L’Hebdo Varois 07–2016

Un portefeuille ministériel, ça tient à rien, ou presque

Dés le départ, les hasards de la nomi­na­tion y prennent plus de place que les mérites ou les com­pé­tences. Proximité avec le chef de l’Etat ou le Premier ministre, ser­vices ren­dus dans un pas­sé mili­tant, sou­tien appuyé d’un par­ti, sub­til dosage des sen­si­bi­li­tés poli­tiques, mode à l’ouverture ou au contraire cabi­net res­ser­ré, sacro-sainte pari­té, il existe beau­coup de fac­teurs d’influence, dans tous les sens. Pour conser­ver son maro­quin, là aus­si ça se joue à peu de choses. Une décla­ra­tion intem­pes­tive, un pro­pos mal­adroit, une atti­tude publique inop­por­tune, il n’y a pas besoin d’un désac­cord poli­tique impor­tant avec la ligne gou­ver­ne­men­tale pour être débar­qué. Ni d’une insuf­fi­sance tech­nique, même crasse. Le manque de connais­sance élé­men­taire du monde et du droit du tra­vail n’a pas empê­ché Myriam El Khomri d’être nom­mée, puis gar­dée, mal­gré le ridi­cule infli­gé en direct par Jean-Jacques Bourdin sur BFM et RMC. Jugez vous-même. Au fond, plus c’est gros, plus ça passe. Dans la forme en revanche, un détail suf­fit, sur­tout s’il se pro­duit pile au moment très média­tique d’un remaniement.

La ministre de l’éducation aurait pu se trouver menacée

On aurait pu pen­ser par exemple que le poste de Najat Vallaud-Belkacem était en dan­ger lors du mini-cas­ting gou­ver­ne­men­tal de la pre­mière semaine de février 2016.

La ministre n’est pas en odeur de sain­te­té auprès du corps ensei­gnant. Si lune de miel il y a eu, elle semble ter­mi­née. Les com­mu­ni­qués et les petites phrases de jan­vier 2016 ont confir­mé ce début de divorce entre le minis­tère d’un côté, les syn­di­cats et sur­tout les profs eux-mêmes de l’autre. Illustration dans notre région, l’ambiance lors de la mani­fes­ta­tion du 28 jan­vier 2016 : (voir notre article du 28 jan­vier 2016).

Parallèlement Najat Vallaud-Belkacem a accu­mu­lé les pro­vo­ca­tions et les bévues ces der­niers temps. Très récem­ment, dimanche 24 jan­vier pré­ci­sé­ment, elle a com­mis une bourde média­tique qui aurait pu, sinon lui être fatale, du moins faire pâlir un peu plus son étoile. Invitée de l’émission « Le Supplément » sur Canal +, elle est ame­née à côtoyer sur le pla­teau le repré­sen­tant d’une orga­ni­sa­tion isla­miste connue notoi­re­ment pour son enga­ge­ment iden­ti­taire et com­mu­nau­ta­riste. Qui répète qu’il ne serre jamais la main des femmes. Réaction de l’ancienne ministre des droits des femmes, actuelle pro­mo­trice des valeurs d’égalité et de pari­té à l’école ? Aucune.

Tout juste s’est-elle sen­tie « mal à l’aise ». On l’eut été à moins. On se serait atten­du à plus. En par­ti­cu­lier de la part d’une pas­sio­na­ria habi­tuel­le­ment plus loquace et bel­li­queuse lorsque les « valeurs répu­bli­caines » sont mena­cées. Fut-elle inti­mi­dée de façon sub­li­mi­nale par le bar­bu ? Ou sim­ple­ment para­ly­sée par l’impossible équa­tion qu’elle avait à résoudre en quelques secondes : soit conti­nuer à van­ter les ver­tus du vivre ensemble, le rêve en dif­fé­ré, soit se rendre à l’évidence catho­dique, le réel en direct. On devine la dif­fi­cul­té de l’exercice pour une ministre d’un gou­ver­ne­ment fran­çais qui ne fait pas mys­tère de sa pré­fé­rence pour ses ori­gines maro­caines : consta­ter que ce n’est pas la pré­ten­due isla­mo­pho­bie qui crée le repli com­mu­nau­taire et menace de faire écla­ter la France, ce n’est pas conforme au caté­chisme de l’antiracisme.

Démission forcée ou remaniement piégé, ça n’aurait rien changé

D’une part un res­sen­ti qui monte chez les ensei­gnants, un ras-le-bol qui couve et va bien­tôt débor­der. D’autre part un zèle anti­ra­ciste exa­cer­bé et sélec­tif, qui indis­pose chez ses adver­saires mais aus­si à l’intérieur de son camp. Belkacem était elle sur le point de connaître un départ à la Taubira ? La démis­sion de la ministre de l’éducation aurait-elle chan­gé-elle la donne ? Pas sûr que la désas­treuse poli­tique actuelle en serait modifiée.

Les orien­ta­tions péda­go­giques ne varient guère selon les alter­nances élec­to­rales. Il y a une conti­nui­té idéo­lo­gique constante depuis 1945, tou­jours du même côté. Normal, ce sont les syn­di­cats majo­ri­taires qui font la loi dans l’éducation natio­nale, les ministres se suc­cèdent et tentent de leur résis­ter le plus pos­sible, ça com­mence à comp­ter du jour même de leur nomi­na­tion. Avec plus ou moins de bon­heur ou de lon­gé­vi­té. Pendant ce temps, le minis­tère est géré par des hauts-fonc­tion­naires inamo­vibles, tous com­mu­nistes, socia­listes ou gau­chistes, selon la tra­di­tion, et anti­ra­cistes voire isla­mo­philes pour les plus modernes. Ils regardent pas­ser les ministres tour à tour. Ce sont eux qui font signer aux ministres les cir­cu­laires qu’ils ont rédi­gées. Lesquelles vont tou­jours dans le même sens, quelle que soit l’origine de la loi ou l’appartenance poli­tique du ministre. La cir­cu­laire, le règle­ment, la note d’orientation, ce sont les ins­tru­ments des fonc­tion­naires, péda­go­gistes et idéo­logues. Les outils qui leur per­mettent d’amplifier – ou au contraire de déna­tu­rer – n’importe quelle volon­té de réforme de tout ministre, de quelque bord qu’il (ou elle) soit.

Depuis les débuts de la Ve République, la démis­sion du ministre de l’Éducation natio­nale a tou­jours été à la mode chez les ensei­gnants. C’est un sujet d’ar­ticle qui pos­sède le bon­heur de se trou­ver en per­ma­nence dans l’air du temps. Souvent le nou­veau nom­mé fait l’ob­jet de paris en salles des profs, pour savoir com­bien de temps il va tenir. Selon son pro­fil et la conjonc­ture du moment. En réa­li­té selon le sur­sis que lui don­ne­ra ou non la sainte alliance des syn­di­cats d’en­sei­gnants et des fonc­tion­naires poli­ti­que­ment cor­rects. Le conglo­mé­rat de tous ces gens peu­plant le minis­tère et les rec­to­rats depuis le plan Langevin-Wallon. Résultat pour part de la funeste idée d’in­clure en 1945 des membres du PC au gou­ver­ne­ment. Aggravé par les pas­sages de la gauche au pou­voir depuis 1981.

La durée de vie au maro­quin du mon­sieur ou de la dame en charge de l’une des res­pon­sa­bi­li­tés poli­tiques pre­mières est pour­tant impor­tante, car déter­mi­nante. Les consé­quences sont la plu­part du temps irré­ver­sibles, comme pour la démo­gra­phie. Or le sort du ministre, res­pon­sable de la for­ma­tion des Français des géné­ra­tions sui­vantes, a tou­jours res­sem­blé à celui d’une marion­nette dont les fils son tenus par d’autres. Pas prin­ci­pa­le­ment le chef du gou­ver­ne­ment ou de l’Etat, d’ailleurs. Quelles que soient la com­pé­tence, la volon­té et le cou­rage de l’im­pé­trant. Quelle que soit la cou­leur du gou­ver­ne­ment de pas­sage. Quels que soient les appuis des milieux ou des per­son­nages les ayant nom­més ou les sou­te­nant. Même l’appartenance à une loge ou la connexion avec d’autres organes d’in­fluence n’a pas suf­fi à don­ner du temps à plu­sieurs ministres de l’éducation natio­nale, qui ne man­quaient pas tous de personnalité.

Alors, si Najat Vallaud-Belkacem avait démis­sion­né, ou avait été démis­sion­née d’office, ou encore si elle avait été « rema­niée », vrai­sem­bla­ble­ment rien n’aurait chan­gé. Personne n’imagine que Jean-Jacques Urvoas va mener une poli­tique pénale dif­fé­rente de celle de Christiane Taubira. Encore moins qu’il revien­dra sur les lois, règle­ments et cir­cu­laires qu’elle a laissés.

Marc FRANCOIS, Toulon, 15 février 2016