Noël et ses significations cachées
Déconcertante époque. Aux dernières nouvelles, il n’y aura pas de grand sapin sur le parvis de Notre Dame de Paris ; ainsi en a décidé monseigneur Vingt-Trois, cardinal archevêque de la capitale. Après le drame sanglant que nous venons de vivre, les Parisiens n’auraient pas l’âme en fête et on peut aisément l’admettre. À moins que, comme en certaines villes, l’arbre de Noël ne froisse la susceptibilité d’une autre religion. Visiblement, le sapin en question, de même que les crèches, n’est plus en odeur de sainteté. La laïcité invoquée pour la circonstance ne serait alors que le « voilement » (le terme est-il bien choisi ?) d’une attitude de renoncement devant les gros yeux des sectateurs prosélytes du dogmatique « vivrensemble ». Et, tandis qu’aucun sapin n’accompagnera de sa verticalité l’édifice gothique dominant la Seine, un autre conifère a fait son entrée dans la cour de l’Élysée ; le plus grand jamais installé en ce lieu, nous précise-t-on. Mais, qu’il soit profane ou sacré, avec ou sans arbre, Noël se fait toujours synonyme de moment où le temps semble ralentir pour laisser s’installer un peu de féerie (même illusoire car bricolée à des fins commerciales) dans les bourgs et les grandes cités. Dans ces conditions, tant qu’à célébrer ce moment, tentons d’en comprendre ses significations essentielles et les symboles qui, l’accompagnant, reconduisent à des époques biens antérieures au christianisme et que les manifestations populaires de cette religion intégrèrent subtilement.
Puisque nous parlions du sapin, il est bien évident que sa présence ne s’inscrit nullement dans la symbolique chrétienne. Cet arbre au tronc droit est l’une des représentations de l’Axe du monde, symbole présent dans toutes les anciennes civilisations antiques de l’Europe et du pourtour méditerranéen. Et, comme tel, sa signification se veut essentiellement « polaire », car toute image axiale (qu’il s’agisse d’un sceptre, d’une lance, d’une épée, d’une colonne ou, primitivement, d’un menhir) renvoie à la notion de « Pôle », à la fois centre – et cime – du monde. D’où le fait que l’étoile brillant tout en haut du sapin n’est pas simplement l’astre guidant les rois mages vers Bethléem, elle représente aussi la Polaire, invariable milieu et sommet du ciel. Dernier point, la couleur de l’arbre est, au seuil de l’hiver, promesses du renouveau printanier de la nature. Les lumières que l’on accroche aux branches rappellent que la notion d’Axe du monde est mentalement « illuminante » car, précisément, elle reconduit à la connaissance de ce que, sur un plan métaphysique, représente le « Pôle »(1) pour les anciens peuples : le fondement spirituel d’une civilisation. Ajoutons que la forme générale du sapin est pyramidale. Or, la pyramide est par excellence la construction axiale symbolisant la jonction entre terre et ciel.
Autre « chemin » axial et vertical, la cheminée par laquelle descend le Père Noël. Chemin du feu, symbole de purification et de clarté. N’oublions pas que cette fête est d’abord celle de la lumière puisque, à partir du solstice d’hiver, les jours vont rallonger. D’où la nécessité de mettre dans l’âtre une grosse bûche qui, en principe, devrait brûler toute la nuit, anticipant de sa clarté l’accroissement solaire. Cette bûche ramène, on l’aura compris, à la sacralisation du feu. De plus, il faut savoir que, chez certains peuples, la cheminée était considérée comme le passage des âmes vers le ciel(2).
Que signifient souliers, sabots ou, surtout chez les Anglo-Saxons, chaussettes ? Depuis les temps préhistoriques le pied est un symbole de fécondité(3). L’empreinte d’un pied est gravée sur une dalle dans la zone XVIII du Val de Fontanalba, dans la Vallée des Merveilles. D’une façon générale, le pied représente la présence de l’humain destiné à transformer la nature en jardin d’Eden (hélas, l’humanité a fait le contraire !). Les vieilles godasses attachées à la voiture des jeunes mariés sont, c’est bien connu, promesses de fécondité joyeuse. Et l’expression populaire « c’est le pied !» s’inscrit dans ce même registre. Souliers ou chaussettes débordant de cadeaux sont évocateurs d’abondance. On reçoit des « présents » du ciel. Attention à ce mot car le présent – l’ici et maintenant – est ce qui, au sein de la temporalité, nous rapproche le plus de l’éternité.
Le père Noël, dit-on, habite à l’extrême nord, voire au pôle(4). Surtout, efforçons-nous de ne plus le voir revêtu des couleurs de Coca-Cola (puisque tel est l’origine moderne du costume). Il est saint Nicolas (nom grec signifiant « chef victorieux », car il annonce la victoire sur les ténèbres), patron des enfants. Et ce, conséquemment à la légende disant qu’il a ressuscité trois petits enfants découpés en morceaux (ce qui, dans la religion égyptienne, rappelle Osiris démembré) par un affreux boucher (un ogre, donc Saturne, le Temps dévorant) et mis dans le « saloir ». Le « saloir » (image alchimique, notons-le en passant) figure la pétrification(5) du monde et des êtres. Comme Osiris, les enfants reprendront vie en étant remembrés et l’on songe au terme anglo-saxon remember : il faut se souvenir de choses essentielles, capables de nous régénérer.
« Rassembler ce qui est éparpillé » (dans notre savoir et notre mémoire) dit un adage initiatique. Saint Nicolas est l’image d’une sagesse incroyablement ancienne et qui, pourtant, apporte la jeunesse éternelle. Il fait songer à Merlin (et à Gandalf, chez Tolkien).
Sa hotte est inépuisable comme la fameuse corne d’abondance dans le mythe grec. Une corne de la chèvre Amaltée (nourrice de Zeus) et qui dit chèvre dit Capricorne en astrologie : le Solstice d’hiver se trouve à l’entrée du Capricorne. On pourrait dire que cette hotte est aussi l’équivalent du Graal. Appelé « Père Fouettard », l’homme au visage noir qui accompagne le saint traduit corporellement un thème initiatique (et non pas raciste comme l’imaginent des ignorants qui, assez récemment, voulaient le supprimer du cortège en Hollande). Ce « noir » dont la fonction consiste à punir les enfants capricieux, paresseux ou désobéissants (sinon les trois à la fois) est simplement la projection de ce qu’il y a de ténébreux en eux ; leur miroir sombre, en quelque sorte. Et, puisque l’on parle beaucoup de Star Wars ces jours-ci, rappelons, dans l’épisode V (L’Empire contre-attaque), ce moment où Luke Skywalker, quelque peu présomptueux, est confronté à une apparition holographique de Dark Wador (personnage particulièrement « noir ») issue de son mental.
L’image du (ou des) renne(s) tirant le traîneau du Père Noël remonte fort loin dans le passé préchrétien. Cet animal, comme l’élan ou le cerf, représente une pensée arborescente se ramifiant sur de multiples plans et ne faisant qu’un avec l’arbre Axe du monde. Ainsi, les Celtes honoraient le dieu Cernunnos qui arborait des cornes de cerf.
La dinde ? Non, à l’origine, l’oie de Noël. Sous ses airs bonasses et campagnards, l’oie est cousine du cygne (même espèce). En fait c’est le cygne occultant son symbolisme sous l’aspect rustique de l’oie car les contes de « Ma Mère l’Oye » sont des messages initiatiques. N’oublions pas qu’à travers un certain Jeu de l’Oye le parcours spiralé à suivre est celui de l’existence. En mangeant l’oie, on incorpore ce qu’elle signifie et, à l’image des oies sauvages, on peut, un jour reprendre le chemin du nord (et oui, encore !) car, dans la mythologie grecque, les chevaux blancs tirant le char d’Apollon se changeaient en cygnes à l’approche de l’Hyperborée, contrée imaginaire qui, son nom l’indique, se situait à l’extrême nord du monde, donc au Pôle (alors perçu comme un territoire des plus verdoyants).
Vers la fin de l’Empire romain, Noël a remplacé la célébration du dieu Mithra né d’une pierre (à laquelle se substitue la grotte de Bethléem) tandis que des bergers viennent le saluer, comme pour l’enfant Jésus. En ce qui concerne les rois Mages (mentionnés par l’Évangile de Matthieu, 2, 1–16), il ne faut pas les imaginer costumés en bédouins mais portant des habits persans et coiffés du bonnet phrygien des prêtres de Mithra ; une mosaïque décorant la basilique Saint-Vital de Ravenne (datant du VIème siècle) en témoigne.
Et, à propos des rois mages, la crèche de la ville d’Hagondange est actuellement l’objet d’une polémique. Un comité d’antiracistes indignés (bis repetitas) vient de protester avec véhémence car le roi mage Balthazar est blanc et non noir.
Alors, on se calme avant de consulter l’Histoire de l’Art (et c’est valable aussi pour les journalistes) qui nous apprend qu’aux alentours de 1430 fut décidé que les rois mages représenteraient les trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Incarnant ce dernier continent, Balthazar se devait d’être de type africain. Mais, ainsi qu’on le constate avec la mosaïque de Ravenne, ces mages sont persans et, par conséquent, à l’époque, indo-européens (donc de typologie « blanche »).
Maintenant si les atrabilaires(6) mentionnés cherchent absolument un sujet de polémique, il suffit de leur signaler que, dans le vaste corpus iconographique allant des premiers siècles de la chrétienté jusqu’à (presque) nos jours, l’enfant Jésus est blond. Ce qui s’explique car il vient au monde au moment où, nous l’avons dit, le soleil fait grandir les jours. Le Christ est un personnage solaire et, jusqu’à nouvel ordre, la blondeur se fait évocatrice des rayons du soleil.
Joyeux Noël à toutes et à tous.
P‑G. S.
(1) Cf. les articles intitulés L’appartenance, la forme et le centre, et Symbolisme des étendards de Provence dans cette même rubrique Perspectives
(2) Ainsi que le rappelle Mircea Eliade dans Le Sacré et le Profane, Édition Gallimard, Paris, 1969, p. 147.
(3) Parallèlement, le pied ou la main peut symboliser l’appropriation d’un lieu jusque-là inexploré. Rappelons ce mot impérissable des Dupont-Dupond : là « où jamais la main de l’homme n’a mis le pied !» (dans On a marché sur la Lune, p. 29, vignette 12).
(4) Thème développé au cinéma par Robert Zemeckis (surtout célèbre pour sa trilogie intitulée Retour vers le futur) dans son film L’Express du Pôle (2004)
(5) Le sel étant un déshydratant, il joue un rôle de conservateur que la légende assimile à une pétrification. Songeons, dans la Bible, à la femme de Lot changée en statue de sel.
(6) Selon le Larousse, l’atrabilaire est quelqu’un d’humeur noire.
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