Janus de Roquepertuse en Provence

Site archĂ©ologique RoquepertuseToute l’importance de Rome dans l’histoire de la Provence qui, du reste, lui doit son nom d’origine latine, est connue. Et par­mi les divi­ni­tĂ©s du pan­thĂ©on romain, il est un per­son­nage qui nous fas­cine par sa repré­sen­ta­tion sin­gu­liĂšre. Il s’agit du dieu Janus figu­rĂ© avec un double visage. Sa dĂ©si­gna­tion demeure dans le mois de jan­vier qui lui Ă©tait dĂ©diĂ©. Il Ă©tait le gar­dien des portes (donc des pas­sages) et, consé­quem­ment, des clefs. Les portes les plus solen­nelles Ă©taient celles des deux sol­stices (d’hiver et d’étĂ©). Raison pour laquelle, aprĂšs chris­tia­ni­sa­tion de l’empire romain, on cĂ©lÚ­bre­ra les deux saints Jean (l’évangĂ©liste et le bap­tiste) Ă  des dates trĂšs proches des sol­stices, de par l’analogie pho­né­tique s’établissant entre les noms Janus et Johannes. Sur un plan sym­bo­lique, on consi­dĂšre que l’un des visages regarde le pas­sĂ© le plus loin­tain – Nietzsche ver­rait en lui « la plus longue mĂ©moire Â» – et mĂȘme l’origine du monde, tan­dis que l’autre a pou­voir de contem­pler l’avenir. Il serait plus juste de dire « a ain­si Â», par la connais­sance des temps pas­sĂ©s, la capa­ci­tĂ© Ă  pré­voir le futur. Image qui mĂ©rite fort d’ĂȘtre mĂ©di­tĂ©e et s’oppose radi­ca­le­ment Ă  une for­mule chan­gĂ©e en slo­gan : « du pas­sĂ© fai­sons table rase Â». Si nous Ă©vo­quons Janus c’est aus­si parce que l’archĂ©ologie cel­tique de Provence nous livre une piĂšce d’une impor­tance capi­tale appe­lĂ©e « le Janus de Roquepertuse Â». DĂ©couvert dans ce qui fut le sanc­tuaire gau­lois situĂ© pré­ci­sé­ment sur le site de Roquepertuse, prĂšs de Ventabren (Bouches-du-RhĂŽne) et datĂ© des IIIe-IIe siĂšcles avant J‑C, l’objet, conser­vĂ© au MusĂ©e Borelly Ă  Marseille, montre non point une tĂȘte Ă  double visage mais deux tĂȘtes tour­nĂ©es vers des direc­tions opposĂ©es.

Janus_Roquepertuse

La signi­fi­ca­tion exacte de cette sculp­ture – carac­té­ris­tique de l’esthĂ©tique celte par sa sty­li­sa­tion – demeure un mys­tĂšre et gar­dons-nous de la voir comme une repré­sen­ta­tion gau­loise de Janus, mais il est loi­sible d’imaginer que nous sommes devant la tra­duc­tion for­melle d’un mĂȘme concept. Du reste, il existe des Janus qua­li­fiĂ©s de tri­fons, donc Ă  trois faces, de mĂȘme que l’iconographie gau­loise livre un visage triple sur le Vase de Bavay (Nord), col­lec­tion du Cabinet des MĂ©dailles de la BibliothĂšque Nationale de Paris.

Découvrons à pré­sent tout un sym­bo­lisme qui constelle autour du dieu Janus, ain­si que de son emblé­ma­tique visage double dans la numis­ma­tique de la ville éternelle.

SOUVENANCE DE L’ÂGE D’OR

« Les Romains sont plus reli­gieux que les dieux eux-mĂȘmes Â» (Polybe).

MaĂźtresse du monde mĂ©di­ter­ra­nĂ©en, Rome plonge ses racines dans l’Âge d’Or, une Ăšre mythique qui hante tou­jours les peuples euro­pĂ©ens. Virgile, Ovide s’en firent les Ă©chos dans leurs ouvrages res­pec­tifs l’Éneide et les Fastes. Le monde romain, oĂč tout Ă©tait sym­bole et spi­ri­tua­li­tĂ©, bai­gnait dans la Tradition. Ils ont ain­si gra­vĂ© leurs ori­gines fabu­leuses sur des mon­naies et nous allons Ă©tu­dier l’une des plus illustres, l’aes grave.

ROME

« Je n’assigne de borne ni Ă  leur puis­sance ni Ă  leur durĂ©e car je leur ai don­nĂ© un empire sans fin Â» (Virgile, Ă  pro­pos des Romains, ÉnĂ©ide, vers 1 278–279).

Rome fut fon­dĂ©e en Italie dans le Latium. Sa fon­da­tion est pour nous non humaine car elle rĂ©sulte de l’union du dieu des com­bats, Mars, avec la ves­tale RhĂ©a Silvia. Sa situa­tion gĂ©o­gra­phique fut pour la citĂ© un atout capi­tal. Elle est en effet situĂ©e Ă  un impor­tant car­re­four de deux axes de com­mu­ni­ca­tion qui tra­versent l’Italie de part en part for­mant le car­do (axe nord–sud) et le decu­ma­nus (axe est-ouest). Au centre de la ville, une grosse pierre por­tant une croix (dont chaque branche indi­quait cer­tai­ne­ment les points car­di­naux), sym­bo­li­sait rituel­le­ment le « centre du monde Â» (1), ou mun­dus, mot d’origine Ă©trusque. La Rome archaĂŻque s’y orga­nise tout autour et se veut l’image du cos­mos sur terre.

La popu­la­tion de la citĂ© fut consti­tuĂ©e d’un peuple autoch­tone, mais aus­si d’Étrusques, de fer­miers latin et albains (habi­tants d’Albe la Longue (2). Cette popu­la­tion se ren­dait rĂ©gu­liÚ­re­ment au mar­chĂ© aux bƓufs (le Boearium), sur un mont (3) dĂ©nom­mĂ© Palatin oĂč, dĂšs l’origine, sié­ge­ront le pou­voir civil et les grands aris­to­crates. Le pre­mier forum de la ville fut ain­si Ă©di­fiĂ©. Sabins, Albains et Étrusques se retrou­vaient lĂ  pour Ă©chan­ger les pro­duits de leurs champs et du bĂ©tail contre les mar­chan­dises dont ils avaient besoin (sel, cĂ©rĂ©ales et autres). Au Ve siĂšcle avant J.C. les Romains se ser­vaient de lin­gots de bronze cou­lĂ© ou d’étain mou­lĂ© au motif d’animaux d’élevage (aes rude et as signa­tum) pesant pour cer­tains 1 kg 635 de forme rec­tan­gu­laire Ă  l’effigie d’un bƓuf ou d’un mouton.

Lingot_bronze_coule_Janus

Lingot de bronze cou­lĂ©, gra­vĂ© non point, ici, d’un motif ani­mal mais du tré­pied de la Pythie de Delphes. Rappelons que cette citĂ© hono­rant Apollon occu­pait le centre de la GrĂšce. LĂ  se trou­vait l’omphalos, la pierre ombi­lic mar­quant le milieu du monde. À Rome, la pierre mar­quĂ©e de la croix en consti­tuait l’équivalent. La seule Ă©vo­ca­tion ani­male du lin­got rĂ©side en ces griffes de lion sur les­quelles repose le tré­pied. Symbole solaire (et royal), le lion prend place dans le sym­bo­lisme zodia­cal et, dans le rap­port s’établissant entre les signes stel­laires et le corps humain, gou­verne le cƓur, autre syno­nyme de centre.

NAISSANCE DE LA MONNAIE ROMAINE

« Les mon­naies font l’histoire Â» (Jean Babelon, conser­va­teur des mĂ©dailles Ă  la BibliothĂšque de Paris).

Sous la pres­sion des guerres contre les peuples ita­liques pour la supré­ma­tie du Latium, conflits longs et coû­teux, les romains Ă©mettent leurs pre­miĂšres piĂšces rondes Ă  la fin du IVe avant J‑C. Les mon­naies vont ĂȘtre frap­pĂ©es et non plus cou­lĂ©es. Elles sont copiĂ©es sur les didrachmes des citĂ©s grecques de l’Italie du sud. D’abord l’aes grave, en bronze (4) et le denier (le qua­drie­ga­tus) en argent. L’avers d’une mon­naie Ă  Rome est tou­jours consa­crĂ© aux dieux, le revers Ă  la dimen­sion humaine.

Cette impor­tance du fait reli­gieux dĂšs le dĂ©but du mon­nayage n’est pas un hasard. Pour les peuples tra­di­tion­nels, les mĂ©taux pré­cieux sont les pro­duits des « dieux chto­niens et des esprits sou­ter­rains Â» et, comme tels, des crĂ©a­tions et des pos­ses­sions divines. La mĂ©tal­lur­gie sera l’utilisation par les hommes de ce que leur offrent les dieux. AprĂšs les deux guerres puniques (264−146 avant J.C.) les por­traits divins vont ĂȘtre len­te­ment nĂ©gli­gĂ©s. Cette dĂ©ca­dence spi­ri­tuelle s’explique par le fait que les magis­trats, avec l’approbation du SĂ©nat char­gĂ© de la mon­naie, frappent Ă  l’avers les por­traits des consuls en exer­cice, et au revers leurs exploits guer­riers. Ainsi les dieux de Rome vont petit Ă  petit s’effacer devant l’égo des puis­sants patri­ciens et deve­nir de simples allĂ©gories.

L’AES GRAVE

« Rome ne serait jamais arri­vĂ©e Ă  un tel degrĂ© de puis­sance si, au lieu d’une ori­gine divine, elle n’avait eu que des dĂ©buts dĂ©pour­vus de gran­deur et de mer­veilleux Â» (Plutarque, Vie de Romulus).

Janus_Aes_grave_avec_tete_Janus

L’aes grave vers 240–225 — Janus, dieu bifrons (« Ă  deux tĂȘtes Â»)

C’est envi­ron vers 214 avant notre Ăšre que va ĂȘtre frap­pĂ© l’aes grave. La mon­naie en bronze porte un des sym­boles fon­da­men­taux de la Rome Antique, le « Janus bifrons Â», dieu plus ancien que Saturne, et au revers la proue d’une « birĂšme Â», navire de com­bat Ă  deux ran­gĂ©es de rameurs, sym­bole non seule­ment de l’arrivĂ© d’EnĂ©e en Italie mais sur­tout de la lĂ©gen­daire venue de Saturne dans le Latium. Les Romains en Ă©met­tant cette mon­naie en grande quan­ti­tĂ© se rap­pe­laient leur mythique Âge ori­gi­nel alors qu’ils tra­ver­saient une crise grave avec la deuxiĂšme guerre punique.

« La GrĂšce n’a pas de divi­ni­tĂ© sem­blable Ă  toi Â» (Ovide, Les Fastes).

L’avers de notre mon­naie de bronze repré­sente Janus, le dieu le plus ancien du pan­thĂ©on latin. Sa nais­sance Ă©tant anté­rieure Ă  l’Âge d’Or il est loi­sible de le consi­dé­rer comme l’incarnation de la Tradition pri­mor­diale (5). Sur la mon­naie que nous pré­sen­tons, on le voit avec ses deux visages. Pour bien sai­sir la signi­fi­ca­tion de cette piĂšce de mon­naie, il faut la tenir dans sa main en Ă©tant tour­nĂ© vers le nord. L’un des deux pro­fils, figu­rant un vieillard, regarde Ă  gauche, donc vers le cou­chant. A prio­ri on pour­rait dire qu’il est le cré­pus­cule de la vie mais, en rĂ©a­li­tĂ©, il contemple serei­ne­ment le plus loin­tain pas­sĂ©. Il est aus­si le gar­dien des portes du ciel. Le sol­stice d’étĂ© Â« infer­ni Â» est l’entrĂ©e du signe du Cancer consi­dé­rĂ©e comme la porte des hommes, pĂ©riode nĂ©faste et nĂ©ces­si­tant de prendre garde aux forces malé­fiques. L’autre visage, Ă  droite, plus jeune et, comme tel, tour­nĂ© vers l’avenir, figure l’hiver (qui com­mence avec le Capricorne) la porte cĂ©leste, faste et bĂ©né­fique. Il est le maĂźtre de l’écoulement du temps et de l’espace. Il est aus­si le gar­dien du ciel et des enfers ; c’est pour­quoi il porte des clefs (6) ou, par­fois, un cro­chet ancĂȘtre des clefs.

Comme tous les dieux, Janus a sa parĂšdre fĂ©mi­nine avec la nymphe Cardea qui habi­tait le bois sacrĂ© sur le futur empla­ce­ment de la ville. Cardea aprĂšs une joute amou­reuse – et tumul­tueuse ! – avec Janus, lui don­na le pou­voir des gonds et des portes ; image accom­pa­gnant celle des clefs et figu­rant le pou­voir d’ouvrir et de fer­mer. Par Janus la socié­tĂ© a la capa­ci­tĂ© de s’ouvrir au divin en mĂȘme temps qu’elle se ferme aux influences dis­sol­vantes d’origines diverses. Elle lui remit aus­si comme sym­bole de sa fonc­tion, une branche d’aubĂ©pine en fleur ; rameau magique pos­sé­dant le pou­voir d’écarter tout malé­fice des ouver­tures de la mai­son (7).

Les chants de la mys­té­rieuse confré­rie des prĂȘtres-guer­riers « Saliens Â» (8) dĂ©butent ain­si en par­lant de Janus : « Celui qui crĂ©e toutes choses, et, en mĂȘme temps, les gou­verne, qui a uni, en les entou­rant du ciel, d’une part, l’essence et la nature de l’eau et de la terre pesante et ten­dant tou­jours Ă  des­cendre, et d’autre part, celles du feu et de l’air, corps lĂ©ger et s’échappant vers l’immensitĂ© d’en haut : c’est la puis­sante force du ciel qui a uni ces deux forces contraires Â». On croi­rait entendre un texte alchi­mique, la Tabula Smaragdina par exemple.

Janus ouvre le cycle du pre­mier mois de l’annĂ©e, Januarius, aprĂšs le sol­stice d’hiver. C’est ce dieu qui aurait civi­li­sĂ© les pre­miers habi­tants du Latium avant l’arrivĂ© de Saturne. Il patron­nait avec Junon les calendes au dĂ©but de chaque mois et avait son temple au Quirinal (9). La fĂȘte des Saturnales se dĂ©rou­laient du 7 au 22 dĂ©cembre, les dis­tinc­tions sociales dis­pa­rais­saient et le maĂźtre ser­vait les esclaves, rap­pe­lant ain­si l’égalitĂ© des hommes pen­dant l’Âge d’Or. Janus avait aus­si une fonc­tion trĂšs impor­tante : il Ă©tait la divi­ni­tĂ© des puis­santes cor­po­ra­tions romaines d’artisans du bois et de la pierre, les Collegia Fabrorum. Ce qui signi­fie que l’art de construire et la fabri­ca­tion d’objets dĂ©pen­dait – et Ă©ma­nait – d’une divi­ni­tĂ© mani­fes­tant l’origine. Pour la civi­li­sa­tion romaine, il ne pou­vait ĂȘtre ques­tion de crĂ©er quoi que ce soit qui ne soit pas rĂ©fé­ren­tiel Ă  ce que repré­sente Janus. Les fĂȘtes de ces cor­po­ra­tions se situaient natu­rel­le­ment aux deux sol­stices d’étĂ© et d’hiver. Au com­men­ce­ment, Saturne gou­ver­nait l’Âge d’Or. Puis, Ă  la suite de la fatale invo­lu­tion cyclique (qu’illustrent les quatre Âges suc­ces­si­ve­ment d’Or, d’Argent, d’Airain et de Fer), il fut dĂ©chu de cette digni­tĂ© et, sous le nom de Chronos, devint l’austĂšre divi­ni­tĂ© des heures qui s’écoulent inexo­ra­ble­ment et nous conduisent Ă  la vieillesse et Ă  la mort . Il se rĂ©fu­gia dans le Latium oĂč Janus l’accueillit. Le mot Latium est Ă  mettre en rap­port avec la notion de latence (10); autre­ment dit ce ter­ri­toire, en attente d’un nou­vel Âge dorĂ©, le recĂšle potentiellement.

Macrobe apporte une infor­ma­tion des plus pré­cieuses dans son ouvrage consa­crĂ© aux Saturnales : il nous apprend que Janus cor­res­pond Ă  Apollon et Diane. Le bifrons mas­que­rait donc le frĂšre et la sƓur. DĂšs lors, si nous sui­vons ce rai­son­ne­ment, c’est Apollon sous le visage de Janus qui accueille Saturne lors de son exil. On pour­rait ajou­ter que le nom grec de Diane, ArtĂ©mis, contient celui de l’ours(e), d’oĂč le rap­port avec le sep­ten­trion qui, la nuit venue, montre la Grande et la Petite Ourse. Proche de car­do, terme dĂ©si­gnant l’axe Nord-Sud, le nom de la nymphe, Cardea, indique le nord et, ain­si, fait Ă©cho Ă  ArtĂ©mis.

SATURNE

« Jadis rĂ©gnait une sim­pli­ci­tĂ© rus­tique Â» (Ovide).

Le revers de notre aes nous montre le navire sur lequel Saturne arrive en Italie, comme ÉnĂ©e le fon­da­teur de Lavinium. Saturne, nom­mĂ© Kronos dans la reli­gion grecque (avant d’ĂȘtre Chronos chez les Romains), est le fils d’Ouranos le ciel et de Gaia la terre (ou Ops en latin). Il est le dieu royal du ciel dorĂ© pri­mor­dial. Il relie la terre et le ciel. Avec ce pre­mier Saturne, le temps n’existe pas puisque l’Âge d’Or se carac­té­rise par un Ă©ter­nel pré­sent, sans pas­sĂ© ni ave­nir. À cette Ă©poque l’Italie s’appelle Ausonia, mot pro­ve­nant de la plus ancienne tri­bu de la pĂ©nin­sule, celle des Osques. Les hommes ne connais­saient pas la mort vio­lente, ils s’endormaient dou­ce­ment aprĂšs une vie longue et heu­reuse. En ces temps, on se nour­ris­sait exclu­si­ve­ment de fruits et de lĂ©gumes et per­sonne ne son­geait Ă  tuer. Saturne intro­dui­sit l’usage de la fau­cille pour cueillir les pro­duits de la terre. Les vieilles chro­niques racontent que le trĂŽne de ce dieu Ă©tait sur le futur Capitole, au sein d’une for­te­resse ou d’une citĂ© dĂ©nom­mĂ© Saturnia, Ă  l’emplacement de la future Rome (11). Rappelons que la pĂ©nin­sule ita­lienne, com­pa­rĂ©e Ă  une botte est plu­tĂŽt une jambe dont l’emplacement de la rotule serait occu­pĂ© par la ville Ă©ter­nelle. Superbe sym­bo­lisme ter­ri­to­rial lorsque l’on sait que le genou cor­res­pond astro­lo­gi­que­ment au signe du Capricorne que gou­verne Saturne. À par­tir du moment oĂč Saturne devint le Chronos, le « temps dĂ©vo­rant Â» ses enfants (c’est-Ă -dire l’espĂšce humaine) il fut dĂ©trέnĂ© par un de ses fils, Jupiter, aidĂ© de sa mĂšre RhĂ©a. Une guerre de dix ans entre les dieux olym­piens sous la conduite de Jupiter fut nĂ©ces­saire pour vaincre Saturne alliĂ© des Titans. Jupiter vain­queur, un nou­veau cycle pou­vait com­men­cer. La tra­di­tion reli­gieuse orphique nous raconte qu’aprĂšs le conflit et une conci­lia­tion entre les bel­li­gé­rants, Jupiter et les Olympiens assi­gnĂšrent Saturne Ă  rĂ©si­dence dans l’ Â« ĂŽle Blanche Â» des bien­heu­reux, au nord du monde. Une Ăźle qui, en quelque sorte, joue le mĂȘme rĂŽle que le Latium oĂč, rap­pe­lons-le, se trou­vait la citĂ© d’Albe la longue dont le nom (Alba) pro­clame la blan­cheur. Comme on sait que la cou­leur noire est tra­di­tion­nel­le­ment asso­ciĂ©e Ă  Saturne, il est aisĂ© de com­prendre que le lieu de son exil annonce la muta­tion qui l’attend. Pour user ici d’une for­mule actuelle, nous dirons qu’au terme de son ban­nis­se­ment pro­vi­soire il sera blan­chi de la noir­ceur le carac­té­ri­sant en tant que Chronos.

L’ÂGE D’OR DOIT REVENIR

« Redeunt Saturnia Regna : le rĂšgne de Saturne revient Â» (frappe d’une mon­naie de l’usurpateur Carausius, 286–293 aprĂšs J.C.).

Janus et Saturne ont Ă©tĂ© pour Rome la mani­fes­ta­tion de leurs ori­gines mythiques. À chaque Ă©preuve les Romains n’ont jamais per­du espoir en leurs divi­ni­tĂ©s, sachant qu’un jour l’Âge d’Or du Saturne d’avant Chronos serait de retour pour tou­jours. Au pire moment de la crise que tra­ver­sa Rome au III siĂšcle de notre Ăšre, l’Empereur Probus (232−282) n’hĂ©sita pas Ă  dĂ©cla­rer qu’on ver­rait dans le futur un temps « oĂč les sol­dats n’auraient plus leurs rai­sons d’ĂȘtre (car) l’Âge d’Or revien­drait pour tou­jours ! Â». On songe ici Ă  la notion de pax pro­fun­da carac­té­ri­sant une sĂ©ré­ni­tĂ© Ă©ma­nant de la maß­trise des pas­sions humaines.

Paul Catsaras
1er octobre 2017

NOTES

(1) Il existe d’autres centres que l’on peut consi­dé­rer comme des reflets impar­faits du Centre suprĂȘme : Lhassa, jadis citĂ© sacrĂ©e du lamaĂŻsme,ou encore JĂ©rusalem, image visible de la mys­té­rieuse Salem de Melki-TsĂ©dek, roi de jus­tice ; sans oublier La Mecque, oĂč la Kaa’ba est sym­bo­li­que­ment sous l’étoile polaire. Et, bien enten­du, Delphes et Rome.

(2) L’historien Alfîldi pense que les latins sont issus du Caucase par vagues vers l’an 1000 avant notre ùre. G. Hacquard sou­tient qu’ils viennent par migra­tions suc­ces­sives d’Europe centrale.

(3) Les sept col­lines de Rome sont le Palatin, l’Aventin, le Caelius, l’Esquilin, le Viminal, le Quirinal et, enfin, le Capitole appe­lĂ© « Janicule Â» en sou­ve­nir de Janus.

(4) L’étalon uti­li­sĂ© est sex­tan­taire, c’est-Ă -dire que l’aes pĂšse 1⁄6 de livre, soit 54,12 g contre 324,72 g dix ans plus tĂŽt. Devenu oncial au tour­nant du IIIe siĂšcle, (1Ă·2 de livre soi 27,06 g), l’aes sera sta­bi­li­sĂ© au cours du IIe siĂšcle avant J.C sur l’étalon semi-oncial jus­qu’à la fin de la rĂ©pu­blique. Â» Michel prieur, Monnaie romaine, C.G.F.

(5) Jean Richer fait remon­ter l’origine de Janus aux pre­miĂšres civi­li­sa­tions du Moyen Orient. Des mon­naies d’électrum de Mallos, en Cilicie, nous montrent un Janus ailĂ© qui, bran­dis­sant un disque, sym­bole du dĂŽme du ciel, dĂ©montre ain­si son carac­tĂšre cĂ©leste et pri­mor­dial. Pierre Grimal signale que la reli­gion grecque archaĂŻque connais­sait un type de dieu Ă  deux visages oppo­sĂ©s sur un corps unique dont le nom Ă©tait Argos, ce qui Ă©voque la dĂ©si­gna­tion de la plus ancienne citĂ© grecque d’oĂč, selon le mythe, seraient par­tis en quĂȘte de la Toison d’or Jason et ses com­pa­gnons. Le nom d’Argos est Ă©vo­ca­teur de la cou­leur blanche, ce qui ren­voie Ă  l’aubĂ©pine. Si un tel per­son­nage fut rĂ©el­le­ment pré­sent dans les croyances archaĂŻques grecques, alors Ovide s’est trom­pĂ© en affir­mant que les Romains Ă©taient les seuls Ă  hono­rer un tel dieu. En fait, chez divers peuples indo-euro­pĂ©ens, appa­raĂźt l’image d’un ĂȘtre double, qu’il s’agisse du Tuisto dont parle Tacite dans son De Germania ou encore le Yima (lit­té­ra­le­ment « Jumeau Â»), roi de l’Âge ori­gi­nel chez les Iraniens et, bien Ă©vi­dem­ment, les Dioscures dans l’univers mythique grec.

(6) Une clef d’or « solaire Â» pour le ciel, une d’argent « lunaire Â» pour la terre. Avec le chris­tia­nisme l’apĂŽtre Saint-Pierre hĂ©ri­te­ra de ces clefs.

(7) En fait, Cardea est l’incarnation du car­do, l’axe Nord-Sud. Toute ville ou camp mili­taire romain rejoi­gnaient spi­ri­tuel­le­ment par cet axe le Pîle spirituel.

(8) Les prĂȘtres-guer­riers Saliens for­maient des Sodalitates char­gĂ©es d’accomplir cer­tains rites pour le salut de l’armĂ©e. Leurs ori­gines seraient Ă©trusques. Signalons aus­si les mys­té­rieuses tri­bus salyennes de Provence.

(9) Le temple de Janus fut Ă©di­fiĂ© pen­dant la pre­miĂšre guerre punique. Il Ă©tait consa­crĂ© Ă  la paix et Ă  la guerre. Si les portes du sanc­tuaire Ă©taient fer­mĂ©es la paix rĂ©gnait, mais elles ne furent closes que neuf mois en mille ans.

(10) Dans La Tradition HermĂ©tique, Julius Evola, Éditions Traditionnelles (Paris, 1985).

(11) Romulus fit pla­cer une pierre noire, « signe du Centre Â», au dĂ©but de la voie sacrĂ©e qui monte au Capitole oĂč se trouve le temple de Jupiter en sou­ve­nir de Saturnia. Comme cet article le men­tionne, la cou­leur noire est asso­ciĂ©e Ă  Saturne. L’alchimie conser­ve­ra ce symbolisme.

BIBLIOGRAPHIE

GĂ©ographie sacrĂ©e dans le monde romain, Jean Richer, Éditions TrĂ©daniel (Paris, 1985).
Guide romain antique, G. Hacquard, Éditions Classique Hachette (Paris 1952).
Ovide, (Ɠuvres com­plĂštes) publiĂ©es sous la direc­tion de N. Nisard, Editions J.J Dubochet et com­pa­gnie, (Paris 1843).)
Les Saturnales, Macrobe, Éditions Les Belles lettres, col­lec­tion La roue à livres (Paris, 1997).
Symboles fon­da­men­taux de la science sacrée, René Guénon, Editions Gallimard (Poitiers, 1962).
Dictionnaire des mytho­lo­gies indo-euro­péennes, Jean Vertemont, Editions Faits et Documents (Paris, 1997).
Rome et ses mon­naies, Guide pra­tique du col­lec­tion­neur débu­tant et confir­mé. Donatien Grau et Michel Amandry, Revue Numismatique et change, HS N°1 2007.
Dictionnaire de la mytho­lo­gie grecque et romaine, Pierre Grimal Editions Puf (Paris, 1969).
Les mys­tùres du dieu Janus, Jean Émile Bianchi Editions Ivoire clair (Groslay, 2004).
Monnaie XXI vente sur offres, col­lec­tion Laurent Schmitt et Michel Prieur, Editions Comptoir Général Financier (Paris, 2004).

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