Noël, des jours hors du temps
Au moment où un ignoble et lâche attentat frappe à Berlin un marché de Noël – lieu de joie partagée et d’émerveillement pour les enfants – et tandis que, chez nous, des cuistres affichent leur imbécilité chronique en soutenant mordicus que le monde arabe est aux sources de la civilisation française, réaffirmons notre appartenance ethnoculturelle en montrant combien est élaborée cette fête de la Nativité. Fête en laquelle se conjoignent harmonieusement traditions populaires et données métaphysiques jouxtant les avancées de la science.
À défaut de vous montrer une image du Père Noël, on vous présente un autre barbu, grec celui-là, en apparence un peu plus austère. Il s’agit d’un certain Pythagore qui, au VIe siècle avant notre ère, apporta de précieux joujoux mathématiques à partir desquels « on a marché sur la Lune » et, sans doute demain, on ira sur Mars.
Selon le mythe, il aurait été fils d’Apollon « hyperboréen », c’est-à-dire originaire de l’extrême nord, territoire que le dieu rejoignait au moment du solstice d’hiver.
Or, comme chacun le sait, le Père Noël habite au Pôle
Tout le monde a appris à l’école, section cours élémentaire, la table de Pythagore (une fois 1 = 1, 2 fois 1 = 2 etc… jusqu’à 10 fois 10 = 100) qui, du reste, figurait comme quatrième de couverture des cahiers aux pages quadrillées sur lesquels on apprenait à écrire et compter. Mais pour ce père grec des mathématiques, les nombres revêtaient aussi – et surtout – une signification sacrée. C’est ainsi que ce que ses disciples dénommaient la « sainte tétraktys » (tétra se rapporte au nombre 4) consistait à tracer (à l’aide de cailloux) les quatre premiers chiffres de la façon suivante :
Comme on le voit, le 1, occupant le sommet, puis le 2, le 3 et, en dernier, le 4, formant la base, prennent place dans un triangle équilatéral évocateur de la notion de « Montagne suprême » et donc, de « Pôle », à savoir le lieu ultime et le plus sacré de notre monde. Ce n’est probablement pas un hasard si l’explorateur Robert Peary, parvenu au Pôle nord (du moins le pensait-il) le 6 avril 1909, entassa, aidé de ses coéquipiers, des blocs de glace pour former une pyramide(2). Les chiffres (jusqu’à 9) puis les nombres (assemblages de chiffres), parallèlement à leur rôle technique, prenaient place dans des ensembles hautement symboliques.
Le Christianisme ayant fort intelligemment intégré de multiples données issues du paganisme celte, gréco-latin et germanique, il n’est peut-être pas inutile de joindre aux nourritures terrestres, de la présente période festive, d’autres saveurs – même racine que « sève » et « savoir » ! – spirituelles celles-là. Car, gardons-nous de l’oublier, nos racines européennes passent aussi par une symbolique des nombres et des figures géométriques « charpentant » l’imaginaire que nous portons. C’est évidemment à dessein que nous écrivons « charpentant » puisque c’est un futur charpentier qui naît dans une étable un 24 décembre.
Un fils qui, comme son père, sait que ce travail du bois nécessite qu’on utilise des mesures et, par conséquent, des nombres. La main près de la bougie se fait annonciatrice du corps de lumière christique lors de la Transfiguration. La sève de l’être, son sang, est source d’un savoir conduisant à l’immortalité. Ajoutons que, pour les Pythagoriciens, le nombre 5, figuré ici par les doigts de la main lumineuse, symbolise le Destin (le 25, carré de 5, représente l’accomplissement du Destin).
Raison pour laquelle des nombres interviennent dans les Évangiles. On songe tout de suite, Crèche oblige, aux trois rois mages ; puis au fait que le Christ commence son apostolat à 30 ans (10 fois 3) et l’exerce durant 3 ans. On nous dit qu’il choisit 72 disciples(3) (24 fois 3), puis forme un cercle plus restreint de 12 (4 fois 3), les apôtres. Seuls 3 d’entre eux (Pierre, Jacques et Jean) assisteront à sa transfiguration sur le mont Thabor. Le nombre 12 renvoie, de même que pour les principales cités grecques(4), aux signes du zodiaque ; l’ordre du ciel devant se refléter sur terre. Inutile de préciser que le chiffre 3 devient la sainte trinité et cohére toute religiosité chrétienne. D’où, fréquemment dans les églises à partir de la Renaissance (et plus encore de la Contre-Réforme), l’image d’un triangle équilatéral. Il ne s’agit plus de la « Montagne suprême » manifestant le divin sur terre – la Montagne de Sion dans l’Apocalypse(5) – mais de la divinité sous ses 3 aspects (Père, Fils et Saint-Esprit).
C’est le 24 décembre, à minuit, que naît l’enfant Jésus. Pourquoi le 24 ? Il est généralement affirmé que les Chrétiens ne souhaitaient pas faire coïncider cette naissance avec celle du dieu iranien Mithra (très célébré dans le monde romain) au moment du solstice d’hiver. On procéda donc à un décalage de quelques jours (3, si le soir de solstice tombe le 21). Mais surtout, le 24 fait allusion au nombre d’heures qui composent une journée et, en conséquence, symbolisent le temps. Dans l’Apocalypse, il est question de 24 vieillards entourant le trône du Christ. Par leur nombre et leur âge, ils représentent le temps. Au milieu d’eux, le Christ glorieux figure l’être non soumis à la temporalité et qui, de par sa nature, manifeste l’éternité. Mais une éternité transparaissant, ce vingt-cinquième jour, dans le nombre associé au Destin, le 5, porté au carré – multiplié par lui-même – et, ainsi, parfaitement accompli. Comme pour dire que le Destin véritable conduit à l’éternité.
Ces personnages tiennent des luths (et non des harpes, comme l’indique saint Jean) ainsi que des coupes de parfum. Les instruments à cordes sont métaphoriques des « ondes » – pour Einstein, le temps et l’espace sont des vibrations – et le parfum se fait allusif à la fugacité de ce qui survient sous les ailes du temps.
Le 26 décembre on célèbre saint Étienne. Son nom grec, Stephanos, signifie « couronné ». Premier martyr de la Chrétienté, il aurait été condamné à mort un 26 décembre pour avoir prononcé le nom divin selon les Hébreux(6). Hautement sacré, ce nom, formé de quatre lettres (dont l’une répétée), a pour guématrie(7) 26. Il est amusant de constater qu’en anglais le mot Dieu, God, vaut également 26 (car G = 7, o = 15 et d = 4)(8). En français, on obtient 398 qui, comme 26, est aussi un multiple de 13. Mais le nombre 26 possède une particularité extraordinaire. Il est le seul à se situer entre un carré, celui de 5 (5 x 5 = 25) et un cube, celui de 3 (3 x 3 x 3). On comprend alors qu’il ait été considéré, précisément de par son caractère unique, comme sacré et même divin. De fait, il marque le passage entre un espace totalement plat (le carré de 5), une surface, et un espace à trois dimensions que constitue le cube. Ce qui pourrait signifier qu’il traduit la transition d’une spatialité à une autre. Et il se trouve que 26 est exactement le nombre de dimensions dans ce qu’on nomme, en physique quantique, la « théorie bosonique des cordes »(9) ou, pour faire simple, un certain schéma de l’univers. Nous n’entrerons pas dans ce domaine fort complexe – mais combien passionnant – de la Science et qui nécessiterait d’ajouter, ici, des pages d’explications. Contentons-nous d’une interprétation des plus simples. En signifiant « couronné », le nom Stephanos annonce que celui qui le porte, « initiant » une longue série de martyr, va recevoir l’auréole, couronne lumineuse. Et, en Occident comme en Orient, l’auréole témoigne d’un changement d’état : la tête, entourée de lumière, exprime l’idée que la conscience de l’individu outrepasse les limites humaine, devient comparable à l’astre diurne et, de la sorte, existe dans l’éclairement de tout ce qui existe. Un tel être transcende les limites dimensionnelles et le 26 énonce numériquement son nouvel état suprahumain.
De par sa signification, un dernier jour, le 27, complète les trois qui précédent. On célèbre la Saint Jean d’hiver, dédiée à l’évangéliste. Un peu plus haut, le nombre 27 a été abordé. Il s’agit, on l’a dit, du cube de 3… Un 3 très présent dans le symbolisme chrétien. Quel rapport entre le 27 et saint Jean ? Un rapport d’autant plus essentiel qu’il s’impose comme le point culminant de tout le Nouveau Testament. Expliquons-nous en ouvrant le texte qui termine le corpus des Quatre Évangiles et des Actes des Apôtres, j’ai nommé l’Apocalypse de ce même Jean. Au chapitre XXI, il est dit que la cité parfaite qui, je cite, « descend du ciel d’auprès de Dieu » ressemble à un cube puisque sa largeur, sa longueur et sa hauteur sont égales. De plus, l’apôtre nous précise que sur chaque côté se trouve trois portes. On peut donc dire que le tracé de la base est formée sur le carré de 3, ce qui fait 9 carrés, comme le montre la figure suivante(10) :
Projeté en trois dimensions, nous aurons un cube composé de 27 cubes. C’est sur ce modèle qu’a été conçu le fameux Rubik’cube qui, on en conviendra, n’a aucun rapport, si ce n’est géométrique, avec la prodigieuse structure décrite par saint Jean.
Mais, plus intéressant, le cube de 3 est présent dans un album des aventures de Tintin puisqu’il sert de support au fameux Sceptre d’Ottokar(11), objet talismanique de la monarchie syldave comportant un pélican et il est bien connu que cet oiseau – qui verse son sang pour nourrir ses enfants – est un symbole de l’Eucharistie. Vous découvrirez cette emblématique page 30 (heureux hasard ou jeu de piste initiatique de l’ancien scout Hergé) de l’album cité.
En conclusion, nous pouvons dire qu’une symbolique des plus élaborées préside à ces quatre jours de Noël. Par la sortie du temps, le 24 à minuit, on est supposé accéder, le 25, à (la perception de) la maîtrise du Destin ; puis, le 26, nous est communiquée, à travers Stephanos-Étienne, la notion d’un état hors des limites qu’imposent notre physiologie matérielle (nous retrouvons la notion de « corps de lumière » évoquée dans de précédents articles). Une fois ce principe assimilé, intervient alors ce qui constitue l’aboutissement de tout cela, la cité parfaite recevant une (supra)humanité parvenue à un accomplissement nimbé d’éternité.
P‑G. S.
(1) Car cette plante entrait dans la composition d’une huile réservée à l’onction de sainteté.
(2) Pour la petite Histoire (qui, souvent, éclaire la grande), Peary était membre d’une loge maçonnique et l’image des pyramides égyptiennes de Gizeh, parfaitement positionnées en direction du Pôle, ne pouvait que l’inspirer au moment solennel où il s’agissait de laisser une trace de son passage à ce point le plus extrême du globe.
(3) Luc, 10, 1.
(4) Comme l’a montré un éminent universitaire niçois, le regretté Jean Richer, dans son ouvrage Géographie Sacrée du monde grec, Éditions Hachette, Paris, 1967 (réédité depuis).
(5) Précision importante, cette hauteur symbolique est supposée exister à Jérusalem mais le Psaume 48 (Ancien Testament) nous dit qu’elle se trouve « là où l’Aquilon prend naissance », autrement dit en extrême nord ; ce qui ramène au thème de l’Hyperborée.
(6) S’il faut en croire le travail de l’historien Claude Mimouni, Le Christianisme, des orignes à Constantin, Éditions P. U. F., Paris, 2006.
(7) Guématrie : système qui consiste à associer un nombre à chaque lettre de l’alphabet (hébreux, en l’occurrence) en fonction de la place qu’elle occupe dans cet alphabet. Les lettres du nom divin valent respectivement 10, 5, 6, et 5.
(8) C’est aussi la guématrie du mot Graal, la coupe surnaturelle manifestant le divin.
(9) Le « boson » désigne une particule élémentaire. La « théorie des cordes » tente d’unifier la théorie de la Relativité Générale (d’Albert Einstein) à la Physique Quantique.
(10) René Guénon, dans son ouvrage intitulé La Grande Triade, traitant de l’universalité du ternaire, Éditions Gallimard, Paris, 2003, a montré, au chapitre XVI, qu’un même symbolisme présidait en Chine à la notion d’« Empire du Milieu ».
(11) Cf. L’ouvrage de Paul-Georges Sansonetti, Hergé et L’Énigme du Pôle, Éditions du Mercure Dauphinois, Grenoble, 2011, p. 242–245.
[NDLR] Notre illustration à la une : l’une des 450 crèches de Lucéram
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