cette sin­cé­ri­té et ce voca­bu­laire qui n’appartiennent qu’à lui, « Je ne suis pas là pour faire une opé­ra­tion com­mer­ciale (…) on a tou­jours cru que j’étais un mec à fric, alors que je suis celui qui accorde le moins d’importance au fric avec ce que j’ai don­né au club ». Ce qui ne l’empêche pas au même moment de cla­mer : « Si quelqu’un me pro­pose 10 mil­lions d’euros et s’engage à inves­tir dans le club pour le lais­ser tout en haut du Top 14, je lui laisse ma place ». On a connu moins cher comme désintéressement.

Comment accré­di­ter l’idée d’un véri­table départ du rug­by alors que paral­lè­le­ment Mourad Boudjellal ren­force un staff du club, déjà bien four­ni, en enga­geant Mike Ford, dont la carte de visite de joueur est pres­ti­gieuse et qui, comme entrai­neur, était récem­ment encore aux manettes de la mythique équipe de Bath ? Et sur­tout alors que simul­ta­né­ment le même Mourad Boudjellal se pré­sente de façon viru­lente à… la pré­si­dence de la Ligue natio­nale de rug­by ! « Soit je démis­sionne, soit je me porte can­di­dat à la pré­si­dence la ligue » a‑t-il décla­ré en août der­nier. Comprenne qui pour­ra. Mais c’était en août. En juin il avait dit, après la défaite en finale face au Racing : « Je vais fer­mer ma gueule et tra­vailler ». Mais c’était en juin.

La politique, son démon de midi ?

Alors, avec deux vies d’entrepreneur réus­sies au comp­teur, qu’est-ce qui peut faire encore cou­rir Mourad Boudjellal ? L’argent bien sûr, bien qu’il s’en défende mal­adroi­te­ment, mais ce n’est plus le car­bu­rant prin­ci­pal de son moteur. Il en pos­sède suf­fi­sam­ment, depuis assez long­temps, pour en connaître les limites. L’argent sert plu­tôt à le ras­su­rer sur sa valeur et sa capa­ci­té à encore réus­sir des coups, comme un ins­tru­ment de mesure. L’argent lui per­met aus­si de finan­cer cha­cun de ses pro­jets d’après. De flam­ber un peu éga­le­ment, même si c’est moins osten­ta­toire qu’aux pre­miers temps de son ascen­sion sociale. Surtout l’argent lui offre des oppor­tu­ni­tés pour fré­quen­ter des milieux qu’il n’aurait pu côtoyer autrement.

Mais l’argent n’est pas – ou n’est plus – tout, pour Mourad Boudjellal. Il l’avoue, de façon sub­li­mi­nale ou par­fois très expli­cite, c’est sa noto­rié­té, tou­lon­naise au départ, natio­nale et inter­na­tio­nale main­te­nant, qui l’obsède. Il veut res­sem­bler à l’’image qu’il aime­rait avoir de lui. Et qu’il sou­haite don­ner et lais­ser aux autres. D’où cette pré­oc­cu­pa­tion per­ma­nente d’occuper le ter­rain média­tique, soit avec des idées de fond qui se reven­diquent comme nova­trices, soit avec des for­mules à l’emporte-pièce.

Dès lors, quel est le domaine dans lequel on peut se ser­vir de l’argent, exer­cer du pou­voir, et simul­ta­né­ment connaître une expo­si­tion média­tique propre à satis­faire les égos les plus exi­geants ? La poli­tique, bien sûr. Et ça démange Mourad Boudjellal depuis long­temps. Avec pour lui, en prime, l’espoir de régler quelques comptes avec les per­sonnes et les époques où il pense qu’on lui a ren­voyé ses ori­gines en pleine figure.

D’ailleurs, il s’y est déjà essayé, avec quelques saillies qui ont fait les man­chettes de la presse, à défaut de déno­ter un sens poli­tique pro­fond et per­ti­nent. Du genre énig­ma­tique « Ne pas voter ou voter à gauche, c’est voter pour Marion Maréchal-Le Pen » ou sédi­tieux « Voter FN, c’est voter Daesh ». Ou encore ses envo­lées vio­lentes contre Marine Le Pen, face à laquelle il n’a pas tenu en débat télé­vi­sé ni en confron­ta­tion judi­ciaire, du moins jusqu’à pré­sent. On ima­gine qu’il va y avoir un gros tra­vail de for­ma­tion poli­tique à réa­li­ser pour celui qui se rêve en Bernard Tapie. Et qui vrai­sem­bla­ble­ment ne sou­haite pas connaître au bord de la rade de Toulon le nau­frage de car­rière poli­tique de son « col­lègue » autour du vieux port de Marseille. Mais nul doute qu’il va y aller, son tem­pé­ra­ment de bat­tant l’y pousse : « Je suis prêt à m’investir, j’ai eu des contacts étroits (…) mais je n’ai pris aucune déci­sion si ce n’est de m’engager en poli­tique ».

Pas d’autres pré­ci­sions pour l’instant. Il fau­dra suivre le tru­blion pour en savoir plus. Ce qui est cer­tain en revanche, c’est qu’il fau­dra du cou­rage dans le camp qui va l’accueillir et où il ne sera pas for­cé­ment le bien­ve­nu. Et que si son ave­nir poli­tique démarre ou passe par Toulon, le patron du Var Hubert Falco aura son mot à dire, de façon déterminante.

Marc FRANÇOIS, Toulon, 2 octobre 2016