Noël et ses significations cachées

par | 11 jan­vier 2017 | Aucun com­men­taire

Déconcertante époque. Aux der­nières nou­velles, il n’y aura pas de grand sapin sur le par­vis de Notre Dame de Paris ; ain­si en a déci­dé mon­sei­gneur Vingt-Trois, car­di­nal arche­vêque de la capi­tale. Après le drame san­glant que nous venons de vivre, les Parisiens n’auraient pas l’âme en fête et on peut aisé­ment l’admettre. À moins que, comme en cer­taines villes, l’arbre de Noël ne froisse la sus­cep­ti­bi­li­té d’une autre reli­gion. Visiblement, le sapin en ques­tion, de même que les crèches, n’est plus en odeur de sain­te­té. La laï­ci­té invo­quée pour la cir­cons­tance ne serait alors que le « voi­le­ment » (le terme est-il bien choi­si ?) d’une atti­tude de renon­ce­ment devant les gros yeux des sec­ta­teurs pro­sé­lytes du dog­ma­tique « vivren­semble ». Et, tan­dis qu’aucun sapin n’accompagnera de sa ver­ti­ca­li­té l’édifice gothique domi­nant la Seine, un autre coni­fère a fait son entrée dans la cour de l’Élysée ; le plus grand jamais ins­tal­lé en ce lieu, nous pré­cise-t-on. Mais, qu’il soit pro­fane ou sacré, avec ou sans arbre, Noël se fait tou­jours syno­nyme de moment où le temps semble ralen­tir pour lais­ser s’installer un peu de fée­rie (même illu­soire car bri­co­lée à des fins com­mer­ciales) dans les bourgs et les grandes cités. Dans ces condi­tions, tant qu’à célé­brer ce moment, ten­tons d’en com­prendre ses signi­fi­ca­tions essen­tielles et les sym­boles qui, l’accompagnant, recon­duisent à des époques biens anté­rieures au chris­tia­nisme et que les mani­fes­ta­tions popu­laires de cette reli­gion inté­grèrent subtilement.

Sapin Noël StrasbourgPuisque nous par­lions du sapin, il est bien évident que sa pré­sence ne s’inscrit nul­le­ment dans la sym­bo­lique chré­tienne. Cet arbre au tronc droit est l’une des repré­sen­ta­tions de l’Axe du monde, sym­bole pré­sent dans toutes les anciennes civi­li­sa­tions antiques de l’Europe et du pour­tour médi­ter­ra­néen. Et, comme tel, sa signi­fi­ca­tion se veut essen­tiel­le­ment « polaire », car toute image axiale (qu’il s’agisse d’un sceptre, d’une lance, d’une épée, d’une colonne ou, pri­mi­ti­ve­ment, d’un men­hir) ren­voie à la notion de « Pôle », à la fois centre – et cime – du monde. D’où le fait que l’étoile brillant tout en haut du sapin n’est pas sim­ple­ment l’astre gui­dant les rois mages vers Bethléem, elle repré­sente aus­si la Polaire, inva­riable milieu et som­met du ciel. Dernier point, la cou­leur de l’arbre est, au seuil de l’hiver, pro­messes du renou­veau prin­ta­nier de la nature. Les lumières que l’on accroche aux branches rap­pellent que la notion d’Axe du monde est men­ta­le­ment « illu­mi­nante » car, pré­ci­sé­ment, elle recon­duit à la connais­sance de ce que, sur un plan méta­phy­sique, repré­sente le « Pôle »(1) pour les anciens peuples : le fon­de­ment spi­ri­tuel d’une civi­li­sa­tion. Ajoutons que la forme géné­rale du sapin est pyra­mi­dale. Or, la pyra­mide est par excel­lence la construc­tion axiale sym­bo­li­sant la jonc­tion entre terre et ciel.

Père Noël cheminéeAutre « che­min » axial et ver­ti­cal, la che­mi­née par laquelle des­cend le Père Noël. Chemin du feu, sym­bole de puri­fi­ca­tion et de clar­té. N’oublions pas que cette fête est d’abord celle de la lumière puisque, à par­tir du sol­stice d’hiver, les jours vont ral­lon­ger. D’où la néces­si­té de mettre dans l’âtre une grosse bûche qui, en prin­cipe, devrait brû­ler toute la nuit, anti­ci­pant de sa clar­té l’accroissement solaire. Cette bûche ramène, on l’aura com­pris, à la sacra­li­sa­tion du feu. De plus, il faut savoir que, chez cer­tains peuples, la che­mi­née était consi­dé­rée comme le pas­sage des âmes vers le ciel(2).

Que signi­fient sou­liers, sabots ou, sur­tout chez les Anglo-Saxons, chaus­settes ? Depuis les temps pré­his­to­riques le pied est un sym­bole de fécon­di­té(3). Chaussette_cadeaux_NoelL’empreinte d’un pied est gra­vée sur une dalle dans la zone XVIII du Val de Fontanalba, dans la Vallée des Merveilles. D’une façon géné­rale, le pied repré­sente la pré­sence de l’humain des­ti­né à trans­for­mer la nature en jar­din d’Eden (hélas, l’humanité a fait le contraire !). Les vieilles godasses atta­chées à la voi­ture des jeunes mariés sont, c’est bien connu, pro­messes de fécon­di­té joyeuse. Et l’expression popu­laire « c’est le pied !» s’inscrit dans ce même registre. Souliers ou chaus­settes débor­dant de cadeaux sont évo­ca­teurs d’abondance. On reçoit des « pré­sents » du ciel. Attention à ce mot car le pré­sent – l’ici et main­te­nant – est ce qui, au sein de la tem­po­ra­li­té, nous rap­proche le plus de l’éternité.

Le père Noël, dit-on, habite à l’extrême nord, voire au pôle(4). Surtout, effor­çons-nous de ne plus le voir revê­tu des cou­leurs de Coca-Cola (puisque tel est l’origine moderne du cos­tume). Il est saint Nicolas (nom grec signi­fiant « chef vic­to­rieux », car il annonce la vic­toire sur les ténèbres), patron des enfants. Et ce, consé­quem­ment à la légende disant qu’il a res­sus­ci­té trois petits enfants décou­pés en mor­ceaux (ce qui, dans la reli­gion égyp­tienne, rap­pelle Osiris démem­bré) par un affreux bou­cher (un ogre, donc Saturne, le Temps dévo­rant) et mis dans le « saloir ». Saint-Nicolas_3_enfantsLe « saloir » (image alchi­mique, notons-le en pas­sant) figure la pétri­fi­ca­tion(5) du monde et des êtres. Comme Osiris, les enfants repren­dront vie en étant remem­brés et l’on songe au terme anglo-saxon remem­ber : il faut se sou­ve­nir de choses essen­tielles, capables de nous régénérer.

« Rassembler ce qui est épar­pillé » (dans notre savoir et notre mémoire) dit un adage ini­tia­tique. Saint Nicolas est l’image d’une sagesse incroya­ble­ment ancienne et qui, pour­tant, apporte la jeu­nesse éter­nelle. Il fait son­ger à Merlin (et à Gandalf, chez Tolkien).

Sa hotte est inépui­sable comme la fameuse corne d’abondance dans le mythe grec. Une corne de la chèvre Amaltée (nour­rice de Zeus) et qui dit chèvre dit Capricorne en astro­lo­gie : le Solstice d’hiver se trouve à l’entrée du Capricorne. On pour­rait dire que cette hotte est aus­si l’équivalent du Graal. Appelé « Père Fouettard », l’homme au visage noir qui accom­pagne le saint tra­duit cor­po­rel­le­ment un thème ini­tia­tique (et non pas raciste comme l’imaginent des igno­rants qui, assez récem­ment, vou­laient le sup­pri­mer du cor­tège en Hollande). Ce « noir » dont la fonc­tion consiste à punir les enfants capri­cieux, pares­seux ou déso­béis­sants (sinon les trois à la fois) est sim­ple­ment la pro­jec­tion de ce qu’il y a de téné­breux en eux ; leur miroir sombre, en quelque sorte. Et, puisque l’on parle beau­coup de Star Wars ces jours-ci, rap­pe­lons, dans l’épisode V (L’Empire contre-attaque), ce moment où Luke Skywalker, quelque peu pré­somp­tueux, est confron­té à une appa­ri­tion holo­gra­phique de Dark Wador (per­son­nage par­ti­cu­liè­re­ment « noir ») issue de son mental.

L’image du (ou des) renne(s) tirant le traî­neau du Père Noël remonte fort loin dans le pas­sé pré­chré­tien. Cet ani­mal, comme l’élan ou le cerf, repré­sente une pen­sée arbo­res­cente se rami­fiant sur de mul­tiples plans et ne fai­sant qu’un avec l’arbre Axe du monde. Ainsi, les Celtes hono­raient le dieu Cernunnos qui arbo­rait des cornes de cerf.

Gundestrup_Cernunnos

Le dieu cerf accom­pa­gné de son ani­mal emblé­ma­tique sur le célèbre chau­dron de Gundestrup (une copie se trouve au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye)

Dieu_cerf_Cernunnos

Une superbe inter­pré­ta­tion moderne de Cernunnos

La dinde ? Non, à l’origine, l’oie de Noël. Sous ses airs bonasses et cam­pa­gnards, l’oie est cou­sine du cygne (même espèce). En fait c’est le cygne occul­tant son sym­bo­lisme sous l’aspect rus­tique de l’oie car les contes de « Ma Mère l’Oye » sont des mes­sages ini­tia­tiques. N’oublions pas qu’à tra­vers un cer­tain Jeu de l’Oye le par­cours spi­ra­lé à suivre est celui de l’existence. Deesse_aux_oiesEn man­geant l’oie, on incor­pore ce qu’elle signi­fie et, à l’image des oies sau­vages, on peut, un jour reprendre le che­min du nord (et oui, encore !) car, dans la mytho­lo­gie grecque, les che­vaux blancs tirant le char d’Apollon se chan­geaient en cygnes à l’approche de l’Hyperborée, contrée ima­gi­naire qui, son nom l’indique, se situait à l’extrême nord du monde, donc au Pôle (alors per­çu comme un ter­ri­toire des plus verdoyants).

Vers la fin de l’Empire romain, Noël a rem­pla­cé la célé­bra­tion du dieu Mithra né d’une pierre (à laquelle se sub­sti­tue la grotte de Bethléem) tan­dis que des ber­gers viennent le saluer, comme pour l’enfant Jésus. En ce qui concerne les rois Mages (men­tion­nés par l’Évangile de Matthieu, 2, 1–16), il ne faut pas les ima­gi­ner cos­tu­més en bédouins mais por­tant des habits per­sans et coif­fés du bon­net phry­gien des prêtres de Mithra ; une mosaïque déco­rant la basi­lique Saint-Vital de Ravenne (datant du VIème siècle) en témoigne.

Et, à pro­pos des rois mages, la crèche de la ville d’Hagondange est actuel­le­ment l’objet d’une polé­mique. Un comi­té d’antiracistes indi­gnés (bis repe­ti­tas) vient de pro­tes­ter avec véhé­mence car le roi mage Balthazar est blanc et non noir.

Alors, on se calme avant de consul­ter l’Histoire de l’Art (et c’est valable aus­si pour les jour­na­listes) qui nous apprend qu’aux alen­tours de 1430 fut déci­dé que les rois mages repré­sen­te­raient les trois conti­nents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Incarnant ce der­nier conti­nent, Balthazar se devait d’être de type afri­cain. Mais, ain­si qu’on le constate avec la mosaïque de Ravenne, ces mages sont per­sans et, par consé­quent, à l’époque, indo-euro­péens (donc de typo­lo­gie « blanche »).

Rois_mages_Ravenne

Maintenant si les atra­bi­laires(6) men­tion­nés cherchent abso­lu­ment un sujet de polé­mique, il suf­fit de leur signa­ler que, dans le vaste cor­pus ico­no­gra­phique allant des pre­miers siècles de la chré­tien­té jusqu’à (presque) nos jours, l’enfant Jésus est blond. Ce qui s’explique car il vient au monde au moment où, nous l’avons dit, le soleil fait gran­dir les jours. Le Christ est un per­son­nage solaire et, jusqu’à nou­vel ordre, la blon­deur se fait évo­ca­trice des rayons du soleil.

Joyeux Noël à toutes et à tous.

P‑G. S.

(1) Cf. les articles inti­tu­lés L’appartenance, la forme et le centre, et Symbolisme des éten­dards de Provence dans cette même rubrique Perspectives

(2) Ainsi que le rap­pelle Mircea Eliade dans Le Sacré et le Profane, Édition Gallimard, Paris, 1969, p. 147.

(3) Parallèlement, le pied ou la main peut sym­bo­li­ser l’appropriation d’un lieu jusque-là inex­plo­ré. Rappelons ce mot impé­ris­sable des Dupont-Dupond : là « où jamais la main de l’homme n’a mis le pied !» (dans On a mar­ché sur la Lune, p. 29, vignette 12).

(4) Thème déve­lop­pé au ciné­ma par Robert Zemeckis (sur­tout célèbre pour sa tri­lo­gie inti­tu­lée Retour vers le futur) dans son film L’Express du Pôle (2004)

(5) Le sel étant un déshy­dra­tant, il joue un rôle de conser­va­teur que la légende assi­mile à une pétri­fi­ca­tion. Songeons, dans la Bible, à la femme de Lot chan­gée en sta­tue de sel.

(6) Selon le Larousse, l’atrabilaire est quelqu’un d’humeur noire.

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P.-G. S.

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