Cheminer au pays des Celtes et Ligures de Provence (2 /2)
Suite de notre article du 20 septembre 2017
Deux sites remarquables : Roquepertuse et Constantine
Dans notre découverte des oppida du pays d’Aix-en-Provence comptant parmi les plus marquants, nous sommes sur la route d’Hercule, au sortir de la cité en direction de Velaux et de l’étang de Berre.
Notre objectif est Roquepertuse. Un site encore éminemment remarquable, à petite distance d’une sorte de molaire, en partie boisée, qui se dresse au-dessus de la vallée de l’Arc. Mais, sacrilège, la civilisation technicienne a malheureusement coiffé cet endroit d’un pylône de ligne à haute tension.
Roquepertuse était le sanctuaire central des Salyens. Des fouilles récentes ont montré l’existence d’un habitat. On pense que ce sanctuaire était un lieu de réunion pour les chefs salyens, mais aussi de culte à leur gloire. Les Romains, parachevant la destruction de la confédération salyenne, l’assiégèrent et le détruisirent.
On a trouvé à Roquepertuse les vestiges d’un édifice à piliers et une collection de statues de personnages accroupis conservés au musée Borély de Marseille. Les Gaulois, dit-on, avaient coutume de s’asseoir en tailleur pour le repos ou le repas.
Il y a débat sur la destination de Roquepertuse. À proximité du sanctuaire à taille réduite et que l’on pensait isolé, des fouilles récentes (1994) ont mis à jour un habitat : en fait, une bourgade assez importante estimée à plus d’un demi-hectare, établie à mi-pente et dominée par un oppidum. Ce sanctuaire ferait plutôt penser à une ferme fortifiée.
La vocation culturelle de Roquepertuse ne saurait être contestée d‘après Brigitte Lescure qui a donné une relation de ces travaux. Elle a aussi remis en perspective l’origine de la statuaire et des guerriers, de facture et style celtes, identique à d’autres retrouvées en Hesse allemande ; leur datation fait reculer les « provençales » du IIIe siècle au Ve, voire VIe avant JC.
Pourquoi est-on passé d’une statuaire d’influence méditerranéenne à une statuaire nordique ? Parce que, entre temps, l’archéologie s’est rangée au principe de réalité. Elle a mis sous le boisseau l’opinion (ou l’idéologie) qui prévalait au début du XXe siècle, lors des premières fouilles : au travers de ce prisme les Celtes ne pouvaient être que des « barbares », le Beau et le Bien étaient nécessairement hérités d’Athènes ou à la rigueur de Rome.
Le sanctuaire, ou l’agglomération, ou encore le lieu culturel, aurait été détruit en 190 avant J‑C, soit antérieurement à la disparition d’Entremont. Par conséquent les Romains n’en seraient pas responsables. Quoi qu’il en soit, on ignore toujours l’identité des destructeurs de Roquepertuse.
Comme quoi l’Histoire est une discipline relative. De nouvelles preuves découvertes font changer les visions, les valeurs, les interprétations. Ce qui demeure en revanche, c’est que Roquepertuse constitue un oppidum celto-ligure(1).Après Roquepertuse et restant sur les traces d’Hercule, dépassons La Fare-les-Oliviers : le toponyme La Fare d’origine germanique est certainement un souvenir de l’implantation d’un parti de fédérés vers la fin de l’Empire romain.
Dirigeons-nous vers les rives de l’étang de Berre.
Au nord, avant Saint-Chamas, sur la commune de Lançon, au bord de la falaise et à l’aplomb du lieu dit Calissanne – toponyme dérivé directement du nom d’un romain Calissius – se trouve l’oppidum de Constantine. L’origine du nom aurait un rapport avec l’empereur Constantin, comme celui de la ville d’Algérie.
Constantine forme l’un des ensembles monumentaux indigènes les plus impressionnants de la Provence méditerranéenne. Au bord d’escarpements déchiquetés de roches blanches, le site est remarquable. Il surplombe l’étang de Berre, domine l’Arc dont le débouché dans l’étang est tout proche, contrôle une voie stratégique entre l’Espagne et l’Italie.
La voie aurélienne passe au pied des murailles de l’oppidum. De ce belvédère, on pouvait apercevoir le trafic sur les voies massaliètes, observer les chemins sauniers et la navigation sur l’étang, jusqu’au chenal de Caronte. On a trouvé au pied de la falaise, près d’une source qui irriguait le domaine de Calissanne, une vasque votive avec l’inscription « Gilliaco fils de Poreixios a donné à Bélénos ». Bélénos était le dieu gaulois des eaux salutaires.
Avec ses sept hectares, l’oppidum est l’un des plus vastes habitats perchés de la Provence antique. Et l’un des plus monumentaux, avec ses tours et son rempart que l’on date du IIe siècle avant J‑C, au moment où les Romains arrivent en Provence.
Au centre de l’oppidum se trouvent trois avens naturels qui étaient le réceptacle d’un culte chtonien (culte de divinités infernales ou souterraines) et un sanctuaire. Ces gouffres ont attiré les curieux (et les prédateurs) à la recherche de la « Chèvre d’or », guidés dans leur recherche par les écrits sibyllins de Nostradamus qui mentionne Constantine.
D’autres mythes se sont forgés autour de ces gouffres, dont certains en relation avec le gouffre de Delphes, au bord duquel la Pythie rendait ses oracles. N’a‑t-on pas dit aussi que les Gaulois tectosages, qui avaient pillé le sanctuaire de Delphes au cours de leur raid en Grèce et emporté son trésor, l’auraient caché en Provence et à Constantine ? Constantine était un des lieux sacrés antiques les plus importants de Provence.
L’arrivée du christianisme refoula le culte païen, discrédité comme superstitions diaboliques. En même temps que s’estompait la sacralité des lieux naissait la légende d’un trésor oublié. Manifestation rémanente d’un gisement de mémoire symbolique, refoulée par la nouvelle idéologie dominante. D’ailleurs Constantin, qui aurait donné son nom au lieu – on ne connaît pas son nom gaulois ou celto-ligure – n’est-il pas l’empereur qui officialisa le christianisme comme religion d’Etat dans le monde romain de l’époque ? Le mystère planera-t-il à jamais ? Les religions, comme les civilisations, ne sont-elles pas éphémères à l’échelle des longs cycles qui gouvernent le monde ?
Qui étaient les habitants de ces oppida ?
Peu à peu, par acculturation ou assimilation, les Ibères, à l’est du Rhône, deviennent des Celtibères avec l’arrivée d’Europe centrale (Bavière, Autriche, Bohème ) des Celtes, à partir du VIIe siècle avant JC., la celtisation n’étant réalisée que vers le IVe et IIIe siècle .
Ces Ibères peuplent la péninsule ibérique : l’actuel sud-ouest de la France actuelle et une partie des îles de la Méditerranée occidentale. Toutefois, une incertitude demeure. En Sicile, par exemple, étaient-ce des Ibères ou des Ligures ? Ils deviendront ou se transformeront aussi, par cette alchimie propre à la formation des peuples, en Celtibères dans la partie Ouest et Centre de la péninsule ibérique.
À l’ouest du même fleuve, et pense-t-on, de la Loire à la côte méditerranéenne, jusqu’en Italie du nord, le substrat ethnique est formé de Ligures. Le processus est identique. Les Ligures deviennent des Celto-Ligures le long de la côte méditerranéenne. L’élément celte étant plus prédominant (par le nombre) à l’intérieur. Même les Corses de l’époque sont aussi des Celto-Ligures, avec plus de souche ligure certes mais aussi celte.
Par voie de conséquence « nos ancêtres les Gaulois », avec les Ligures d’une part et les Ibères d’autre part, sont aussi les ancêtres de nos cousins lombards, piémontais, liguriens, castillans, galiciens, aragonais, portugais. Pour ne citer que les plus proches.
La future Provence est, à cette époque, occupée par des Celto-Ligures, dont voici quelques peuples : les Voconces installés dans la région de Vaison, les Salyens entre Arles et Aix-en-Provence (Entremont) qui sont leurs deux capitales ; les deux lieux resteront pendant des siècles les capitales de la Provence ou du royaume d’Arles. Ils formeront ensuite une puissante confédération qui menacera Massilia la grecque.
Citons d’autres peuples de l’aire provençale : les Camactulici dans les Maures, les Ligauni et les Oxibii dans l’Estérel, les Tricastini entre Carpentras et le Tricastin, les Cavares entre Valence, Avignon et Cavaillon, les Segobrigii dans la Sainte-Baume et l’Étoile, on pourrait en évoquer bien d’autres.
Toutefois il est difficile, dans ces nombreux peuples, de distinguer les éléments ligures des éléments celtes. Peut-être y avait-il déjà une proximité ethnique antérieure qui les a fait s’interpénétrer rapidement, comme deux siècles plus tard les Romains et les Gaulois, formant le peuple gallo-romain. Ils étaient en effet issus de la même matrice.
Ainsi étaient les peuples des oppida.
C’est à vous qu’il appartient à présent de retrouver, sur nos sentiers de Provence, les traces et la mémoire de nos ancêtres celto-ligures.
Julien Peyrié
(1) Lire l’article : Janus de Roquepertuse en Provence
Crédit photos diaporama : service régional de l’archéologie DRAC-PACA
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