La Chine, victime d’un « occident de parcours »

par | 25 mars 2021 | Aucun com­men­taire

Au cœur de la Chine véritable

Depuis l’épi­dé­mie de Wu-Han, le rôle de la Chine est une constante de l’actualité. Le monde s’interroge sur ses res­pon­sa­bi­li­tés à l’origine du virus et sur la vigou­reuse réac­ti­vi­té sani­taire dont ses diri­geants firent preuve, mais aus­si sur sa place gran­dis­sante dans l’économie mon­diale, ses ambi­tions spa­tiales (d’abord la Lune avec le robot Lapin de Jade et main­te­nant un engin aux approches de Mars), sa com­pé­ti­ti­vi­té face à l’Amérique ou, comme le pré­tendent cer­tains ana­lystes, sa conni­vence avec l’intelligentsia et les milieux poli­ti­co-finan­ciers de la côte Est des U.S.A.. Mais, en défi­ni­tive, cette Chine du XXIe siècle qui, sous des copies de Manhattan, esca­mote les toits de tuiles garances de son pas­sé mul­ti­mil­lé­naire n’a plus rien à envier à l’Occident. Il y a qua­rante ans, déjà, Philippe Lavastine(1), lors de l’une de ses confé­rences magis­trales dans laquelle il déplo­rait que la Chine et, in fine, tout l’Orient, se soient occi­den­ta­li­sés par le capi­ta­lisme et le mar­xisme, lan­ça un inou­bliable jeu de mot : « C’est vrai­ment mal­heu­reux, l’Empire du Milieu a été vic­time d’un Occident de par­cours ». La « Longue Marche », au terme de laquelle Mao Tze Toung s’empara de la Chine, est rem­pla­cée par une autre marche for­cée, celle condui­sant à la conver­gence du com­mu­nisme et du capi­ta­lisme, doc­trines issues de l’Europe et des U.S.A. Quelle sinistre ironie !

Si l’on veut vrai­ment com­prendre quel abime sépare les Chinois d’aujourd’hui – tiraillés entre les reli­quats tou­jours toxiques du maoïsme et les impé­ra­tifs sans âme de l’économie de mar­ché – de ce qui fut à l’origine de l’Empire du Milieu, il suf­fit d’expliciter son mythe fon­da­teur.
Il y a bien long­temps, alors qu’un sage, nom­mé Fo-Hi, médi­tait sur un rivage, une énorme tor­tue sor­tit de l’eau.

Cité Interdite - Tortue tête dragon

Art chi­nois, tor­tue de bronze, sym­bole du Nord et de lon­gé­vi­té. Sa cara­pace dor­sale évoque le dôme céleste mais aus­si, nous allons le voir, la Montagne suprême sym­bo­li­sant le Pôle.

L’animal por­tait sur son dos le sym­bole du Yin-Yang entou­ré des tri­grammes dis­po­sés en octo­gone. Cette simple image était consti­tu­tive de tout l’ « Empire du Milieu ». Voyons pourquoi.

Yin - Yang Yin Yang - Trigrammes

1- La tor­tue, ventre car­ré et dos for­mant un dôme, sym­bo­lise le pas­sage de la terre au ciel (en l’occurrence, boréal, avec pour centre l’étoile polaire). Le com­pa­gnon­nage par­le­rait de l’équerre et du com­pas qu’anthropomorphise l’ « homme double » de Léonard de Vinci puisque le car­ré figure la terre (le monde maté­riel) et le cercle la tota­li­té spi­ri­tuelle d’un être :

Homme Vitruve - Léonard de Vinci Pièce italienne 1 euro - Homme Vitruve

Redisons, ici, com­bien la pièce ita­lienne de 1 euro por­tant cette figure pour­rait appa­raître comme « à rebours » du pré­sent monde car elle nous res­ti­tue un sché­ma essen­tiel ame­nant à com­prendre que, selon une parole bien connue, « on ne vit pas que de pain » (Saint Luc, IV, 4) et que les nour­ri­tures spi­ri­tuelles sont aus­si néces­saires que celles sus­ten­tant le corps.
Un même sym­bo­lisme se retrouve en Orient comme en Europe. Sans doute l’une des preuves qu’en des temps loin­tains, une source com­mune irri­guait des civi­li­sa­tions dif­fé­rentes. Mais, gar­dons-nous d’oublier, comme le prouve les décou­vertes archéo­lo­giques du Sin-Kiang en 1978, qu’un rameau indo-euro­péen, les Tokharoï, a joué un rôle majeur dans la fon­da­tion de la Chine

2- Pour les Chinois, la tor­tue sym­bo­lise le Nord. Ce qui signi­fie que le pas­sage de l’état ter­restre à celui céleste s’opère en fonc­tion de cette direc­tion de l’espace. En outre, le dos – le dôme – de la tor­tue opère la syn­thèse du ciel boréal et de la Montagne sacrée, autre­ment dit le Pôle. Par consé­quent la suprême connais­sance, sym­bo­li­sée par les 9 figures (les 8 tri­grammes et le Yin-Yang), vient du Pôle. Ce qui rejoint bien d’autres tra­di­tions (celles de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte, de la Grèce, des Celtes et des Germains(2), etc.)

Fo-Hi - Chine

Une illus­tra­tion des plus par­lantes car mon­trant le sage Fo-Hi émer­geant d’une mon­tagne, sym­bole polaire s’il en est. Il vient de tra­cer les tri­grammes. On peut dire que la sagesse qu’il repré­sente l’ « incor­pore » au Pôle. La végé­ta­tion éma­nant des tri­grammes nous énonce que ces signes amènent la fécon­di­té (de la terre et de l’esprit).

3- Le Yin-Yang confère la connais­sance de l’équilibre sur lequel repose l’univers. Autour, dis­po­sés en octo­gone, les tri­grammes, asso­ciés deux par deux, vont deve­nir les 64 hexa­grammes tota­li­sant toutes les situa­tions socié­tales – mais à réson­nance ini­tia­tique – pou­vant se pré­sen­ter à un indi­vi­du. C’est ce que l’on nomme le Yi-King, Le Livre des Transformations. Intégrer ces situa­tions en appli­quant les conseils pro­di­gués par ce trai­té de sagesse conduit à deve­nir, je cite, l’ « Homme véri­table », c’est-à-dire l’Homme de véri­té. La pra­tique des ver­tus qui en résultent – l’individu qui se dis­tan­cie de son égo (le « moi-je » détes­table et cause de tous les drames per­son­nels et col­lec­tifs) – conduit cet « Homme véri­table » à deve­nir l’ « Homme trans­cen­dant ». On passe de la sagesse de Confucius, pre­mière étape, à celle de Lao-Tseu, le maître du taoïsme.

Hexagramme - Yin Yang

Les 64 hexa­grammes sont à la fois dis­po­sés en car­ré, figure évo­ca­trice de la terre, et en cercle, ce qui ren­voient à la cir­cu­la­ri­té du ciel. Deux figures simples, le car­ré et le cercle résument le fon­de­ment de toute une civilisation.

4- L’octogone – et là inter­vient une « géo­mé­trie sacrée » – com­porte 8 angles inté­rieurs de 135° cha­cun. Faites le total et vous obte­nez 1080°, un nombre qui est à rap­pro­cher du 108 que l’Inde asso­cie au Dharma, l’ordre du monde. Dans un texte sacré, il est ques­tion des « 108 portes lumi­neuses du Dharma ».
Donc, une seule figure tirée d’un mythe suf­fit à expli­ci­ter un modèle de civi­li­sa­tion et les com­por­te­ments que néces­site l’équilibre d’une col­lec­ti­vi­té.
À par­tir de cette figure, le monde et la socié­té répondent à un modèle qui est une réfé­rence per­ma­nente. On n’est plus dans l’incertain, le flou, l’hésitation, l’improvisation.

Cette figure octo­go­nale est l’i­mage par­faite d’un ordre que l’on sait immuable car il tra­duit ce qui est consti­tu­tif de l’u­ni­vers et de chaque être.

Rêvons un peu et ima­gi­nons un conseil des ministres qui com­men­te­rait le Yi-King…

Le mes­sage qu’exprime la tor­tue de Fo-Hi est l’antithèse de ce que l’on voit quo­ti­dien­ne­ment en ouvrant la télé­vi­sion. Mais il prouve aus­si qu’un sym­bo­lisme iden­tique se retrouve dans d’autres civi­li­sa­tions avec la même signi­fi­ca­tion. L’octogone marque le Centre du monde, les 8 direc­tions de l’espace, comme la « rose des vents ». Du reste, dans l’antiquité grecque, à Athènes, un monu­ment octo­go­nal fut éri­gé : la Tour des Vents(3).Athènes - Tour des vents - octogone

Mais, plus impor­tant encore, le fait que la cou­ronne de Charlemagne et des empe­reurs du Saint-Empire Romain-Germanique soit octogonale :Couronne octogonale Saint Empire

Celui qui la por­tait se trou­vait sym­bo­li­que­ment in medio mun­di et tout au Nord(4).

Enfin, il y a dans les Pouilles, en Italie du sud, à Castel del Monte(5), un incroyable édi­fice octo­go­nal, construit à la demande de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen. Les der­nières études concer­nant ce lieu révèlent qu’il s’agit d’une sorte de temple amé­na­gé de façon à rece­voir les rayons sol­sti­ciaux. Par ses vastes connais­sances, Frédéric II fut sur­nom­mé « la stu­peur du monde » ou encore « le pro­di­gieux trans­for­ma­teur des choses ». À sa mort, on a dit que « le soleil du monde s’était éteint ».

Castel del Monte Pièce 1 centime euro - Castel del Monte

Chacune des tours du Castel del Monte est elle-même octo­go­nale. Ce qui donne 8 fois 8 côtés = 64, cube de 4, le même nombre que les hexa­grammes du Yi-King et les cases de l’échiquier.
Rappelons que Frédéric II diri­gea la seule croi­sade paci­fique, ce qui laisse entendre qu’il entre­te­nait des liens avec cer­taines orga­ni­sa­tions ini­tia­tiques du Proche Orient, des grou­pe­ments sou­fis (de l’arabe safa, « clar­té, lim­pi­di­té », « pure­té du cris­tal ») trop savants pour être ins­tru­men­ta­li­sés par un fana­tisme reli­gieux(6). N’oublions pas que la « mos­quée » (qui, en fait, n’en est pas une puisqu’il n’y a pas de mina­ret) du « Dôme doré » à Jérusalem est octo­go­nale (et fut vic­time d’un début d’incendie le même soir que N‑D. de Paris… Curieuse coïncidence).

Comme on le constate ce symbolisme est quasiment planétaire et manifeste l’existence d’une connaissance commune qui pourrait rapprocher les peuples tout en sauvegardant leurs spécificités ethnoculturelles.

Mosquée dôme doré Jérusalem - Mont Temple

N’en déplaise à cer­tains thu­ri­fé­raires de la mon­dia­li­sa­tion, l’universalité du sym­bo­lisme conduit à sau­ve­gar­der les iden­ti­tés. Non, mon­sieur Mélenchon, l’avenir n’est pas dans la « créo­li­sa­tion » des peuples(7) mais bien dans leurs racines ori­gi­nelles. Là se trouve sans doute l’une des pos­sibles voies libé­rant des impasses idéo­lo­giques enfer­mant le pré­sent monde dans une fata­li­té auto­des­truc­trice. Formulons le vœu qu’un jour la Chine retrouve son âme authen­tique et replace l’emblème reçu par Fo-Hi sur son dra­peau rouge(8).

Walther


(1) Personnage extra­or­di­naire, d’une immense culture, sans­cri­ti­sant dis­tin­gué et confé­ren­cier excep­tion­nel qui a mar­qué les « cher­cheurs de véri­té » de ma géné­ra­tion.
(2) Mais aus­si des Hébreux car, comme on le lit dans l’Ancien Testament, au Psaume 48, la sym­bo­lique mon­tagne de Sion se trouve là où le vent du Nord prend nais­sance.
(3) Œuvre du Macédonien Andronicos et datant du pre­mier siècle avant notre ère.
(4) Des auteurs tels que julius Evola et René Guénon nous rap­pellent qu’en sym­bo­lisme le centre et le nord se confondent. Le véri­table centre du monde est le Pôle.
(5) À soixante kilo­mètres à l’ouest de Bari.
(6) Il convient ici de rap­pe­ler qu’en Libye, en Syrie et au Pakistan les orga­ni­sa­tions sou­fis ont été une cible pri­vi­lé­giée de Daech.
(7) Formule uti­li­sée par Mélenchon lui-même, le 29 Septembre 2020, à l’occasion d’un dis­cours sur la République.
(8) Ce qui est par­tiel­le­ment — car seuls quatre des huit tri­grammes figurent sur son éten­dard — le cas pour la Corée du Sud.

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Walther

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