Tribunal administratif de Nice : confrontation de deux mondes
La salle d’audience du Tribunal Administratif de Nice était bien petite ce mercredi 26 février pour accueillir autant de public. Pour beaucoup l’audience s’est déroulée debout ou assis par terre sans pour autant lasser car les débats furent passionnants tout au long de deux bonnes heures.
Rappelons que cette audience publique portait sur un référé-suspension émis par un collectif d’associations, contre le permis de construire accordé par la préfecture des Alpes Maritimes à l’extension du terminal 2 de l’aéroport de Nice.
Bien plus qu’une audience juridique, le public a assisté à un échange pointu entre les défenseurs de deux vues du monde :
• le collectif d’associations qui fait une priorité de la protection de l’environnement, plus encore qu’une priorité, LA priorité,
• les trois avocats de la préfecture et de la société concessionnaire de l’aéroport (SACA : Société des Aéroports de la Côte d’Azur) qui avancent que le permis de construire ne porte que sur l’extension d’un bâtiment prétendûment exemplaire en matière environnementale.
Ce collectif, constitué de personnes toutes bénévoles, bénéficie de l’expertise exceptionnelle d’Airy Chrétien. Et pour cause : c’est un ancien pilote de ligne. De fait lorsqu’il prit la parole, on eût dit que le tribunal auditionnait un expert.
Les requérants se sont attachés à montrer que l’extension du terminal T2 est le préalable à un accroissement programmé du trafic aérien de l’aéroport.
Le mot « saucissonnage » est lancé. L’extension du terminal T2 n’est que la partie visible actuellement d’un projet bien orchestré d’augmentation du trafic aérien de l’aéroport Nice Côte d’Azur. Et donc un accroissement inconsidéré de plusieurs pollutions, parmi lesquelles la production de 60 000 tonnes supplémentaires de CO2 produites par 22 000 vols supplémentaires. Cette fuite en avant n’est pas nécessaire puisque le terminal T2 gère actuellement 14,5 millions de passagers par an, et il est dimensionné pour en gérer 17 millions. Il revient à la direction actuelle de gérer les pics de trafic quelques jours par an au lieu de faire du démarchage commercial pour vendre l’aéroport de Nice à de nouvelles compagnies aériennes.
Les requérants ne peuvent penser que le préfet des Alpes Maritimes ait pu accorder ce permis de construire sans les recommandations pressantes de sa hiérarchie. En effet le tout nouveau secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, a déclaré : « Je soutiens ce projet, je suis cohérent », mais cohérent avec quoi ? assène Thierry Bitouzé qui va jusqu’à penser que le préfet a été court-circuité et manipulé par le gouvernement. « C’est une ingérence de l’État ! » lance-t-il et rappelle que l’actionnaire principal de la concession aéroportuaire — le groupe Benetton — est entaché d’une très fâcheuse réputation puisque c’est le même qui exploitait le viaduc de Gênes qui s’est effondré le 14 août 2018.
Ce projet d’extension porte la marque d’un système économique dépassé, souvent opaque et arc-bouté sur le « toujours plus ». La Côte d’Azur est déjà très fragilisée par une sur-urbanisation délétère (lire Métropole Nice Côte d’Azur : et si l’on arrêtait de bétonner ? du 2 novembre 2019). Faut-il en rajouter pour la fragiliser encore plus ?
En conclusion les requérants font référence aux Pays-Bas et au Royaune-Uni où des extensions d’aéroports ont été rejetées par les tribunaux, comme à Bristol (lire Décision historique : le projet d’agrandissement de l’aéroport de Bristol rejeté grâce aux manifestations pour le climat).
Les trois avocats (un pour la préfecture, deux pour l’exploitant et venant de Paris… en avion probablement) sont restés sur un plan technique en s’efforçant de démontrer que :
• les associations n’étaient pas légitimes à porter ce référé-annulation,
• le sujet était le permis de construire d’une extension d’un terminal existant, et rien que cela,
• cette extension était urgente et nécessaire afin d’assurer la sécurité des passagers.
Ils ont enchaîné les maladresses et les contre-vérités qui pourraient faire douter de leurs compétences.
L’avocat de la préfecture a évoqué une « paranoïa écologique », une « angoisse collective », mais il ne pouvait ignorer la loi de 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement. Depuis lors, la législation et la jurisprudence ne cessent de renforcer ce droit. Les associations niçoises sont parfaitement légitimes pour se prévaloir de nuisances graves, sachant que plusieurs études d’impact indépendantes et convergentes montrent que l’air respiré à Nice entraîne environ 500 morts prématurées par an.
Les avocats du concessionnaire se sont enfermés dans une dialectique peu crédible : le concessionnaire doit contractuellement gérer le trafic, or celui-ci est croissant, donc il faut augmenter les surfaces d’accueil pour des raisons de sécurité notamment. La pollution des avions ? Ce n’est pas le problème puisque nous parlons ici de l’extension d’un bâtiment qui ne représente qu’une infinitésimale partie de la surface totale de l’aéroport, pistes comprises. Cela frise la mauvaise foi à tel point que le public s’est esclaffé de rire à plusieurs reprises. Morceaux choisis : « Le projet ne crée aucun trafic aérien », ou « Le nombre de voyageurs n’est pas corrélé au nombre d’avions » ou « L’aéroport de Nice est neutre en matière de carbone » ou « On ne touche pas aux pistes » ou encore lorsque le jeune avocat fit allusion à Ryan Air alors que cette compagnie n’est pas présente à Nice.
Visiblement ces avocats parisiens ne connaissaient pas leur dossier.
Ces échanges sont l’expression de deux mondes :
• Le « règne de la quantité » pour reprendre l’expression de René Guénon, celui du « Toujours plus » selon l’expression de François de Closets, le monde de l’argent-Roi et du court terme, le monde de « Après moi, le déluge ! », en fait un monde qui se meurt.
• Un autre monde qui ne veut pas mourir sous les déchets, qui privilégie la qualité de la vie, un monde à venir dont les contours restent à définir. Quel sera le prix à payer pour y arriver ? Cela est flou mais ce monde se dessine peu à peu sous nos yeux.
Que fera le tribunal administratif de Nice ? Prendra-t-il le large, comme à Bristol, en suspendant le permis de construire ? Ou bien restera-t-il par prudence sur une position conforme aux recommandations gouvernementales ?
Massimo Luce
[Notre illustration à la une : la salle du tribunal administratif de Nice
Caricature : Les avocats par Honoré Daumier]