Toulon, 16 mai 2017

La saga des chars de combat FCM des chantiers de la Seyne-sur-Mer

Au moment où la France délo­ca­lise ses usines et brade son savoir-faire indus­triel, il est plus que néces­saire de se sou­ve­nir de quoi étaient capables les ingé­nieurs de notre nation dans les années 30. Sommes-nous défi­ni­ti­ve­ment oublieux de notre génie créa­teur qui impres­sion­na le monde ? Une par­tie de ce génie indus­triel s’en­ra­cine en Provence.

Chantiers navals La Seyne-sur-Mer

C’est en effet à La-Seyne-sur-Mer, à la fin du pre­mier conflit mon­dial, que sor­tit — para­doxa­le­ment d’un chan­tier naval — la machine de guerre ter­restre la plus colos­sale jamais construite tel un Léviathan(1) qui, sur­gis­sant des eaux, se méta­mor­pho­se­rait en Béhémoth(1). Les Forges et Chantiers de la Méditerranée de la Seyne-sur-mer (notre illus­ta­tion à la une) avaient été choi­sies pour la concep­tion et la réa­li­sa­tion de ce monstre méca­nique qua­si­ment au même moment où Louis Renault se voyait confier la réa­li­sa­tion du char léger FT 17 (ce der­nier s’im­po­sant comme le meilleur char de com­bat du pre­mier conflit mon­dial et uti­li­sé par la suite dans la qua­si-tota­li­té des armées du monde).

En 1921, le FCM 2C fut le pre­mier et le seul char super-lourd opé­ra­tion­nel au monde. Son pro­to­type (le FCM 1A) avait été tes­té avec suc­cès dès 1917, aux abords des chan­tiers, sur le sec­teur com­pris entre le fort de l’Éguillette, le fort Napoléon et la plage des Sablettes. Ce pro­to­type était déjà la machine de guerre la plus puis­sante jamais réa­li­sée : 40 tonnes, 200 ch, 8 m de lon­gueur, 2,8 de lar­geur et 2 m de hau­teur. Le FCM 2C accu­sait, lui, 70 tonnes et 500 che­vaux pour une lon­gueur de 10 m, une lar­geur de 3 m et une hau­teur de 4 m. Le FCM 1A et le FT 17 furent les pre­miers et les seuls chars méca­ni­sés de l’é­poque à être équi­pés d’une tou­relle armée (canon de 75 ou 105 mm pour le FCM, de 37 pour le FT). Leur archi­tec­ture est la matrice de tous les chars de com­bat modernes. La tou­relle était déjà une des carac­té­ris­tiques du char de com­bat du grand Léonard de Vinci :

Char assaut Léonard de Vinci

Non, ce n’est pas un ovni mais le pro­jet de char de l’un des plus pro­di­gieux créa­teur de la Renaissance. Maquette mon­trant l’intérieur. Musée des sciences et des tech­niques Léonard de Vinci.

Le FCM 2C res­ta le roi de la caté­go­rie des chars super­lourds pen­dant plus de 20 ans jus­qu’à l’ap­pa­ri­tion d’un autre ter­ri­fiant Béhémoth méca­nique : le PzKpfw Tiger II allemand.

Char allemand Tigre

Cet impo­sant engin devait s’illustrer pen­dant la bataille des Ardennes.

En rai­son de plu­sieurs fac­teurs, la com­mande ini­tiale, en 1919, de 700 FCM 2C fut réduite à…10 exem­plaires. En sont la cause la peti­tesse d’es­prit de la majo­ri­té des diri­geants poli­tiques et de l’é­tat-major d’a­près-guerre, la misère finan­cière des res­sources bud­gé­taires, les confé­rences de la paix impo­sant des limi­ta­tions d’ar­me­ment, la pres­sion des anglo-saxons voyant d’un très mau­vais œil la supré­ma­tie méca­nique accrois­sant l’hé­gé­mo­nie mili­taire fran­çaise (au sor­tir de la guerre de 14, la France pos­sède l’ar­mée la plus méca­ni­sée au monde) et, enfin, la loi du 20 juillet 1920 rat­ta­chant les chars à l’in­fan­te­rie, arme dont l’é­tat d’es­prit fai­sait autant appré­cier le petit FT 17 à échelle humaine que reje­ter le mons­trueux FCM 2C qui heur­tait ses ten­dances profondes.

Char Renault T17

Le FT 17 issu de la construc­tion auto­mo­bile et l’un des deux tan­kistes que néces­site son service.

Laissons les images parler :

Char FCM 2C

Le char d’as­saut FCM 2C

Char FCM 2C

Le colos­sal FCM 2C. En insis­tant sur le rôle de l’arme blin­dée, De Gaulle ne pou­vait que son­ger à un pareil monstre d’acier ?

Chars FCM-2C F17

Le petit FT 17 à côté de l’énorme FCM 2C : la com­pa­rai­son est écra­sante. Le colosse d’acier se bla­sonne du mémen­to mori des pirates.

Le FCM F1 en action :

Néanmoins, si la période est à l’ac­cal­mie et aux dis­cours paci­fiques au len­de­main de l’ar­mis­tice, le FCM 2C est abon­dam­ment uti­li­sé dans des docu­ments de pro­pa­gande fran­çais de l’entre-deux guerres pour impres­sion­ner le public étran­ger et spé­cia­le­ment alle­mand. On peut esti­mer que ce char fut à l’é­poque une obses­sion pour l’é­tat-major alle­mand et qu’il se le repré­sen­tait comme la menace la plus importante :

FCM-2C notice allemande

Notice alle­mande sur le FCM 2C

Le PzKpfw Tiger fut le résul­tat de l’é­vo­lu­tion d’un concept défi­ni en octobre 1935 des­ti­né à pro­duire un char de 30 tonnes, armé d’une canon de 75 capable de « per­cer le char fran­çais FCM 2C et ses déri­vés »…ce qui montre à quel point les ingé­nieurs du FCM étaient des vision­naires et voyaient l’u­ti­li­sa­tion de l’arme blin­dée au-delà du cadre de la fin du conflit de 1918.

Contrairement aux états-majors, ils avaient anti­ci­pé les com­bats dan­tesques d’u­ni­tés blin­dées de la guerre à venir : ces tech­ni­ciens des FCM voyaient grand, lourd, puis­sant, gigan­tesque : l’i­dée était celle d’un véri­table « cui­ras­sé ter­restre » – un sorte de Léviathan-Béhémoth – et c’est la rai­son pour laquelle ce pro­jet révo­lu­tion­naire ne pou­vait atter­rir qu’entre les mains de bâtis­seurs de navires plu­tôt qu’à un construc­teur d’au­to­mo­biles, ce qui avait été le cas pour le FT 17. Les ingé­nieurs et tech­ni­ciens du FCM étaient en avance sur leur temps. Char FCM F1-1En 1940, fai­sant preuve d’une créa­ti­vi­té digne des pro­jets mili­taires consi­gnés dans les car­nets de Léonard de Vinci, ils se sur­pas­sèrent et conçurent leur chef d’œuvre, le FCM F1 : un monstre de 150 tonnes, d’une puis­sance de 1100 che­vaux (2 moteurs V12 Renault) de 3,10 de large, haut de 4.20 m pour une lon­gueur de 10m50 et doté d’un canon de DCA de 90m armant la tou­relle prin­ci­pale et d’un canon anti­char de 47 mm pour la tou­relle secon­daire (illus­tra­tion ci-contre). La défaite de 40 eut lieu avant que la pro­duc­tion ne puisse com­men­cer mais le pro­jet dépas­sa tout de même le stade de la planche à des­sin et une maquette en bois à l’é­chelle 1 du char fut construite.

Pendant l’oc­cu­pa­tion, les Allemands récu­pé­rèrent les plans du FCM F1 qui ins­pi­rèrent les concep­teurs du PzKpfw VIII Mammut de 188 tonnes dont seuls deux pro­to­types fut réa­li­sés en 1943 et 44 et qui demeure le char le plus lourd jamais développé :Char Mammut

Quant aux dix FCM F1, ils ne connurent jamais l’é­preuve du feu. Deux furent réfor­més avant le conflit et les huit autres regrou­pés dans le 51e bataillon de chars sta­tion­né dans les bois au nord de Briey qui reçoit l’ordre d’embarquer sur voie fer­rée le 12 juin 1940. Le convoi est blo­qué suite à un bom­bar­de­ment dans la nuit du 13 juin. Les équi­pages sabor­dèrent tous les appa­reils et un seul, le 2C « Champagne »(n°99) dont la charge n’a pas fonc­tion­né, res­te­ra intact. Au moins quatre des 2C du convoi seront envoyés en Allemagne. Une rumeur pré­tend que le 2C « Champagne » fut ensuite récu­pé­ré par l’ar­mée rouge tout comme les plans du FCM F1 lors de l’ef­fon­dre­ment du IIIe Reich.

FCM-2C sabordage

Le FCM 2C « Provence » (n°91) après sabor­dage. Dubitatifs, des Allemands ins­pectent le monstre éventré.

Les des­truc­tions du site des chan­tiers navals de la Seyne occa­sion­nées par les bom­bar­de­ments et les choix poli­ti­co-éco­no­miques au len­de­main de la guerre signèrent l’ar­rêt de la concep­tion et de la pro­duc­tion de chars et d’ar­me­ment du site (les chan­tiers pro­dui­saient éga­le­ment des pièces d’ar­tille­rie depuis le 19e siècle). En 1945, peu avant l’a­ban­don de ce sec­teur d’ac­ti­vi­tés, les chan­tiers de la Seyne livrèrent un der­nier pro­jet de char lourd, le FCM 50 :FCM 50

L’engin était un concur­rent direct au pro­jet de char AMX des ate­liers d’Issy-les-Moulineaux. Le FCM 50 ne fut pas rete­nu par la Direction des éÉtudes et Fabrications d’Armement (DEFA) et c’est ain­si que se ter­mi­na l’his­toire des chars colos­saux – pour ne pas dire pro­mé­théens ! – de Provence.

Un der­nier songe guer­rier s’impose à nous. Outre-Rhin, des ingé­nieurs han­tés par des visions tita­nesques et vou­lant dépas­ser les audaces tech­niques de La Seyne-sur-Mer envi­sa­gèrent un engin qui parait impen­sable. Il ne fut jamais réa­li­sé mais une image nous est parvenue :Panzerprojekte

Là, devant un tel gigan­tisme, l’Histoire semple hap­pée par le futur. C’est déjà Star Wars.

Thierry Diez

(1) Énorme créa­ture marine de l’imaginaire biblique dans l’Ancien Testament. Béhémoth est son équi­valent terrestre.