L’enlèvement au sérail constitue une oeuvre particulière à un moment précis de la carrière de Mozart. Ayant quitté Salzbourg pour la capitale Vienne, le compositeur reçoit commande de l’empereur Joseph II d’Autriche. Celui-ci veut un opéra allemand pour renforcer la caractère allemand du Burgtheater, alors Die Entführung aus dem Serail est écrit en allemand. C’est un singspiel – l’argument est dévoilé par des dialogues récités, la musique étant représentée par des airs numérotés – créé le 16 juillet 1782 sous la direction de Mozart en personne.
Une ouvre d’amusement, mais sobre et simple. Fallait-il pour autant produire à Toulon hier soir 7 avril 2017 une version dépouillée, au point de paraître sous certains aspects comme minimaliste ? Les décors de David Belugou paraissent indigents depuis la salle, frustes, stéréotypés, inspirés d’une symbolique simpliste. Ils ne sont guère renouvelés, l’imagination n’est pas au rendez-vous, on se lasse dans la durée. Les lumières de Marc Delamézière ne suffisent pas à les faire passer, d’autant que là encore les jeux successifs semblent limités et trop se répéter. Les costumes de Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne donnent dans le quelconque, paraissant hésiter entre les époques et les genres, sans style cohérent.
La mise en scène de Tom Ryser accentue cette impression de minimalisme, en y ajoutant des anachronismes. Lesquels se veulent vraisemblablement artistiques mais tombent à plat. Il ne suffit pas de donner dans le genre décalé pour réussir un spectacle, encore faut-il servir loyalement l’oeuvre et respecter l’esprit de l’auteur. Gestuelles trop appuyées, mises en joue menaçantes à répétition, incrustation vidéo sur écran : techniques pseudo-modernes relevant du déjà vu et n’apportant rien à la dynamique de la pièce ni à son message.
A ce sujet nous avons évité le poncif révisionniste selon lequel l’enlèvement au sérail annoncerait l’imprégnation maçonnique dévoilée explicitement dans la flûte enchantée. Certes la fin heureuse de l’intrigue demeure peu crédible. On ne voit pas pourquoi ni comment le Pacha devient subitement sensible, bon et généreux, même si en l’occurrence la mise en scène, astucieuse sur ce point, nous le montre irrité, puis étonné, enfin perplexe quand il espionne les échanges entre Constance et et Belmonte, que les deux amoureux pensent être les derniers avant leur mort prochaine. Bien sûr ce triomphe des bons sentiments paraît utopique. Mais de là à prétendre y voir l’idéal maçonnique magnifié de façon subliminale – et prémonitoire à son initiation – par Mozart, ce serait commettre une erreur d’appréciation basée sur une absence de contextualisation. En effet, ce genre de niaiseries est commun à la fin du siècle dit rétrospectivement des « lumières » d’une part, magnifier le pouvoir des sentiments était déjà à la mode un siècle plus tôt à la Cour de Louis XIV (« l’amour vainc tout »). De toute façon il est contradictoire de prétendre lire dans l’enlèvement au sérail l’illustration de la maxime maçonnique « la raison avant la passion » et simultanément d’y voir la prééminence des sentiments.
Alors faut-il aller voir la version toulonnaise de l’enlèvement au sérail ? Oui quand même.
L’orchestre et le coeur de l’opéra de Toulon délivrent comme à l’accoutumée une prestation impeccable. La direction musicale de Jurjen Hempel est empreinte de maîtrise, tout en respectant le rythme enlevé de la partition. La distribution se révèle brillante et homogène : de Constance (Alexandra Kubas-Kruk, merveilleuse soprano) à Belmonte (Oleksiy Palchykov, ténor), en passant par Blonde (Jeanette Vecchione, soprano) et surtout Osmin (Taras Konoshchenko, basse impressionnante). Seul Pedrillo (Keith Bernard Stonum, ténor) semble un cran en-dessous, paraissant en faire trop dans le jeu, pour part du fait de la concurrence sur scène, pour part peut-être à cause du rôle ou de la vision qu’a voulu en faire passer le metteur en scène.
Marc FRANCOIS, Toulon, 8 avril 2017
Opéra de Toulon
Vendredi 7 avril 20h, diamanche 9 avril 14h30, mardi 11 avril 20h.
Billetterie : 04 94 92 70 78