Des pyramides dans les Alpes Maritimes ?
Nous le savons tous, le mot pyramide est pratiquement synonyme de « mystère », « énigme », « secret ». Est-ce la faute à messieurs Blake et Mortimer ? Tant il est vrai que l’album, datant de 1954, Le Mystère de la Grande Pyramide, d’Edgar Jacobs, a passionné trois générations et, depuis quelques semaines, ne cesse d’être cité car, par des moyens techniques de pointe(1), l’équipe scientifique du projet Scan Pyramids serait parvenue à déceler un espace vide derrière la face nord ainsi qu’au nord-est du monument dédié à Khéops. On rêve sur ce que contiendraient ces cavités. Cette découverte ne serait peut-être que le prélude à une bien plus formidable exploration que nécessiterait le sous-sol des pyramides et le plateau de Gizeh. Sur la foi d’écrits anciens, grecs et arabes, tout un légendaire a pris naissance et laisse entendre qu’à cet endroit, point médian des terres émergées et, conséquemment, milieu du monde, seraient enfouies des merveilles issues d’une civilisation disparue (l’Atlantide ?).
Bref, la fascination pour l’Égypte antique ne risque pas de s’éteindre. Fascination pour nous, certes, mais haine pour d’autres. Ainsi, aux alentours du 20 octobre 2015, un imam prédicateur du Koweït, affirmant qu’il était désormais temps pour les musulmans d’éradiquer tous les vestiges du passé pharaonique, a lancé un appel à la destruction du sphinx et des pyramides. Comportement dans la logique des Talibans hallucinés qui firent sauter les Bouddhas géants de Bamiyan en 2001. Le général Al Sissi, très hostile à l’islamisme fanatique, a sauvé le site de Gizeh mais sans doute aussi la Vallée des Rois, le temple d’Abou Simbel ou celui de Philae, parmi tant de lieux qui, d’une certaine façon, interpellent notre présent et nous murmurent que nos sociétés sont spirituellement des plus asséchées. Toutefois, notre regard est tellement aimanté par ces monuments vertigineux qu’on en oublie que le mystère est aussi près de chez nous… sur les hauteurs de Nice – et même, jadis, dans cette cité – précisément sous l’aspect de pyramides.
En effet, tout le monde, dans les Alpes Maritimes, a plus ou moins, un jour, entendu parler d’une curieuse construction pyramidale sise au lieu-dit Gaïnes. Elle est en partie détériorée et recouvre trois grottes dont deux l’une sous l’autre. L’édifice fut mentionné pour la première fois, en 1803, par un dénommé Domenico Rossetti, avocat à Vasto (Italie) qui se rendait à Cimiez. Impressionné par ce singulier monument perdu en pleine nature, il composa un poème d’une centaine de vers qui va fortement contribuer à faire connaître le lieu.
Depuis, diverses hypothèses concernant l’origine de cette petite pyramide mesurant environ une dizaine de mètres de haut ont été avancées. Pour certains chercheurs, particulièrement Roger Cheneveau mais aussi Pierre Bodard, elle aurait été érigée par des légionnaires romains revenus d’Alexandrie et qui, on le devine, voulurent perpétuer le souvenir de ce qu’ils avaient vu en Égypte. Il n’est pas impossible que ledit bâtiment ait pu servir de repérage et d’abri pour l’entrée de la grotte dite de la Ratapignata. Grotte supposément transformée, au IVe siècle, en temple du dieu iranien Mithra, alors très populaire dans les armées impériales et dont les cérémonies se déroulaient parfois dans des cavernes. Il fut remarqué que, par son angle plus aigu que celui des monuments de Gizeh, la pyramide de Falicon s’apparentait à celle abritant, dit-on, le tombeau de Romulus et Remus, fondateurs de la ville éternelle.
D’après une autre hypothèse, émise en particulier par Henri Broch(2), nous serions en présence d’une réalisation des Templiers. Selon certains passionnés d’Histoire secrète, on aurait affaire à édifice conçu au XVIIIe siècle par des Francs-Maçons. De fait, à cette époque, des membres de familles locales, Peyre et Falicon, en particulier Joseph Marie Renaud de Falicon (1737−1787), appartenaient à des loges et l’on sait l’engouement de l’époque pour l’égyptologie ; l’opéra de Mozart, La Flûte enchantée, en porte témoignage. En outre, avec plusieurs chercheurs, il convient de verser deux pièces à ce dossier. La première est une pyramide qui, plus modeste que celle nous occupant, fut installée par Louis Carrogis de Carmonteille dans le célèbre Parc Monceau, à Paris, à la demande de Philippe d’Orléans alors Grand Maître du Grand Orient de France. Elle devait inspirer Tardy, célèbre auteur de B. D., qui a lancé son héroïne, l’intrépide Adèle Blanc-Sec, dans une aventure échevelée (portée à l’écran par Luc Besson en 2010).
À la même époque, seconde pièce, le plus original des architectes français, Nicolas Ledoux (1736−1806), lui-même appartenant à la Franc-Maçonnerie, aurait réalisé une loge dans laquelle on pénètre par une pyramide.
Le marquis de Montesquiou de Fazensac fit aménager dans sa propriété de Mauperthuis (près de Coulommiers) un, je cite, « parcours maçonnique » par Ledoux et un autre architecte, également « frère maçon », qui se nommait Alexandre Théodore Brongniard, surtout connu pour le Palais de la Bourse de Paris. Le « parcours » en question comporte une curieuse pyramide faisant plutôt songer à un toit très pentu car les arêtes des côtés ne convergent pas.
Tradition tenace mêlant fascination pour l’Égypte et ésotérisme, la dernière installation d’une pyramide semblable dans un jardin remonte à 1968, au château de Groussay, à Montfort l’Amaury (dans les Yvelines). Nous reproduisons ci-contre une photo de cette élégante construction.
La pyramide de Falicon s’apparente beaucoup aux édifices évoqués. Mais, jusqu’à nouvel ordre, on n’a aucune certitude quant à l’époque – fin de l’Empire romain, Moyen Âge templier, siècle des Lumières ? – où elle fut bâtie. Indéniablement le lieu était connu depuis longtemps puisque, selon La Légende Dorée, un saint homme, Étienne de Thiers (1048−1124), aurait vécu en reclus dans la (ou plutôt les) grotte(s) de la Ratapignata. Toujours est-il que les vastes cavités souterraines coiffées par un monument emprunté à l’Égypte antique ne pouvaient qu’enflammer les imaginations.
Et parfois les entraîner vers de ténébreux domaines. C’est ainsi qu’un auteur anglais, grande plume du fantastique, Denis Wheatley, dans un récit s’intitulant The Devil rides out, imagine que ces profondeurs furent le siège de cérémonies démoniaques. Comme pour lui donner raison, il s’est murmuré qu’un personnage qui défraya maintes fois la chronique avant-guerre, le sulfureux Aleister Crowley, à l’origine maître maçon de haut vol avant d’endosser (avec volupté empreinte de perversité) une réputation de mage noir, aurait élu ce lieu pour se livrer à certains rituels pédo-sataniques des plus abjects s’ils s’avéraient.
Également citoyen d’Albion, Sir Térence Fisher, premier metteur en scène qui, dans les années 60, mit en couleurs le cinéma d’épouvante et, par la même occasion, fit la célébrité des acteurs Christopher Lee et Peter Cushing, porta excellemment à l’écran le texte de Wheatley.
L’ouverture de la grotte est presque orienté plein sud et sept marches – nombre marquant traditionnellement le passage entre l’humaine condition et le divin – sont sculptées dans le roc. Nous reproduisons ici un relevé dont la simplicité nous permet de comprendre l’agencement des trois grottes et leurs proportions.
Dans la caverne, on peut voir un pilier – formé par la rencontre d’une stalagmite et d’une stalactite – dont, par un singulier caprice de la nature, semble sortir un semblant – ou fantôme – de visage. Ce pilier qu’on croirait habité par un être figé dans la pierre ne pouvait qu’impressionner ceux qui l’on directement approché.
Tout emblème axial (pilier, obélisque, menhir isolé, arbre, voire, dans des récits de chevalerie, épée plantée dans un roc, lance tenue verticalement) relève d’un symbolisme « polaire » car, précisément par la notion d’axialité, il se confond avec la « Montagne suprême », elle aussi « polaire » puisque, dans certaines traditions, principalement indo-européennes, le Pôle est considéré comme une montagne. Or, une pyramide n’est rien d’autre que la géométrisation extrême d’une montagne et il est bien connu que les colossaux édifices de Gizeh indiquent le Pôle avec une précision déconcertante. Dans ces conditions, la pyramide de Falicon, petite sœur de celles d’Égypte, renvoie également à un symbolisme « polaire ». Même si, à ce jour, la construction demeure muette en ce qui concerne son origine et sa datation, elle nous livre toutefois une partie de son secret dans la mesure où son rôle consistait à indiquer l’entrée d’un ensemble de cavernes dont l’orientation avoisine ce que les romains dénommaient le cardo, autrement dit l’axe nord-sud. Ajoutez à cela que, selon d’anciens témoignages, sur l’un des côtés de la pyramide était représenté un swastika. Quelqu’un l’aurait détruit en 1921 pour une cause inconnue.
Tout le monde (ou presque) sait que, loin d’être une invention du Troisième Reich, cet emblème remonte très haut dans le temps. Ainsi il intervient parmi les signes formant ce que l’on nomme l’écriture de Turdas-Vincǎ (dans les Balkans) couvrant une période allant de 5 700 à 4 500 avant notre ère.
Pour la Provence, mentionnons une stèle datant du Néolithique découverte près de Montfort-sur-Argens (Var)(4) qui comporte, parmi d’autres signes gravés, un swastika « lévogyre », c’est-à-dire tournant sur sa gauche(5). On pourrait aussi montrer une fibule (broche agrafant un vêtement) retrouvée en Provence et appartenant à la période dites des Invasions barbares (du IVe au VIe siècle).
Comme René Guénon l’a montré dans plusieurs de ses ouvrages, ce symbole, contrairement à une interprétation courante, est rarement associé au soleil car il représente avant tout le Pôle(7) en tant que lieu suprême. On peut supposer que le marquage de la pyramide de Falicon par un swastika a été faite en connaissance de cause de façon à conférer à ce monument une signification nettement polaire(8). Tout comme les pyramides de Gizeh qui, si elles ne comportent pas de swastika, présentent, on l’a dit, une orientation polaire. Le fait que les grottes de la Ratapignata soit dans l’axe nord-sud justifie amplement la présence de ce symbole majeur. D’une façon générale, l’image de la caverne se fait métaphorique d’occultation. Et, comme le dit Guénon, le « Centre suprême », synonyme de Pôle (en tant que cime du monde) et d’Âge d’Or, se serait rendu invisible dans un « ailleurs » inaccessible à l’espèce humaine durant le dernier Âge – associé aux ténèbres pour l’Inde et au Fer pour les anciens Grecs – du cycle.
On pourrait donc dire que quelle que soit l’époque où fut édifiée cette petite pyramide, ce qui importe avant tout c’est, dans la continuité de l’Égypte pharaonique, son symbolisme polaire se voulant un rappel de la notion de « Centre suprême », autrement dit de lieu voué à manifester, toujours selon Guénon, ce qui est « principiel » et fondateur de civilisations régies par un ordre inscrit dans l’univers. Civilisations aux antipodes de la nôtre, actuelle, et qui a malencontreusement « perdu le Nord ».
Comme le montrent ces anciennes photos, on pourrait songer à une colline aménagée avec une précision géométrique. L’ensemble se présentait comme imposant mais on ignore totalement à quelle époque il fut réalisé. |
Il convient aussi de rappeler qu’un quotidien régional(9) s’est, il y a plus d’un an, interrogé sur l’existence d’une autre structure pyramidale jadis située à Saint-André-de-la-Roche, sortie nord-ouest de Nice. D’après les photos que l’on possède, l’ensemble, formé de degrés (considérés innocemment comme des restanques), avait entre 50 et 60 mètres de haut et environ 200 mètre sur sa longueur car la base ne se présentait pas comme carrée mais rectangulaire. Transformée en chantier de pierres à partir des années 55, cette hauteur fut détruite au grand désespoir des habitants du lieu. À sa place on a construit un échangeur pour l’A8.
Ainsi que devaient le rappeler certains chercheurs de mystères, cette sorte de pyramide à étages se retrouve en d’autres lieux du monde. On la voit, en particulier, dans l’île de Ténérife.
Certes, il sera désormais difficile, sinon impossible, d’investiguer sur ce qui fut un imposant édifice, mais son évocation a le mérite de provoquer en nous une interrogation salutaire concernant des aspects volontairement occultés de l’archéologie. Tout se passe comme si certaines « autorités » (dont nous reparlerons) craignent par-dessus tout que l’existence de tels artefacts ait pour effet de renforcer notre identité européenne. Aux dernières nouvelles, il serait question, en Angleterre, de faire passer un tunnel routier sous le célébrissime site de Stonehenge. Difficile d’arrêter la bêtise… et plus encore la malveillance !
P‑G. S.
(1) Telles que l’hermographie à infra-rouge, la radiographie par muons (électrons lourds pouvant traverser des roches de grande épaisseur) et la modélisation 3D.
(2) Dans son ouvrage intitulé La Mystérieuse Pyramide de Falicon.
(3) Lui qui, ayant travaillé pour la haute noblesse et Marie-Antoinette en particulier, fut un ardent propagandiste de la Révolution Française finit sous le « rasoir républicain » (la guillotine) à la chute de Robespierre.
(4) Elle est conservée dans le prestigieux Musée des Antiquités Nationales à Saint-Germain-en-Laye.
(5) De façon à exprimer le mouvement d’une spirale se déroulant dans un sens contraire aux aiguilles d’une montre pour manifester une force en expansion. Inversement, le swastika dextrogyre correspond à une spirale qui s’enroule en sens contraire afin de retourner au point de départ et, ainsi, de retrouver le commencement, l’origine, et, selon une interprétation à caractère ésotérique, l’Âge d’Or.
(6) Éditions Artaud, 1969, p. 140.
(7) Cf., dans Le Roi du Monde, Éditions Gallimard, Paris, 1958, p. 19.
(8) Mais alors que signifie son effacement par un burin ? Nécessité de protéger le lieu en supprimant l’emblème de sa véritable destination ou, tout au contraire, volonté de s’en prendre à un monument rappelant ce que représente le Pôle ?
(9) Il s’agit de Nice Matin, à la date du 07 août 2016.
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