L’Empire du Milieu au milieu de la tourmente

par | 7 mars 2020 | Aucun com­men­taire

Le rêve mondialiste s’écroule en Chine

« Un habi­tant sur cinq de la pla­nète est chi­nois. L’avenir est chi­nois. Je fais apprendre le chi­nois à mes enfants car, demain, dans les entre­prises, par­ler chi­nois sera obli­ga­toire pour être per­for­mant dans la mon­dia­li­sa­tion du com­merce ». Je résume ici ce qu’on disait dans les médias et les milieux « bran­chés » et sur­tout « pros­pec­tifs » des affaires. Alain Peyrefitte - Quand la Chine s'éveillera

C’était l’é­poque du best-sel­ler d’Alain Peyrefitte « Quand la Chine s’é­veille­ra… », sous-titré « … le monde trem­ble­ra ».

Côté mode dans le vent, j’ai enten­du, un proche me dire : « Nous connais­sons un jeune couple qui s’est ins­tal­lé à Shangaï pour avoir des amis chi­nois, car la Chine c’est une culture mil­lé­naire qui fonce à toute vitesse dans la moder­ni­té ». J’ai éprou­vé de la pitié pour ce jeune couple, igno­rant tout de notre patri­moine civi­li­sa­tion­nel fran­çais, qui rêvait d’un monde fan­tas­ma­tique où une sagesse aux yeux bri­dés se ferait vir­tuose du numérique.

Les ruches affai­ristes ne juraient que par les ver­ti­gi­neux pro­fits réa­li­sés par l’or­ga­ni­sa­tion mon­dia­li­sée du com­merce appuyée par sur une finance elle aus­si mon­dia­li­sée. Le grand dra­gon jaune plan­tait ses griffes sur tous les conti­nents et l’Europe s’émerveillait de rece­voir des bataillons d’étudiants chi­nois affa­més d’appréhender notre culture et notam­ment toutes nos tech­niques pour ensuite les copier dans l’(ex)Empire du Milieu. Qu’importe si la dic­ta­ture com­mu­niste tenait le pays d’une main de fer. La Chine bom­bait le torse face à un « vieux conti­nent » sour­noi­se­ment tra­vaillé par l’Open Society du mil­liar­daire George Soros dont le titre résume par­fai­te­ment le pro­gramme : la socié­té qui vient doit-être « ouverte ». Et même « nomade » affirme le pro­phète Attali. L’Occident appre­nant conscien­cieu­se­ment le caté­chisme de la repen­tance tan­dis que l’Extrême-Orient ne cachait plus ses vel­léi­tés expan­sion­nistes en ache­tant par­tout où il le pou­vait des ports, des aéro­dromes, des vignobles et sur­tout des terres agri­coles. La Chine, avec ses seuls tech­ni­ciens et maté­rieux, construi­saient des voies de che­min de fer en Afrique et des­si­nait une nou­velle route de la soie.Routes de la soie

En vérité, la nouvelle Chine du troisième millénaire présentait un visage déconcertant

Officiellement tou­jours com­mu­niste, avec ses déploie­ments de dra­peaux rouges et l’ef­fi­gie de Mao à tous les coins de rue, elle s’est conver­tie au capi­ta­lisme et a mis un point d’honneur à réa­li­ser des per­for­mances dans l’économie de marché :

Coffre-fort

La fau­cille, le mar­teau et le coffre-fort

Et c’est ici qu’il faut s’interroger sur ce qui est arri­vé à cette nation ayant réus­si l’effarant exploit d’accou­pler les deux régimes qui furent vio­lem­ment anta­go­nistes au XXe siècle. De sur­croît deux régimes uni­que­ment fon­dés sur une dia­lec­tique maté­ria­liste : une pro­duc­tion mas­sive, uni­for­mi­sée et de piètre qua­li­té dont le trop plein doit être déver­sé sur le monde entier désar­mé par une concur­rence déloyale. Lors d’une dis­cus­sion récente avec un jeune et brillant(issime) ingé­nieur en infor­ma­tique, ce denier est demeu­ré stu­pé­fait en m’entendant lui dire que, durant des mil­lé­naires, les civi­li­sa­tions n’eurent pas pour pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale l’économie. Certes, ce registre a tou­jours exis­té comme une néces­si­té assu­rant leur sub­sis­tance aux indi­vi­dus. Toutefois, domi­nant les cités, les temples ne ras­sem­blaient pas des tra­ders. Le Parthénon n’était pas Wall Street ni Chartres la City. Et tout le monde sait qu’un cer­tain Galiléen a chas­sé les mar­chands hors du temple.

Jan Sanders Van Hemessen - Christ chassant marchands Temple

Jan Sanders Van Hemessen – Le Christ chas­sant les mar­chands du Temple

Mais le citoyen moderne a été for­ma­té pour consi­dé­rer que l’économie est l’obligatoire pivot d’une socié­té. Le mar­xiste comme le capi­ta­liste fondent leur vision du monde sur la pro­duc­ti­vi­té ; qu’elle soit sous contrôle d’État ou livrée à la libre concur­rence. Leurs mondes rivaux réduisent en fait tous les deux l’Homme à une enti­té uni­di­men­sion­nelle, sans culture, sans Histoire, réduit à un pro­duc­teur-consom­ma­teur, l’homo eco­no­mi­cus.
En assi­mi­lant les deux, avec pour consé­quence une popu­la­tion que pré­oc­cupe uni­que­ment (ou presque) la pos­ses­sion de biens maté­riels, la Chine com­mu­nis­to-capi­ta­liste se devait d’é­ra­di­quer son iden­ti­té la plus authen­tique. En effet, la notion d’ « Empire du Milieu » n’était pas une for­mule pom­peuse rimant avec creuse. Le nom en idéo­grammes est tel­le­ment par­lant qu’on en arrive à se poser la ques­tion sui­vante : compte tenu de la signi­fi­ca­tion sym­bo­lique des signes uti­li­sés com­ment une telle déno­mi­na­tion a‑t-elle été occul­tée par tout un peuple ? Exception faite cer­tai­ne­ment d’érudits dont la sur­vie dépen­dait de leur obli­ga­tion d’ignorer toute inter­pré­ta­tion spi­ri­tuelle. Voici ce nom :Empire du Milieu

L’idéogramme à main gauche sty­lise une flèche plan­tée au milieu d’une cible (dans la Chine ancienne les cibles étaient car­rées). La notion expri­mée est celle de « milieu » avec, on s’en doute, celle de « jus­tesse » et donc de « pré­ci­sion ». Il y aurait beau­coup à dire sur l’ascèse que néces­site le tir à l’arc et, bien avant l’intégration au Zen japo­nais de cette dis­ci­pline, on sait, comme le rap­porte l’éminent sino­logue fran­çais Marcel Granet(1), qu’à la cour impé­riale viser une cible impli­quait non seule­ment une réelle adresse pour atteindre le centre mais encore néces­si­tait de faire preuve d’une élé­gance cor­po­relle dans le manie­ment de cette arme de jet. La notion de « milieu » connote ici des qua­li­tés se trans­po­sant dans un domaine éthique. La com­po­sante qua­li­ta­tive est indu­bi­ta­ble­ment pré­sente dans ce qui vient d’être dit. Appartenir à ce que sous-entend ce « milieu » exige une maî­trise et une « jus­tesse » dans le com­por­te­ment qui n’est pas sans rap­pe­ler la notion grecque de Dikè(2), terme que l’on tra­duit par « jus­tice », celle qu’exigent les Olympiens ; et ce, en oppo­si­tion à l’Hubris carac­té­ri­sant la déme­sure, autre­ment dit ce qui trans­gresse un équi­libre har­mo­nieux. « L’Homme mesure de toute chose » disait le Grec Protagoras.

Temple Apollon Delphes - Rien de trop - Connais toi toi-même

Au fron­ton du temple d’Apollon à Delphes : Rien de trop et Connais toi toi-même

Le second idéo­gramme est en réa­li­té un assem­blage de deux figures. D’abord le car­ré sty­li­sant un ter­ri­toire posi­tion­né selon les quatre hori­zons des points car­di­naux et on constate immé­dia­te­ment la paren­té avec la cible pro­pre­ment dite. L’idéogramme que contient ce car­ré signi­fie le jade,Idéogramme jadepierre de per­fec­tion sou­vent en rap­port avec le ciel(3). À ce pro­pos, le maître du pan­théon chi­nois est appe­lé l’ « Auguste de jade ». La cou­leur du jade serait celle d’une terre verte (féconde, garante d’abondance, en un mot « para­di­siaque »)(4) mais « spi­ri­tua­li­sée » par la signi­fi­ca­tion de ce miné­ral que pri­vi­lé­gie le ciel.

Ces brèves expli­ca­tions montrent que, pour l’ancienne Chine, appar­te­nir à l’Empire du Milieu néces­si­tait la com­pré­hen­sion de don­nées d’ordre moral et même spi­ri­tuel requé­rant un com­por­te­ment appro­prié, sinon de chaque indi­vi­du, du moins de ceux à qui l’on confiait des res­pon­sa­bi­li­tés, à com­men­cer par les lettrés.

René Guénon, dans l’un de ses ouvrages essen­tiels, paru en 1945, Le Règne de la Quantité, expli­quait fort per­ti­nem­ment que la quan­ti­fi­ca­tion des choses ne pou­vait se faire qu’au détri­ment du fac­teur qua­li­ta­tif et, d’une façon géné­rale, allait fata­le­ment s’accentuer durant les temps qui allaient venir.

Dans les années 60, un peu plus de deux mil­liards d’individus peu­plaient le monde. À ce jour, ils sont plus de sept mil­liards, bien­tôt huit. La Chine a un mil­liard et demi d’habitants et arrive en tête de toutes les nations. Ce pays, où Le Règne de la Quantité s’affiche par une effa­rante sur­po­pu­la­tion, s’est donc doté d’un régime conjoi­gnant les deux types de socié­tés – mar­xiste et capi­ta­liste – les plus signi­fi­ca­ti­ve­ment maté­ria­listes.

Les anciens sages taoïstes n’auraient pas manqué de voir dans le coronavirus la résultante dramatique d’un reniement collectif de ce que signifiait le nom de la Chine

La des­truc­tion sys­té­ma­tique par le maoïsme de toute l’ancienne culture chi­noise, fon­dée sur une per­cep­tion spi­ri­tuelle de l’existence, s’est pour­sui­vie avec une occi­den­ta­li­sa­tion des consciences et son corol­laire la par­ti­ci­pa­tion sans réserve à la socié­té mar­chande. Et nous décou­vrons que feu l’Empire du Milieu a été recon­ver­ti en une gigan­tesque usine pro­dui­sant tout ce qui consti­tue le quo­ti­dien socié­tal : des vête­ments aux voi­tures et des télé­phones aux médi­ca­ments. La Chine s’est ven­due à la mon­dia­li­sa­tion et même, en accep­tant de jouer à fond la carte d’un plan pla­né­taire de répar­ti­tion de tra­vail, a per­mis de vali­der un pro­jet de socié­té glo­bale d’où, bien­tôt, les spé­ci­fi­ci­tés natio­nales et régio­nales seraient impi­toya­ble­ment éradiquées.

Le « péril jaune », épou­vante de nos grands-parents, ne s’est pas pro­duit comme cau­che­mar­dé, avec hordes asiates tro­quant che­vaux et lances pour des blin­dés héris­sés de canons et de mitrailleuses. Ce péril s’est concré­ti­sé autre­ment : le cin­quième de la popu­la­tion ter­restre s’est mis au ser­vice de la mon­dia­li­sa­tion.
Mais voi­là qu’un virus inopi­né est venu cham­bou­ler ce Nouvel Ordre Mondial concoc­té par des ins­tances diri­geantes qui se retrouvent offi­ciel­le­ment à Davos et secrè­te­ment Dieu sait où.

Virus inopiné ? Pas tout à fait…

Tube essai laboratoire… puis­qu’un impor­tant labo­ra­toire de Wuhan, lieu ini­tial de l’épidémie, tra­vaillait pré­ci­sé­ment sur cet agent patho­gène. Est-ce à dire qu’on en connais­sait la redou­table nui­sance et qu’en haut-lieu la déci­sion fut prise de ten­ter de le neu­tra­li­ser ? Toujours est-il que ledit virus s’est vrai­sem­bla­ble­ment échap­pé des éprou­vettes du laboratoire.

Il y a exac­te­ment un siècle, la grippe dite « espa­gnole » était par­tie de Chine. Sinistre anni­ver­saire. Depuis quelques semaines, en Europe, des voix com­mencent timi­de­ment à se faire entendre et remettent en ques­tion la socié­té mon­dia­li­sée. On parle de rapa­trier des usines tan­dis que gran­dit le spectre de se trou­ver pri­vés de médi­ca­ments en grande par­tie pro­duits en Chine, comme cha­cun le sait main­te­nant. La mon­dia­li­sa­tion a aus­si du plomb dans l’aile – jeu de mots inévi­table ! – avec la crainte de se dépla­cer en avion. L’ère de L’Homme nomade, rêvée par Attali et d’autres pen­seurs uni­ver­sa­listes, pro­mue par tous les organes de pro­pa­gande, est mena­cée par un enne­mi microscopique. Jacques_Attali_Homme_nomade

Quant au vivre ensemble avec la com­mu­nau­té asia­tique, il fau­dra repas­ser : les res­tau­rants du genre Délices de Pékin sont déser­tés. En outre, pen­dant quelque temps, les habi­tués des stades se conten­te­ront de suivre les matchs sur leur petit écran tan­dis que leur équipe joue­ra devant des gra­dins vides. Peut-être qu’en phase 3 d’une épi­dé­mie aux ambi­tions de pan­dé­mie, l’âge des foules sera révo­lu. Le mon­dia­lisme sera mort d’une catas­trophe mon­diale et, d’ores et déjà, il est urgent de pri­vi­lé­gier le loca­lisme et de se dire que le retour à la nation et à ses régions serait une solu­tion de bon sens. Et même, osons le dire, de sau­ve­tage de la civilisation.

Walther

(1) Dans son ouvrage inti­tu­lé Danses et Légendes de la Chine ancienne, Éditions Presse Universitaires de France.
(2) Cf. Jean-Pierre Vernant, Mythe et pen­sée chez les Grecs, Éditions Maspero, Paris, 1965, cha­pitre 1.
(3) Il est fort pro­bable que la cou­leur vert-pâle du jade ait été mise en rap­port avec la teinte du ciel, au matin et le soir, près de l’horizon. En effet, si l’on concentre son atten­tion sur ce sec­teur céleste, aux heures indi­quées, on s’apercevra que l’azur laisse trans­pa­raître une teinte d’un vert très pâle, comme si le vert de la végé­ta­tion ter­restre se trans­muait sub­ti­le­ment en azur.
(4) La signi­fi­ca­tion sym­bo­lique de la « verte Eire », avec ses quatre contés répar­tis selon les points car­di­naux et com­por­tant un « royaume de Midhe » (terme signi­fiant « Milieu »).

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Walther

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