Janus de Roquepertuse en Provence
Toute lâimportance de Rome dans lâhistoire de la Provence qui, du reste, lui doit son nom dâorigine latine, est connue. Et parÂmi les diviÂniÂtĂ©s du panÂthĂ©on romain, il est un perÂsonÂnage qui nous fasÂcine par sa reprĂ©ÂsenÂtaÂtion sinÂguÂliĂšre. Il sâagit du dieu Janus figuÂrĂ© avec un double visage. Sa dĂ©siÂgnaÂtion demeure dans le mois de janÂvier qui lui Ă©tait dĂ©diĂ©. Il Ă©tait le garÂdien des portes (donc des pasÂsages) et, consĂ©ÂquemÂment, des clefs. Les portes les plus solenÂnelles Ă©taient celles des deux solÂstices (dâhiver et dâĂ©tĂ©). Raison pour laquelle, aprĂšs chrisÂtiaÂniÂsaÂtion de lâempire romain, on cĂ©lĂšÂbreÂra les deux saints Jean (lâĂ©vangĂ©liste et le bapÂtiste) Ă des dates trĂšs proches des solÂstices, de par lâanalogie phoÂnĂ©Âtique sâĂ©tablissant entre les noms Janus et Johannes. Sur un plan symÂboÂlique, on consiÂdĂšre que lâun des visages regarde le pasÂsĂ© le plus loinÂtain â Nietzsche verÂrait en lui « la plus longue mĂ©moire » â et mĂȘme lâorigine du monde, tanÂdis que lâautre a pouÂvoir de contemÂpler lâavenir. Il serait plus juste de dire « a ainÂsi », par la connaisÂsance des temps pasÂsĂ©s, la capaÂciÂtĂ© Ă prĂ©Âvoir le futur. Image qui mĂ©rite fort dâĂȘtre mĂ©diÂtĂ©e et sâoppose radiÂcaÂleÂment Ă une forÂmule chanÂgĂ©e en sloÂgan : « du pasÂsĂ© faiÂsons table rase ». Si nous Ă©voÂquons Janus câest ausÂsi parce que lâarchĂ©ologie celÂtique de Provence nous livre une piĂšce dâune imporÂtance capiÂtale appeÂlĂ©e « le Janus de Roquepertuse ». DĂ©couvert dans ce qui fut le sancÂtuaire gauÂlois situĂ© prĂ©ÂciÂsĂ©Âment sur le site de Roquepertuse, prĂšs de Ventabren (Bouches-du-RhĂŽne) et datĂ© des IIIe-IIe siĂšcles avant JâC, lâobjet, conserÂvĂ© au MusĂ©e Borelly Ă Marseille, montre non point une tĂȘte Ă double visage mais deux tĂȘtes tourÂnĂ©es vers des direcÂtions opposĂ©es.
La signiÂfiÂcaÂtion exacte de cette sculpÂture â caracÂtĂ©ÂrisÂtique de lâesthĂ©tique celte par sa styÂliÂsaÂtion â demeure un mysÂtĂšre et garÂdons-nous de la voir comme une reprĂ©ÂsenÂtaÂtion gauÂloise de Janus, mais il est loiÂsible dâimaginer que nous sommes devant la traÂducÂtion forÂmelle dâun mĂȘme concept. Du reste, il existe des Janus quaÂliÂfiĂ©s de triÂfons, donc Ă trois faces, de mĂȘme que lâiconographie gauÂloise livre un visage triple sur le Vase de Bavay (Nord), colÂlecÂtion du Cabinet des MĂ©dailles de la BibliothĂšque Nationale de Paris.
DĂ©couvrons Ă prĂ©Âsent tout un symÂboÂlisme qui constelle autour du dieu Janus, ainÂsi que de son emblĂ©ÂmaÂtique visage double dans la numisÂmaÂtique de la ville Ă©ternelle.
SOUVENANCE DE LâĂGE DâOR
« Les Romains sont plus reliÂgieux que les dieux eux-mĂȘmes » (Polybe).
MaĂźtresse du monde mĂ©diÂterÂraÂnĂ©en, Rome plonge ses racines dans lâĂge dâOr, une Ăšre mythique qui hante touÂjours les peuples euroÂpĂ©ens. Virgile, Ovide sâen firent les Ă©chos dans leurs ouvrages resÂpecÂtifs lâĂneide et les Fastes. Le monde romain, oĂč tout Ă©tait symÂbole et spiÂriÂtuaÂliÂtĂ©, baiÂgnait dans la Tradition. Ils ont ainÂsi graÂvĂ© leurs oriÂgines fabuÂleuses sur des monÂnaies et nous allons Ă©tuÂdier lâune des plus illustres, lâaes grave.
ROME
« Je nâassigne de borne ni Ă leur puisÂsance ni Ă leur durĂ©e car je leur ai donÂnĂ© un empire sans fin » (Virgile, Ă proÂpos des Romains, ĂnĂ©ide, vers 1 278â279).
Rome fut fonÂdĂ©e en Italie dans le Latium. Sa fonÂdaÂtion est pour nous non humaine car elle rĂ©sulte de lâunion du dieu des comÂbats, Mars, avec la vesÂtale RhĂ©a Silvia. Sa situaÂtion gĂ©oÂgraÂphique fut pour la citĂ© un atout capiÂtal. Elle est en effet situĂ©e Ă un imporÂtant carÂreÂfour de deux axes de comÂmuÂniÂcaÂtion qui traÂversent lâItalie de part en part forÂmant le carÂdo (axe nordâsud) et le decuÂmaÂnus (axe est-ouest). Au centre de la ville, une grosse pierre porÂtant une croix (dont chaque branche indiÂquait cerÂtaiÂneÂment les points carÂdiÂnaux), symÂboÂliÂsait rituelÂleÂment le « centre du monde » (1), ou munÂdus, mot dâorigine Ă©trusque. La Rome archaĂŻque sây orgaÂnise tout autour et se veut lâimage du cosÂmos sur terre.
La popuÂlaÂtion de la citĂ© fut constiÂtuĂ©e dâun peuple autochÂtone, mais ausÂsi dâĂtrusques, de ferÂmiers latin et albains (habiÂtants dâAlbe la Longue (2). Cette popuÂlaÂtion se renÂdait rĂ©guÂliĂšÂreÂment au marÂchĂ© aux bĆufs (le Boearium), sur un mont (3) dĂ©nomÂmĂ© Palatin oĂč, dĂšs lâorigine, siĂ©ÂgeÂront le pouÂvoir civil et les grands arisÂtoÂcrates. Le preÂmier forum de la ville fut ainÂsi Ă©diÂfiĂ©. Sabins, Albains et Ătrusques se retrouÂvaient lĂ pour Ă©chanÂger les proÂduits de leurs champs et du bĂ©tail contre les marÂchanÂdises dont ils avaient besoin (sel, cĂ©rĂ©ales et autres). Au Ve siĂšcle avant J.C. les Romains se serÂvaient de linÂgots de bronze couÂlĂ© ou dâĂ©tain mouÂlĂ© au motif dâanimaux dâĂ©levage (aes rude et as signaÂtum) pesant pour cerÂtains 1 kg 635 de forme recÂtanÂguÂlaire Ă lâeffigie dâun bĆuf ou dâun mouton.

Lingot de bronze couÂlĂ©, graÂvĂ© non point, ici, dâun motif aniÂmal mais du trĂ©Âpied de la Pythie de Delphes. Rappelons que cette citĂ© honoÂrant Apollon occuÂpait le centre de la GrĂšce. LĂ se trouÂvait lâomphalos, la pierre ombiÂlic marÂquant le milieu du monde. Ă Rome, la pierre marÂquĂ©e de la croix en constiÂtuait lâĂ©quivalent. La seule Ă©voÂcaÂtion aniÂmale du linÂgot rĂ©side en ces griffes de lion sur lesÂquelles repose le trĂ©Âpied. Symbole solaire (et royal), le lion prend place dans le symÂboÂlisme zodiaÂcal et, dans le rapÂport sâĂ©tablissant entre les signes stelÂlaires et le corps humain, gouÂverne le cĆur, autre synoÂnyme de centre.
NAISSANCE DE LA MONNAIE ROMAINE
« Les monÂnaies font lâhistoire » (Jean Babelon, conserÂvaÂteur des mĂ©dailles Ă la BibliothĂšque de Paris).
Sous la presÂsion des guerres contre les peuples itaÂliques pour la suprĂ©ÂmaÂtie du Latium, conflits longs et coĂ»Âteux, les romains Ă©mettent leurs preÂmiĂšres piĂšces rondes Ă la fin du IVe avant JâC. Les monÂnaies vont ĂȘtre frapÂpĂ©es et non plus couÂlĂ©es. Elles sont copiĂ©es sur les didrachmes des citĂ©s grecques de lâItalie du sud. Dâabord lâaes grave, en bronze (4) et le denier (le quaÂdrieÂgaÂtus) en argent. Lâavers dâune monÂnaie Ă Rome est touÂjours consaÂcrĂ© aux dieux, le revers Ă la dimenÂsion humaine.
Cette imporÂtance du fait reliÂgieux dĂšs le dĂ©but du monÂnayage nâest pas un hasard. Pour les peuples traÂdiÂtionÂnels, les mĂ©taux prĂ©Âcieux sont les proÂduits des « dieux chtoÂniens et des esprits souÂterÂrains » et, comme tels, des crĂ©aÂtions et des posÂsesÂsions divines. La mĂ©talÂlurÂgie sera lâutilisation par les hommes de ce que leur offrent les dieux. AprĂšs les deux guerres puniques (264â146 avant J.C.) les porÂtraits divins vont ĂȘtre lenÂteÂment nĂ©gliÂgĂ©s. Cette dĂ©caÂdence spiÂriÂtuelle sâexplique par le fait que les magisÂtrats, avec lâapprobation du SĂ©nat charÂgĂ© de la monÂnaie, frappent Ă lâavers les porÂtraits des consuls en exerÂcice, et au revers leurs exploits guerÂriers. Ainsi les dieux de Rome vont petit Ă petit sâeffacer devant lâĂ©go des puisÂsants patriÂciens et deveÂnir de simples allĂ©gories.
LâAES GRAVE
« Rome ne serait jamais arriÂvĂ©e Ă un tel degrĂ© de puisÂsance si, au lieu dâune oriÂgine divine, elle nâavait eu que des dĂ©buts dĂ©pourÂvus de granÂdeur et de merÂveilleux » (Plutarque, Vie de Romulus).

Lâaes grave vers 240â225 â Janus, dieu bifrons (« Ă deux tĂȘtes »)
Câest enviÂron vers 214 avant notre Ăšre que va ĂȘtre frapÂpĂ© lâaes grave. La monÂnaie en bronze porte un des symÂboles fonÂdaÂmenÂtaux de la Rome Antique, le « Janus bifrons », dieu plus ancien que Saturne, et au revers la proue dâune « birĂšme », navire de comÂbat Ă deux ranÂgĂ©es de rameurs, symÂbole non seuleÂment de lâarrivĂ© dâEnĂ©e en Italie mais surÂtout de la lĂ©genÂdaire venue de Saturne dans le Latium. Les Romains en Ă©metÂtant cette monÂnaie en grande quanÂtiÂtĂ© se rapÂpeÂlaient leur mythique Ăge oriÂgiÂnel alors quâils traÂverÂsaient une crise grave avec la deuxiĂšme guerre punique.
« La GrĂšce nâa pas de diviÂniÂtĂ© semÂblable Ă toi » (Ovide, Les Fastes).
Lâavers de notre monÂnaie de bronze reprĂ©Âsente Janus, le dieu le plus ancien du panÂthĂ©on latin. Sa naisÂsance Ă©tant antĂ©Ârieure Ă lâĂge dâOr il est loiÂsible de le consiÂdĂ©Ârer comme lâincarnation de la Tradition priÂmorÂdiale (5). Sur la monÂnaie que nous prĂ©ÂsenÂtons, on le voit avec ses deux visages. Pour bien saiÂsir la signiÂfiÂcaÂtion de cette piĂšce de monÂnaie, il faut la tenir dans sa main en Ă©tant tourÂnĂ© vers le nord. Lâun des deux proÂfils, figuÂrant un vieillard, regarde Ă gauche, donc vers le couÂchant. A prioÂri on pourÂrait dire quâil est le crĂ©ÂpusÂcule de la vie mais, en rĂ©aÂliÂtĂ©, il contemple sereiÂneÂment le plus loinÂtain pasÂsĂ©. Il est ausÂsi le garÂdien des portes du ciel. Le solÂstice dâĂ©tĂ© « inferÂni » est lâentrĂ©e du signe du Cancer consiÂdĂ©ÂrĂ©e comme la porte des hommes, pĂ©riode nĂ©faste et nĂ©cesÂsiÂtant de prendre garde aux forces malĂ©Âfiques. Lâautre visage, Ă droite, plus jeune et, comme tel, tourÂnĂ© vers lâavenir, figure lâhiver (qui comÂmence avec le Capricorne) la porte cĂ©leste, faste et bĂ©nĂ©Âfique. Il est le maĂźtre de lâĂ©coulement du temps et de lâespace. Il est ausÂsi le garÂdien du ciel et des enfers ; câest pourÂquoi il porte des clefs (6) ou, parÂfois, un croÂchet ancĂȘtre des clefs.
Comme tous les dieux, Janus a sa parĂšdre fĂ©miÂnine avec la nymphe Cardea qui habiÂtait le bois sacrĂ© sur le futur emplaÂceÂment de la ville. Cardea aprĂšs une joute amouÂreuse â et tumulÂtueuse ! â avec Janus, lui donÂna le pouÂvoir des gonds et des portes ; image accomÂpaÂgnant celle des clefs et figuÂrant le pouÂvoir dâouvrir et de ferÂmer. Par Janus la sociĂ©ÂtĂ© a la capaÂciÂtĂ© de sâouvrir au divin en mĂȘme temps quâelle se ferme aux influences disÂsolÂvantes dâorigines diverses. Elle lui remit ausÂsi comme symÂbole de sa foncÂtion, une branche dâaubĂ©pine en fleur ; rameau magique posÂsĂ©Âdant le pouÂvoir dâĂ©carter tout malĂ©Âfice des ouverÂtures de la maiÂson (7).
Les chants de la mysÂtĂ©Ârieuse confrĂ©Ârie des prĂȘtres-guerÂriers « Saliens » (8) dĂ©butent ainÂsi en parÂlant de Janus : « Celui qui crĂ©e toutes choses, et, en mĂȘme temps, les gouÂverne, qui a uni, en les entouÂrant du ciel, dâune part, lâessence et la nature de lâeau et de la terre pesante et tenÂdant touÂjours Ă desÂcendre, et dâautre part, celles du feu et de lâair, corps lĂ©ger et sâĂ©chappant vers lâimmensitĂ© dâen haut : câest la puisÂsante force du ciel qui a uni ces deux forces contraires ». On croiÂrait entendre un texte alchiÂmique, la Tabula Smaragdina par exemple.
Janus ouvre le cycle du preÂmier mois de lâannĂ©e, Januarius, aprĂšs le solÂstice dâhiver. Câest ce dieu qui aurait civiÂliÂsĂ© les preÂmiers habiÂtants du Latium avant lâarrivĂ© de Saturne. Il patronÂnait avec Junon les calendes au dĂ©but de chaque mois et avait son temple au Quirinal (9). La fĂȘte des Saturnales se dĂ©rouÂlaient du 7 au 22 dĂ©cembre, les disÂtincÂtions sociales disÂpaÂraisÂsaient et le maĂźtre serÂvait les esclaves, rapÂpeÂlant ainÂsi lâĂ©galitĂ© des hommes penÂdant lâĂge dâOr. Janus avait ausÂsi une foncÂtion trĂšs imporÂtante : il Ă©tait la diviÂniÂtĂ© des puisÂsantes corÂpoÂraÂtions romaines dâartisans du bois et de la pierre, les Collegia Fabrorum. Ce qui signiÂfie que lâart de construire et la fabriÂcaÂtion dâobjets dĂ©penÂdait â et Ă©maÂnait â dâune diviÂniÂtĂ© maniÂfesÂtant lâorigine. Pour la civiÂliÂsaÂtion romaine, il ne pouÂvait ĂȘtre quesÂtion de crĂ©er quoi que ce soit qui ne soit pas rĂ©fĂ©ÂrenÂtiel Ă ce que reprĂ©Âsente Janus. Les fĂȘtes de ces corÂpoÂraÂtions se situaient natuÂrelÂleÂment aux deux solÂstices dâĂ©tĂ© et dâhiver. Au comÂmenÂceÂment, Saturne gouÂverÂnait lâĂge dâOr. Puis, Ă la suite de la fatale invoÂluÂtion cyclique (quâillustrent les quatre Ăges sucÂcesÂsiÂveÂment dâOr, dâArgent, dâAirain et de Fer), il fut dĂ©chu de cette digniÂtĂ© et, sous le nom de Chronos, devint lâaustĂšre diviÂniÂtĂ© des heures qui sâĂ©coulent inexoÂraÂbleÂment et nous conduisent Ă la vieillesse et Ă la mort . Il se rĂ©fuÂgia dans le Latium oĂč Janus lâaccueillit. Le mot Latium est Ă mettre en rapÂport avec la notion de latence (10); autreÂment dit ce terÂriÂtoire, en attente dâun nouÂvel Ăge dorĂ©, le recĂšle potentiellement.
Macrobe apporte une inforÂmaÂtion des plus prĂ©Âcieuses dans son ouvrage consaÂcrĂ© aux Saturnales : il nous apprend que Janus corÂresÂpond Ă Apollon et Diane. Le bifrons masÂqueÂrait donc le frĂšre et la sĆur. DĂšs lors, si nous suiÂvons ce raiÂsonÂneÂment, câest Apollon sous le visage de Janus qui accueille Saturne lors de son exil. On pourÂrait ajouÂter que le nom grec de Diane, ArtĂ©mis, contient celui de lâours(e), dâoĂč le rapÂport avec le sepÂtenÂtrion qui, la nuit venue, montre la Grande et la Petite Ourse. Proche de carÂdo, terme dĂ©siÂgnant lâaxe Nord-Sud, le nom de la nymphe, Cardea, indique le nord et, ainÂsi, fait Ă©cho Ă ArtĂ©mis.
SATURNE
« Jadis rĂ©gnait une simÂpliÂciÂtĂ© rusÂtique » (Ovide).
Le revers de notre aes nous montre le navire sur lequel Saturne arrive en Italie, comme ĂnĂ©e le fonÂdaÂteur de Lavinium. Saturne, nomÂmĂ© Kronos dans la reliÂgion grecque (avant dâĂȘtre Chronos chez les Romains), est le fils dâOuranos le ciel et de Gaia la terre (ou Ops en latin). Il est le dieu royal du ciel dorĂ© priÂmorÂdial. Il relie la terre et le ciel. Avec ce preÂmier Saturne, le temps nâexiste pas puisque lâĂge dâOr se caracÂtĂ©Ârise par un Ă©terÂnel prĂ©Âsent, sans pasÂsĂ© ni aveÂnir. Ă cette Ă©poque lâItalie sâappelle Ausonia, mot proÂveÂnant de la plus ancienne triÂbu de la pĂ©ninÂsule, celle des Osques. Les hommes ne connaisÂsaient pas la mort vioÂlente, ils sâendormaient douÂceÂment aprĂšs une vie longue et heuÂreuse. En ces temps, on se nourÂrisÂsait excluÂsiÂveÂment de fruits et de lĂ©gumes et perÂsonne ne sonÂgeait Ă tuer. Saturne introÂduiÂsit lâusage de la fauÂcille pour cueillir les proÂduits de la terre. Les vieilles chroÂniques racontent que le trĂŽne de ce dieu Ă©tait sur le futur Capitole, au sein dâune forÂteÂresse ou dâune citĂ© dĂ©nomÂmĂ© Saturnia, Ă lâemplacement de la future Rome (11). Rappelons que la pĂ©ninÂsule itaÂlienne, comÂpaÂrĂ©e Ă une botte est pluÂtĂŽt une jambe dont lâemplacement de la rotule serait occuÂpĂ© par la ville Ă©terÂnelle. Superbe symÂboÂlisme terÂriÂtoÂrial lorsque lâon sait que le genou corÂresÂpond astroÂloÂgiÂqueÂment au signe du Capricorne que gouÂverne Saturne. Ă parÂtir du moment oĂč Saturne devint le Chronos, le « temps dĂ©voÂrant » ses enfants (câest-Ă -dire lâespĂšce humaine) il fut dĂ©trĂŽÂnĂ© par un de ses fils, Jupiter, aidĂ© de sa mĂšre RhĂ©a. Une guerre de dix ans entre les dieux olymÂpiens sous la conduite de Jupiter fut nĂ©cesÂsaire pour vaincre Saturne alliĂ© des Titans. Jupiter vainÂqueur, un nouÂveau cycle pouÂvait comÂmenÂcer. La traÂdiÂtion reliÂgieuse orphique nous raconte quâaprĂšs le conflit et une conciÂliaÂtion entre les belÂliÂgĂ©Ârants, Jupiter et les Olympiens assiÂgnĂšrent Saturne Ă rĂ©siÂdence dans lâ « Ăle Blanche » des bienÂheuÂreux, au nord du monde. Une Ăźle qui, en quelque sorte, joue le mĂȘme rĂŽle que le Latium oĂč, rapÂpeÂlons-le, se trouÂvait la citĂ© dâAlbe la longue dont le nom (Alba) proÂclame la blanÂcheur. Comme on sait que la couÂleur noire est traÂdiÂtionÂnelÂleÂment assoÂciĂ©e Ă Saturne, il est aisĂ© de comÂprendre que le lieu de son exil annonce la mutaÂtion qui lâattend. Pour user ici dâune forÂmule actuelle, nous dirons quâau terme de son banÂnisÂseÂment proÂviÂsoire il sera blanÂchi de la noirÂceur le caracÂtĂ©ÂriÂsant en tant que Chronos.
LâĂGE DâOR DOIT REVENIR
« Redeunt Saturnia Regna : le rĂšgne de Saturne revient » (frappe dâune monÂnaie de lâusurpateur Carausius, 286â293 aprĂšs J.C.).
Janus et Saturne ont Ă©tĂ© pour Rome la maniÂfesÂtaÂtion de leurs oriÂgines mythiques. Ă chaque Ă©preuve les Romains nâont jamais perÂdu espoir en leurs diviÂniÂtĂ©s, sachant quâun jour lâĂge dâOr du Saturne dâavant Chronos serait de retour pour touÂjours. Au pire moment de la crise que traÂverÂsa Rome au III siĂšcle de notre Ăšre, lâEmpereur Probus (232â282) nâhĂ©sita pas Ă dĂ©claÂrer quâon verÂrait dans le futur un temps « oĂč les solÂdats nâauraient plus leurs raiÂsons dâĂȘtre (car) lâĂge dâOr revienÂdrait pour touÂjours ! ». On songe ici Ă la notion de pax proÂfunÂda caracÂtĂ©ÂriÂsant une sĂ©rĂ©ÂniÂtĂ© Ă©maÂnant de la maĂźÂtrise des pasÂsions humaines.
Paul Catsaras
1er octobre 2017
NOTES
(1) Il existe dâautres centres que lâon peut consiÂdĂ©Ârer comme des reflets imparÂfaits du Centre suprĂȘme : Lhassa, jadis citĂ© sacrĂ©e du lamaĂŻsme,ou encore JĂ©rusalem, image visible de la mysÂtĂ©Ârieuse Salem de Melki-TsĂ©dek, roi de jusÂtice ; sans oublier La Mecque, oĂč la Kaaâba est symÂboÂliÂqueÂment sous lâĂ©toile polaire. Et, bien entenÂdu, Delphes et Rome.
(2) Lâhistorien AlfĂŽldi pense que les latins sont issus du Caucase par vagues vers lâan 1000 avant notre Ăšre. G. Hacquard souÂtient quâils viennent par migraÂtions sucÂcesÂsives dâEurope centrale.
(3) Les sept colÂlines de Rome sont le Palatin, lâAventin, le Caelius, lâEsquilin, le Viminal, le Quirinal et, enfin, le Capitole appeÂlĂ© « Janicule » en souÂveÂnir de Janus.
(4) LâĂ©talon utiÂliÂsĂ© est sexÂtanÂtaire, câest-Ă -dire que lâaes pĂšse 1â6 de livre, soit 54,12 g contre 324,72 g dix ans plus tĂŽt. Devenu oncial au tourÂnant du IIIe siĂšcle, (1Ă·2 de livre soi 27,06 g), lâaes sera staÂbiÂliÂsĂ© au cours du IIe siĂšcle avant J.C sur lâĂ©talon semi-oncial jusÂquâĂ la fin de la rĂ©puÂblique. » Michel prieur, Monnaie romaine, C.G.F.
(5) Jean Richer fait remonÂter lâorigine de Janus aux preÂmiĂšres civiÂliÂsaÂtions du Moyen Orient. Des monÂnaies dâĂ©lectrum de Mallos, en Cilicie, nous montrent un Janus ailĂ© qui, branÂdisÂsant un disque, symÂbole du dĂŽme du ciel, dĂ©montre ainÂsi son caracÂtĂšre cĂ©leste et priÂmorÂdial. Pierre Grimal signale que la reliÂgion grecque archaĂŻque connaisÂsait un type de dieu Ă deux visages oppoÂsĂ©s sur un corps unique dont le nom Ă©tait Argos, ce qui Ă©voque la dĂ©siÂgnaÂtion de la plus ancienne citĂ© grecque dâoĂč, selon le mythe, seraient parÂtis en quĂȘte de la Toison dâor Jason et ses comÂpaÂgnons. Le nom dâArgos est Ă©voÂcaÂteur de la couÂleur blanche, ce qui renÂvoie Ă lâaubĂ©pine. Si un tel perÂsonÂnage fut rĂ©elÂleÂment prĂ©Âsent dans les croyances archaĂŻques grecques, alors Ovide sâest tromÂpĂ© en affirÂmant que les Romains Ă©taient les seuls Ă honoÂrer un tel dieu. En fait, chez divers peuples indo-euroÂpĂ©ens, appaÂraĂźt lâimage dâun ĂȘtre double, quâil sâagisse du Tuisto dont parle Tacite dans son De Germania ou encore le Yima (litÂtĂ©ÂraÂleÂment « Jumeau »), roi de lâĂge oriÂgiÂnel chez les Iraniens et, bien Ă©viÂdemÂment, les Dioscures dans lâunivers mythique grec.
(6) Une clef dâor « solaire » pour le ciel, une dâargent « lunaire » pour la terre. Avec le chrisÂtiaÂnisme lâapĂŽtre Saint-Pierre hĂ©riÂteÂra de ces clefs.
(7) En fait, Cardea est lâincarnation du carÂdo, lâaxe Nord-Sud. Toute ville ou camp miliÂtaire romain rejoiÂgnaient spiÂriÂtuelÂleÂment par cet axe le PĂŽle spirituel.
(8) Les prĂȘtres-guerÂriers Saliens forÂmaient des Sodalitates charÂgĂ©es dâaccomplir cerÂtains rites pour le salut de lâarmĂ©e. Leurs oriÂgines seraient Ă©trusques. Signalons ausÂsi les mysÂtĂ©Ârieuses triÂbus salyennes de Provence.
(9) Le temple de Janus fut Ă©diÂfiĂ© penÂdant la preÂmiĂšre guerre punique. Il Ă©tait consaÂcrĂ© Ă la paix et Ă la guerre. Si les portes du sancÂtuaire Ă©taient ferÂmĂ©es la paix rĂ©gnait, mais elles ne furent closes que neuf mois en mille ans.
(10) Dans La Tradition HermĂ©tique, Julius Evola, Ăditions Traditionnelles (Paris, 1985).
(11) Romulus fit plaÂcer une pierre noire, « signe du Centre », au dĂ©but de la voie sacrĂ©e qui monte au Capitole oĂč se trouve le temple de Jupiter en souÂveÂnir de Saturnia. Comme cet article le menÂtionne, la couÂleur noire est assoÂciĂ©e Ă Saturne. Lâalchimie conserÂveÂra ce symbolisme.
BIBLIOGRAPHIE
GĂ©ographie sacrĂ©e dans le monde romain, Jean Richer, Ăditions TrĂ©daniel (Paris, 1985).
Guide romain antique, G. Hacquard, Ăditions Classique Hachette (Paris 1952).
Ovide, (Ćuvres comÂplĂštes) publiĂ©es sous la direcÂtion de N. Nisard, Editions J.J Dubochet et comÂpaÂgnie, (Paris 1843).)
Les Saturnales, Macrobe, Ăditions Les Belles lettres, colÂlecÂtion La roue Ă livres (Paris, 1997).
Symboles fonÂdaÂmenÂtaux de la science sacrĂ©e, RenĂ© GuĂ©non, Editions Gallimard (Poitiers, 1962).
Dictionnaire des mythoÂloÂgies indo-euroÂpĂ©ennes, Jean Vertemont, Editions Faits et Documents (Paris, 1997).
Rome et ses monÂnaies, Guide praÂtique du colÂlecÂtionÂneur dĂ©buÂtant et confirÂmĂ©. Donatien Grau et Michel Amandry, Revue Numismatique et change, HS N°1 2007.
Dictionnaire de la mythoÂloÂgie grecque et romaine, Pierre Grimal Editions Puf (Paris, 1969).
Les mysÂtĂšres du dieu Janus, Jean Ămile Bianchi Editions Ivoire clair (Groslay, 2004).
Monnaie XXI vente sur offres, colÂlecÂtion Laurent Schmitt et Michel Prieur, Editions Comptoir GĂ©nĂ©ral Financier (Paris, 2004).
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