Halloween, tradition celtique ou temps des spectres
La première image du film d’épouvante de Steve Miner, Halloween, 20 ans après, montrait un grand couteau de cuisine transperçant une citrouille pour, on le devine, en faire une tête éclairée de l’intérieur, accessoire irremplaçable autant qu’enseigne lumineuse de cette grande fête des fantômes également perçue comme un carnaval des mythes et des légendes.
Halloween correspond à notre jour chrétien de la Toussaint ainsi qu’à celui des défunts, en début novembre, mais à cette différence près qu’il s’agit, outre Atlantique, d’une fête essentiellement folklorique héritée de l’ancien monde des Celtes.
En effet, sous le nom de Samain on célébrait, dans les territoires occupés par les sociétés celtiques, la dernière nuit de l’année écoulée, le trente et un octobre, ainsi que l’aube de la nouvelle, le premier novembre. La Samain constituait donc l’équivalent de notre Saint-Sylvestre mais deux mois plus tôt. En réalité, comme le souligne Françoise Le Roux et Charles Guyonvarc’h, « Samain n’appartient ni à l’année qui se termine, ni à celle qui commence : la fête est une « période close » en dehors du temps et elle est donc le moment unique où les hommes peuvent communiquer avec les gens de l’Autre Monde »(1).
Cet Autre Monde est une sorte d’univers parallèle au nôtre dans lequel s’est réfugié le peuple féerique de la déesse Dana occupant le sol irlandais.
Ceux de Dana cédèrent leur place à de nouveaux arrivants, les Goidels, incarnant l’Humanité ordinaire ou, si l’on préfère, l’humaine condition. Le temps des êtres semi-divins est désormais révolu mais, une fois par an, lors de la Samain, des brèches s’ouvrent entre les deux mondes. Remarquons que la Samain devenue Halloween a pour équivalent, à six mois de distance, de l’autre côté de l’année, la fameuse nuit de Walpurgis (précédant le premier mai) qui, dans le folklore germanique cette fois, marque le rassemblement des sorcières et des démons pour un sabbat évidemment « endiablé ».
Au sujet des démons, précisément, il faut savoir que le peuple de Dana est entré en conflit avec les redoutables Fomoirés, créatures incarnant « les forces démoniaques, infernales et obscures »(2). On les décrit comme « physiquement horribles, difformes et méchants »(3). Après plusieurs confrontations armées, ceux de Dana, représentant le domaine lumineux, l’emportèrent. Et cela, lors d’une Samain.
Par leurs déguisements en créature appartenant au fantastique – lutins, enchanteurs, magiciens ou fées – les enfants qui entrent dans le grand jeu d’Halloween, mais aussi les adultes, toujours plus nombreux se joignant à eux, s’identifient inconsciemment au peuple de Dana. Quant à tous les autres préférant se grimer en sorcier(es), variantes de la méchante fée Carabosse, démons ou spectres effrayants, ils endossent, là encore sans le savoir, les dépouilles des Fomoirés.
Durant ces journées, que toutes sortes d’accoutrements, n’ayant, certes, plus grand rapport avec la procédure initiale consistant à se costumer selon les canons de la féerie, s’ajoutent aux cortèges des masques importe peu. Ce sont les rejetons de la littérature et du cinéma fantastique mais aussi de l’heroic fantasy et de la science-fiction, changés en loups garous, vampires (dûment estampillés carpatiques), momies échappées d’un musée, zombies version Hollywood, et guerriers rêvés par Robert E. Howard(4), John Ronald R. Tolkien ou, plus récemment, Georges R. R. Martin créateur du très convoité Trône de Fer. À côté de ces personnages surgissent des humanoïdes galactiques sortis de Star Trek ou de Star Wars et ces nouveaux venus confirment à leur façon qu’Halloween se veut la célébration populaire et festive de l’imaginaire. Comme jadis en terre celtique et particulièrement dans la verte Eire, la nuit de Samain s’ouvre toujours sur un univers de dieux et de héros.
Mais pourquoi transformer une citrouille en tête lumineuse ? Précisons d’abord que sa fabrication est une sorte d’acte rituel : on se procure un potiron de belle taille et, après l’avoir creusé et percé de quatre orifices pour qu’apparaisse un visage réduit à l’essentiel (yeux, nez, bouche), on allume une bougie qui, glissée à l’intérieur, va lui donner vie. Notons que la bouche nécessite d’être découpée avec soin : parfois en croissant, pour signifier un rire sarcastique (aux dépends de qui ?) ; ou alors béante afin, dirait-on, de clamer quelque chose d’essentiel ; ou encore comme pour un cri (de terreur ou d’avertissement ?).
Ce simulacre de visage pourrait nous inquiéter car il fait que se conjoignent – d’où un certain malaise – la tête de mort et la face du clown, selon une ambiguïté chère à Stephen King. Pareille citrouille spectrale participait jadis aux divertissements de notre Europe campagnarde ; et ce, bien avant que l’Amérique n’en fasse, dans tous les sens du terme, la « figure » emblématique d’Hallowen. Toutefois, hormis un bout de chandelle, vacillante veilleuse, que recèle donc ce crâne végétal ? En apparence rien de tangible mais une formidable signifiance. Tentons d’en dire quelques mots.
Dans le langage populaire, la « citrouille » est évidemment la tête. Les vrais Provençaux diront la « cougourde ». Il convient donc de sculpter sommairement un chef que l’on va ensuite muer en une lanterne… Comme pour éclairer nos interrogations sur tout ce que symbolise la fête dont cette courge est le personnage le plus important, disons la « grosse légume ». Alors posons-nous la question suivante : ne s’agirait-il pas de substituer à notre propre tête, par « magie imitative », une autre caboche élaborée à partir d’une citrouille ? Car cette légumineuse, rappelant quelque chaudron druidique, est parfois, au hasard d’un enchantement, sujette à métamorphose, comme nous l’assurent les contes de fées.
Sans citrouille, point de carrosse pour Cendrillon. La bouille jardinière d’Halloween, c’est d’abord notre crâne, autrement dit notre mental, qu’il a fallu « vider » de ses pesanteurs telluriques existentielles, de son trop plein d’inutilité. Chamanisme et yoga font écho à un certain galiléen disant à ses disciples : « Videz-vous et je vous emplirai ». De quoi ? De lumière puisque celui qui parle a été désigné comme la Lux mundi.
L’allusion à la tête de mort n’était pas fortuite : un tel « évidement » sert à imager la notion de « mort initiatique » (au monde profane). Ce vidage confère alors au crâne une fonction de réceptacle, de temple pour que resplendisse la flamme de l’esprit divin. Doublant la nôtre, cette tête chamanique manifesterait l’illumination intérieure ; réminiscence d’un âge où certains êtres – le peuple de Dana, par exemple – portaient en eux l’éclairement de leur surnature. Le feu du Saint Esprit ou l’auréole des saints en constitue la formulation chrétienne, tandis que le nom d’un druide aussi célèbre qu’un certain Merlin l’enchanteur, Taliesin, signifiant « Front brillant », serait directement allusif à ce resplendissement.
Enfin, ultime remarque, par sa couleur la citrouille s’apparente au disque solaire posé sur l’horizon, lors de l’aurore ou du crépuscule, comme en équilibre entre le paysage visible (comprenons l’espace dévolu à l’humain) et tout ce qui demeure au-delà, l’invisible et ses innombrables féeries.
P‑G. S.
(1) Dans leur ouvrage incontournable en matière de tradition celtique : Les Druides, Éditions Ouest-France, 1986.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
(4) Inventeur du personnage Conan le Barbare.
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