C’est dommage mais c’est ainsi :
de la même manière qu’il faut toujours se méfier des évidences,
on doit aussi se garder du piège de l’unanimité
En tout état de cause, le consensus sur l’hommage au lieutenant-colonel Beltrame porte en lui-même, tel qu’il se développe sous nos yeux, son caractère ambigu. C’est une véritable auberge espagnole dans laquelle tous essaient, finement ou maladroitement, d’entrer et de s’y faire voir.
Le Président de la République ne peut s’empêcher de parader et, comme tous les titulaires de la fonction avant lui en cas de drame national, de tenter de canaliser l’émotion générale partagée en report d’adhésion sur sa fonction, donc in fine sa personne et la politique qu’il mène.
En effet le gouvernement ne gouverne plus, depuis longtemps, dans notre pays, contrairement aux principes de la constitution. Il y a belle lurette que la politique de la France est décidée à l’Élysée et non à Matignon, conception comme exécution, choix des hommes inclus. Cette dérive ne date pas de l’actuel couple exécutif Président de la République-Premier ministre. Ce qui n’empêche pas ledit Premier ministre, son croque-mort de ministre de l’Intérieur et madame son ministre des Armées de tirer chacun à sa manière la couverture à soi dans cette affaire. Alors qu’elle révèle plutôt l’échec patent des politiques menées jusqu’à présent ainsi que l’insuffisance de leur action depuis qu’ils sont aux affaires.
Autre signe équivoque dans cette ambiance de récupération du geste et du symbole que représente Beltrame : la course de vitesse indécente de la religion et de la maçonnerie (lire L’impudique publicité de la Grande Loge de France) pour mentionner publiquement l’appartenance du défunt, non seulement à leurs systèmes de pensée, mais encore à leurs organisations respectives. Le communiqué de la GLDF – Grande Loge de France – et celui du prêtre – confident et ami du couple Beltrame au point qu’il préparait avec eux leur prochain mariage religieux – illustrent parfaitement cet empressement inconvenant.
De surcroît cette ambiguïté se décline à l’intérieur de chacune de ces familles de pensée, Église et Maçonnerie, que l’on pourrait imaginer a priori opposées ou pour le moins incompatibles. En fait, il n’en est rien.
D’un côté les autres obédiences maçonniques, pourtant mieux représentées en France en général et dans les corps constitués en particulier, la GLNF – Grande Loge Nationale Française – et le GOF – Grand Orient de France – n’ont pas réagi à l’initiative de la GLDF. Laquelle a pourtant dévoilé publiquement et médiatiquement son frère, post mortem de surcroît.
De l’autre côté, peut-être pour contrebalancer l’aspect très traditionnel du catholicisme que l’officier venait de rejoindre à l’issue d’un parcours spirituel réfléchi, les médias nous ont abondamment distillé les actions caritatives et humanitaires de sa compagne devenue son épouse. Or ces activités semblent plutôt séculières et alignées sur les mouvances progressistes et mondialistes de l’idéologie contemporaine chrétienne, moins que sur la recherche de la transcendance et de la tradition.
La Gendarmerie, à juste titre, ne manquera pas de marquer son territoire en revendiquant le geste héroïque de son officier comme un témoignage de son excellence morale, de son appartenance militaire, du vécu de ses valeurs. La Police sera obligée de s’aligner en façade, espérant bénéficier du regain de popularité générale des forces de l’ordre qui va suivre le drame. Et pourtant, malgré la décision contre nature de regrouper ces deux institutions sous commandement unique, on ne peut pas dire que pour autant que Gendarmerie et Police communient sous la même espèce…
Les partis politiques font compétition méprisable de compassion et de récupération, au point que parfois, d’un bord comme de l’autre de l’échiquier, leurs communiqués et leurs déclarations apparaissent comme interchangeables. Ici encore, cette convergence paraît suspecte. D’autant plus que les leçons politiques qu’ils prétendent tirer de l’affaire semblent, elles, divergentes. Or ce sont ces mêmes partis, à une exception près, qui ont gouverné, alternativement ou conjointement, le pays depuis plusieurs décennies. Ce sont toujours ces mêmes partis qui sont ensemble responsables, à la fois de la décadence morale et civique de la nation ainsi que de la folle politique d’immigration de populations culturellement inassimilables, voire ennemies de notre civilisation.
Les médias coordonnent ce travail d’unanimité de façade. Ils y mettent d’autant plus d’ardeur qu’ils savent tous, malgré leurs fausses différences politiques d’apparence, que c’est de leur fond de commerce qu’il s’agit. Sapant depuis des années, insidieusement ou ouvertement, les fondements de notre société, récusant l’ordre pourtant garant suprême de la liberté, tapant sur les forces qui précisément sont en charge de l’ordre, presque tous depuis le drame de l’Aude font concurrence de culte pour l’exemplarité du lieutenant-colonel et de sympathie pour l’uniforme. Pitoyable et révoltant à la fois.
Seuls Éric Zemmour et Xavier Raufer paraissent épargnés par cette pathologie du consensus bidon autour du lieutenant-colonel Beltrame. Nous les savions lucides et courageux, ils font honneur à leur réputation.
Raufer ose en particulier rappeler quelques vérités premières, ce qui le conduit à en conclure que Beltrame est d’abord une « victime de la politique de la ville ». Il signifie de la sorte que le chœur des pleureuses du gendarme entonne un refrain frelaté et hypocrite. Et que les moralistes politiques d’aujourd’hui sont les plus mal placés, eux qui ont contribué hier au délitement du tissu métapolitique français. Lequel a pourtant produit, par exception de résistance personnelle et de résilience culturelle, un Beltrame qui paraît tellement archaïque, malheureusement.
Hélas donc, l’hommage unanime au lieutenant-colonel Beltrame sonne faux. Chacun veut le récupérer à sa façon. Or les raisons de tous ne sont pas convergentes, ni même parallèles, elles indiquent parfois des directions franchement de sens opposés. Il en est de même de l’opinion que chacun nourrit sur les motivations ultimes du gendarme, lorsqu’il est passé à l’action, seul maître et responsable sur l’instant de ses choix. Vous en avez déjà entendu et lu trop, de ces avis plus ou moins intelligents ou autorisés, que ce soit genre élitiste ou façon café du commerce. Je garde le mien pour moi. Vous saurez seulement que je conserverai la mémoire d’un officier — donc un camarade — de devoir et que je veux croire que son sacrifice n’est pas vain.
Marc FRANÇOIS
[notre illustration à la une : le barde Assurancetourix, personnage de la bande dessinée d’Uderzo et Goscinny]