Tous en scène avec Don Giovanni, à l’opéra de Toulon

13h51 : ça visse, ça mar­tèle, ça fixe, ça hèle ! Vous n’êtes pas sur le théâtre du chan­tier d’un troi­sième tun­nel à Toulon, mais sur le « chan­tier » très avan­cé de l’opéra Don Giovanni ! En ce début d’après-midi, tech­ni­ciens et acces­soi­ristes donnent aus­si de la voix en plan­tant le décor du deuxième tableau de l’acte I, sous le regard anxieu­se­ment concen­tré du bien­veillant Frédéric Bélier-Garcia, met­teur en scène. L’imminence de la répé­ti­tion réunit par­tiel­le­ment solistes, cho­ristes et acteurs de com­plé­ment aux abords de la scène, mais c’est bien le « Mesdames et mes­sieurs du chœur et de la figu­ra­tion, en scène s’il vous plaît ! » d’Alex qui rameute obli­geam­ment la troupe entière. S’ensuit alors, ponc­tuant les chan­ge­ments de tableaux et d’actes, un bal­let de murs et de pan­neaux qui s’en­tre­croisent, flot­tant dans les airs, d’ob­jets et de pla­teaux se mou­vant sur scène comme par leur volon­té propre, un lustre encore, des­cen­dant du ciel. Le jar­din fait place à la salle de bal, le cime­tière sur­gi­ra plus tard du noir … Imaginez votre mai­son où la cui­sine, les chambres, le pota­ger et le salon seraient une seule et même pièce modu­lable, inter­chan­geable. Pratique ! Bon, il vous fau­drait tout de même coha­bi­ter avec une quin­zaine d’hommes en noir !

Après une abs­ti­nence tou­lon­naise de huit années, le temps de res­sus­ci­ter, ce Don Giovanni « remet donc le cou­vert » dans la cité varoise, traî­nant dans son sillage sa horde de cœurs bri­sés, son harem fatal de séduc­tion mas­sive. Musicalement et dans la carac­té­ri­sa­tion, Don Giovanni est un des meilleurs opé­ras qui soient. Bélier-Garcia dit lui-même qu’il n’a­vait « jamais eu l’occasion d’être en contact avec une œuvre aus­si puis­sante ». Tirades éche­ve­lées, chants nuan­cés et mélo­dies raf­fi­nées rem­placent les mor­ceaux de bra­voure plus « spec­ta­cu­laires » du Bel Canto HD (Hauts Décibels) dont regorgent les pro­grammes tra­di­tion­nels et quelque peu fri­leux concoc­tés par les mai­sons d’opéras. La période actuelle n’est certes pas favo­rable aux nou­velles créa­tions plus coû­teuses et aux choix d’œuvres auda­cieux – les valeurs sûres sont donc de mises – pour­tant, un peu de renou­vel­le­ment et l’ex­hu­ma­tion d’œuvres bien vivantes mais « écar­tées » (…) seraient déjà les bien­ve­nus en des temps plus flo­ris­sants. Nous savons le public d’une ten­dance plu­tôt conser­va­trice et assez sui­veur, mais, quoi qu’en pensent cer­tains, réel­le­ment sen­sibles à la qua­li­té musi­cale quand on daigne lui en pro­po­ser… Le condi­tion­ner à écou­ter sai­son après sai­son un même réper­toire étroit n’est pas ce qui l’in­ci­te­ra davan­tage à diver­si­fier son champ musi­cal et, sur­tout, à raf­fi­ner son oreille !

Mais reve­nons à nos mou­tons, avec Bélier-Garcia. Natif de Nice, il fut pro­fes­seur de phi­lo­so­phie à Chicago. Il est aujourd’­hui scé­na­riste de films, met­teur en scène de théâtre et donc d’o­pé­ras. Pour deve­nir met­teur en scène, ce pas­sion­né de rug­by ne fut le pro­duit d’au­cune école, il s’est fait tout seul et, en l’oc­cur­rence, bien lui en a pris ! Il par­court la scène, sa bonne humeur et sa gen­tillesse che­villées au corps, lui pour qui le rire est la plus belle preuve d’a­mour et l’en­thou­siasme la qua­li­té qu’il appré­cie le plus. Dans ces condi­tions, la troupe moti­vée et res­pec­tée que nous sommes peut tra­vailler dans une atmo­sphère sereine, ce qui n’est pas tou­jours le cas sur les planches avec cer­tains carac­té­riels et autres pré­ten­tieux. N’oublions pas son assis­tante Caroline (assis­tants qui ne sont jamais men­tion­nés dans les pro­grammes) qui ne lésine pas sur la tâche à accomplir.

Les réci­ta­tifs n’empêchent pas une mise en scène vivante. Les dif­fé­rents tableaux pro­po­sés, de construc­tions fort géo­mé­triques, sont à l’i­mage du pro­ta­go­niste tom­beur : sou­vent tour­men­tés et d’une noir­ceur annon­cia­trice de l’a­bîme qui l’at­tend. Une obs­cu­ri­té tou­te­fois per­cée par moments de naï­ve­tés, d’in­no­cences et d’es­poir colo­rés. La dis­tri­bu­tion, ici acces­sible et sym­pa­thique, de qua­li­té, cos­mo­po­lite, regroupe le polo­nais Michal Partyka (Don Giovanni), l’i­ta­lien Simone Del Savio (Leporello), l’au­tri­chienne Nina Bernsteiner (Donna Anna), la géor­gienne Anna Kasyan (Zerlina), les amé­ri­cains Jacquelyn Wagner (Donna Elvira) et Scott Wilde (le Commandeur), l’aus­tra­lien Damien Pass (Masetto), le hon­grois Szabolcs Brickner (Don Ottavio) et le franç…euh…ah, non, déso­lé, tous les rôles sont déjà pour­vus, on vous rap­pel­le­ra ! La com­po­si­tion de Michal Partyka (le « cas­seur d’ac­ces­soires » !) ren­voie bien le carac­tère orgueilleux, l’é­go­cen­trisme et « l’e­ros-cen­trisme » invé­té­rés de Don Juan (qui n’ap­pa­raît jamais sym­pa­thique, ce qui pour­rait pour­tant appor­ter plus de force ambi­guë et de com­plexi­té encore à ce per­son­nage). Seul bémol à mon sens↓: son manque de réel cha­risme dû à une allure un peu négli­gée. Jacquelyn Wagner (qui a joué la pom­pière en évi­tant qu’un rideau de scène ne prenne feu !) est éton­nante de par l’im­pres­sion de faci­li­té déga­gée par son beau chant. Simone Del Savio est drôle et à son aise dans ce rôle de valet souffre-dou­leur et révé­la­teur de son maître, pris entre deux feux : ses scru­pules d’être au ser­vice d’un tel ani­mal et sa com­pli­ci­té qua­si indé­fec­tible envers lui, moti­vée par la crainte et l’in­té­rêt pour ses « indem­ni­tés ». Anna Kasyan et Nina Bernsteiner (une chute cha­cune en répé­ti­tion, fina­le­ment sans gra­vi­té !) nous gra­ti­fient de leurs voix pures, peut-être d’un lyrisme par­fois un chouia appuyé pour la pre­mière. Toute la dis­tri­bu­tion y met du cœur et de la voix en tous les cas ! Alors venez vous lais­ser séduire – sans risque pour vous, mes­de­moi­selles et mes­dames – par « Don Giovanni » qui, ne l’ou­bliez pas, n’est tout de même qu’un « dram­ma gio­co­so » : un drame joyeux !

Eric Suria

Dates des repré­sen­ta­tions : mar­di 20 et ven­dre­di 23 mai à 20h, dimanche 25 mai (*) à 14h30 et mar­di 27 mai à 20h.

* L’opéra sera pro­po­sé une nou­velle fois en audio-des­crip­tion le 25 mai, après le coup d’essai lors de la repré­sen­ta­tion de Macbeth du 27 avril der­nier, pour les spec­ta­teurs aveugles et mal­voyants. L’orchestre sera diri­gé par Rani Calderon. Une pro­duc­tion de l’Opéra de Marseille.

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