Paris, Damas, 2 octobre 2017
Les chrétiens syriens se trouvent désormais à l’épreuve des Kurdes.
Plus d’un million de Kurdes peuplent le Nord de la Syrie et cohabitent avec un peu moins d’un million d’arabes. Pragmatiques, ils y vivaient jusqu’au début de la guerre en bonne intelligence avec le régime, bénéficiant d’une certaine autonomie en échange de leur neutralité politique.
Leurs relations avec les arabes (sunnites, alaouites ou chrétiens) étaient distantes mais sans hostilité manifeste. C’était avant la guerre et les Kurdes, malgré leur propension naturelle à l’hégémonie, n’avaient de toute façon guère le choix. Toutefois leur rêve d’un Etat kurde officieux les habitait toujours. La guerre va leur permettre de raviver et développer leurs ambitions.
L’armée syrienne, en grande difficulté jusqu’à l’intervention russe, n’avait plus les moyens de contrôler le nord du pays. La priorité était d’endiguer la marée islamiste qui voulait prendre le pouvoir. Tel n’était pas le but des Kurdes, qui se contenteraient toujours d’un territoire à eux dans le Nord. De deux maux Assad a choisi le moindre : il a donc fort logiquement laissé les Kurdes prendre le contrôle des villes et des postes-frontières, à l’exception d’un seul, au nord-est, tenu par des milices chrétiennes et quelques militaires syriens.
Cependant des combats eurent lieu, entre l’armée et les milices chrétiennes d’un côté, entre les combattants kurdes regroupés dans les YPG de l’autre, faisant des victimes et des prisonniers de chaque côté. On était toutefois loin de la conflagration générale. Les YPG sont Les Unités de protection du peuple, en kurde : Yekîneyên Parastina Gel, en abrégé YPG. Elles forment la branche armée du Parti de l’union démocratique (PYD). Formée en 2011 au début de la guerre « civile » syrienne, cette organisation est considéré comme terroriste par la Turquie.
Les Turcs regardaient tout ceci d’un mauvais œil mais leur préoccupation de l’époque était surtout d’organiser la révolte islamiste pour renverser Assad. C’est la bataille de Kobané qui va tout changer.
En effet, grâce à l’aide des Turcs, Daesh réussit à conquérir une partie du nord de la Syrie, faisant ainsi la jonction avec la frontière turque. Après la conquête de la vallée de l’Euphrate (Raqqa, Deir-ez-Zor en partie, Mayadin, Al Quaïm) et celle des champs pétrolifères du sud-est du pays, les islamistes ont pu vendre le pétrole jusqu’en Turquie, grâce à des norias de camions qui circulaient dans l’indifférence générale. L’aviation de la coalition ne les a quasiment jamais attaqués, ce qui paraît tout de même curieux. Il faudra attendre les avions russes pour qu’enfin cesse le trafic.
Il restait toutefois une ville à conquérir pour Daesh : Kobané, peuplée majoritairement de Kurdes. Des combats furieux entre les YPG et les islamistes durèrent plusieurs semaines.
C’est là que se noua l’alliance entre les Kurdes et les Américains : ceux-ci décidèrent d’aider massivement les combattants kurdes. Le soutien de leur aviation fut décisif (comme toujours d’ailleurs au cours de cette guerre) et Daesh dut se retirer. Le bilan était lourd des deux côtés mais la victoire des kurdes allait sceller leur alliance avec les Etats-Unis. Armés et financés par eux, les Kurdes purent consolider leurs positions le long de la frontière turque n’hésitant pas à attaquer les militaires syriens et les milices chrétiennes pour mieux assoir leur autorité.
L’armée turque a alors réagi et a franchi la frontière afin de couper en deux le territoire kurde pour l’empêcher ainsi de se tailler un territoire en continu. Les Kurdes se sont retirés devant les chars turcs, sur ordre des Américains, qui ne voulaient pas d’affrontement direct entre ces deux forces.
Aujourd’hui, les Kurdes sont l’infanterie des Etats-Unis : ils sont en train de reprendre Raqqa (ex-capitale du califat maintenant moribond) et prennent position au Nord de Deir ez-Zor afin d’empêcher l’armée syrienne de reprendre le contrôle de la totalité du pays.
Raqqa et Deir ez-Zor sont de peuplement arabe et non kurde, mais peu importe : ce qui compte pour les Etats-Unis, c’est de détruire Daesh et d’empêcher les Syriens de reprendre le contrôle de leur pays. Le retour de la paix sous l’égide d’Assad n’a jamais été l’objectif.
Une fois de plus, ce sont les chrétiens qui souffrent de la situation. Ils sont relativement nombreux dans la région. Les exactions kurdes à leur endroit ne sont pas rares : vexations, arrestations et, plus grave, assassinats ciblés voire parfois déplacement forcés de populations. Le silence est assourdissant sur le sujet. Il est vrai que les Kurdes font partie des héros médiatiques de cette guerre et qu’il convient de ne pas entacher leur réputation.
Le sujet n’est pas nouveau pourtant : les Kurdes ont participé au génocide de 1915, soit sur ordre des Turcs, soit, le plus souvent, pour dépouiller les malheureux Arméniens ou Assyriens. Le brigandage est une vieille tradition chez eux… Certes, certains chrétiens leur doivent la vie par leur résistance opiniâtre contre Daesh ; les YPG sont assez efficaces mais ceci ne doit pas masquer la réalité sur ce que sont les Kurdes : ils sont kurdes et pour eux le reste ne compte pas. Leur islam est très lointain, l’idéologie marxiste qui les habite demeure assez théorique, les chrétiens représentent encore moins pour eux. Ils veulent un territoire et sont prêts à tout pour cela : les Américains l’ont bien compris et s’en servent pour éliminer Daesh. Réciproquement les Kurdes se servent des Américains pour assoir leur pouvoir local.
Fort heureusement, les chrétiens sont encore assez nombreux dans la région, en particulier dans le nord-est. Les villes d’Hassaké (180 000 habitants) et Qamishli (170 000 habitants) comprennent de nombreux syriaques catholiques et orthodoxes dont les jeunes sont armés et organisés. Cependant la vie y est très difficile et beaucoup songent à partir.
C’est précisément ce qu’attendent les Kurdes.
Antoine de Lacoste