L’Hebdo Varois 10–2016
Ceci devait arriver. C’est fait. Depuis hier soir 9 avril 2016. Dans le mythique et vénérable stade Yves du Manoir à Colombes. Face à un adversaire valeureux, le Racing 92, successeur du prestigieux Racing-Club de France. Sur un score serré (19−16) écrit à la toute fin de la rencontre. Après trois ans de règne sans partage, le Rugby-Club Toulonnais rend sa couronne de champion d’Europe.
Quitte à tomber, autant le faire contre un adversaire digne de soi, après avoir lancé toutes ses forces dans le combat, en un lieu symbolique. Les trois conditions étaient réunies lors de ce quart de finale indécis et engagé de la première à la dernière seconde.
Un adversaire constant et intelligent
Le Racing était hier, comme depuis le début de sa saison, une équipe contre laquelle il n’est pas déshonorant de perdre. Certes les ciel et blanc n’ont pas mis leur patte sur le match. L’avantage en termes de possession fut plutôt rouge et noir. Les parisiens n’ont guère envoyé de jeu, du moins du 10 au 15 : on a surtout vu le pack à la manœuvre. Et encore s’est-il fait dominer en mêlée fermée par son homologue toulonnais. Même l’essai du Racing ne vient pas d’une phase construite après plusieurs temps de jeu, c’est l’opportunité d’une interception, offerte comme un cadeau involontaire par les Toulonnais eux-mêmes. Mais les joueurs du Racing ont su rééditer ce qu’ils déroulent à merveille depuis plusieurs mois. A savoir bien défendre avec abnégation et courage, savoir mettre leurs opposants à la faute, profiter des opportunités lors des failles de l’adversaire. Comme par exemple l’essai d’Imhoff ou la dernière pénalité de Machenaud, se rattrapant de la précédente ratée en position très favorable.
Toulon a tout tenté, en vain
C’est dans l’honneur que le RCT a été battu. Les joueurs sont restés debout, les armes à la main, jusqu’à la fin. Le combat fut intense et acharné. Les organismes étaient épuisés des deux côtés. A tel point que l’on se demande comment se serait déroulée la prolongation, hypothèse la plus vraisemblable encore à trois minutes de la fin du temps réglementaire. On attendait le choc des deux poids lourds, dans tous les sens du terme, du Top 14, on n’a pas été déçu. D’ailleurs les stigmates ont commencé à apparaître en cours de match. Dumoulin et Szarszewski, dans le camp du Racing, ont quitté prématurément le terrain, alors que Carter touché restait mais ne pouvait plus butter. Ollivon ne revenait pas en jeu pour la seconde mi-temps, pour Toulon.
Le RCT a souvent mis la main sur le ballon, mais n’a pas su scorer sur ses temps forts. A ce niveau, c’est rédhibitoire. Surtout que l’on savait que les deux équipes étaient tellement proches que ça se jouerait sur des détails. Un seul même : la faute de Chilachava à deux minutes de la fin, alors que son action n’apportait rien à son équipe, qui n’était pas en danger sur ce ruck.
On en parlera longtemps au bord de la rade. Comme du choix de Mermoz, après une belle valise, de servir à l’intérieur alors qu’un deux contre un, type cas d’école de rugby, s’offrait côté ouvert, avec appel de balle de la part de l’ailier, qui plus est…
Un lieu symbolique
Quitter la scène à Yves du Manoir n’a rien de honteux. Le Racing avait mérité de recevoir à domicile pour ce quart de finale. Cette équipe s’était donné la peine d’accomplir un parcours exemplaire en poule. Alors que Toulon, au même moment, avait plusieurs fois frôlé la correctionnelle. Le billet pour les quarts n’avait été arraché sur le terrain de Bath que lors du dernier match. Des confrontations antérieures s’étaient terminées par des résultats heureux. Voir notamment nos hebdos varois 02–2016 et 03–2016.
Colombes, c’est un morceau important de l’histoire du rugby en France. Jusqu’à l’aube des années 70, c’est là que l’équipe de France recevait deux fois par an ses adversaires, dans ce qui s’appelait alors le Tournoi des cinq nations. Ainsi que, une année sur deux, la Roumanie qui possédait à l’époque une équipe de rugby digne de ce nom. Avant que ne soit mis à disposition le nouveau Parc des Princes. Lequel remplira son office jusqu’à ce que le Stade de France, trop ouvert et sans âme ovale, prenne la relève en 1998. Le Racing 92, club résident de Colombes, va bientôt le quitter pour le complexe très attendu de l’Arena. Professionnalisme oblige. Que d’exploits et d’émotions resteront dans la mémoire des amoureux du jeu. Au moins à Toulon, les plus nostalgiques d’entre nous pourront tout simplement continuer à passer devant Mayol pour raviver leurs souvenirs. Même si le lieu est en train de bénéficier d’une toilette qui va en modifier l’aspect, fondons l’espoir que l’âme y demeurera intacte.
Le temps n’est pas aux regrets, il faut se tourner vers la fin de saison
Le rideau étant tiré sur la coupe d’Europe de cette année, on se consolera en pensant que le record de trois titres d’affilée va être pour les successeurs difficile à égaler, encore plus à battre. C’est tout le bien que l’on souhaite au Racing. Il lui faudra toutefois vaincre les tigres de Leicester en demi-finale. Puis, en cas victoire, gagner contre le vainqueur de Wasps-Saracens en finale ! Bon courage. Et recommencer pendant au moins trois années de suite…
Pendant ce temps, si Toulon arrive à maîtriser ses problèmes d’indiscipline, fort justement pointés par Bernard Laporte à l’issue du match d’hier, et si la question du buteur est réglée, alors une véritable opportunité de reconquérir le bouclier de Brennus se profile. Le Racing va être occupé par l’Europe, Toulouse ne paraît pas en grande forme, Clermont nous réussit plutôt bien lors des phases finales. Quelqu’un d’autorisé, qui pourtant n’est pas avare d’habitude de déclarations à l’emporte-pièces, ne dit pas autrement : le président Mourad Boudjellal semble en effet avoir été touché, sinon par la grâce, du moins par la retenue et le bon sens, quand il dit que cette défaite, « qui devait bien arriver un jour », « permet de libérer deux dates et de bien se préparer pour les phases finales du top 14 ».
Dans ces conditions, on peut rêver d’un nouvel exploit toulonnais sous forme de record : une quatrième saison non blanche consécutive pour le RCT.
Marc FRANÇOIS, Toulon, 11 avril 2016