L’Hebdo Varois 09–2016
Dans l’univers de haut niveau des opéras, au cœur d’une série de saisons où le chef‑d’œuvre de Puccini est monté un peu partout, l’Opéra de Toulon vient de présenter une version de référence de ce classique du vingtième siècle naissant.
Se lancer dans une programmation de Tosca constitue toujours pour une direction artistique un défi et un paradoxe. Un défi car une telle entreprise ne supporte pas l’à peu près. Un paradoxe car il ne suffit pas de l’inscrire dans la saison pour se concilier la partie la plus traditionnelle, au sens lyrique du terme, des spectateurs. Après avoir rassuré, il faut assurer. Et ceci passe d’abord par la qualité du triptyque distribution-mise en scène-orchestre. Pari réussi pour cette Tosca 2016 toulonnaise.
Le triangle d’or
Le choix des acteurs se révèle sans faille et tout en complémentarité. Dans le rôle-titre la soprano roumaine Cellia Costea est convaincante, avec une présence aussi théâtrale que vocale. Le public ne s’y est pas trompé. Le baryton mexicain Carlos Amaguer figure un Scarpia d’archétype saisissant de réalisme. Le timbre chaud du ténor italien Giuliano Stefano La Colla donne une voix colorée au chevalier Cavaradossi. Aussi modeste soit-il puisque disparaissant dès la fin du premier acte, le rôle de Cesare Angelotti est habité avec justesse par Frederico Benetti. Spoletta-Joe Shovelton et le sacristain-Jean-Marc Salzmann se montrent à l’unisson.
La mise en scène de Claude Servais, les décors de Carlo Centolavigna, les costumes de Michel Fresnay, classiques et sobres, sont au service de l’argument. Pas de fausse note ou de tentative hasardeuse. L’harmonie règne jusque dans les éclairages d’Olivier Wery, qui ponctuent avec pertinence l’atmosphère propre à chaque scène. La symbolique règne en maître dans cette succession de clairs-obscurs. Tout en nous réservant une polychromie et une polyphonie éclatantes lors du Te Deum, somptueux et mémorable, venant clôturer le premier acte.
La baguette du chef Giuliano Carella scande en synchronie l’ensemble. L’orchestre de l’Opéra de Toulon se transcende sous cette direction énergique et passionnée. Le tout en cohérence au service du compositeur et de son œuvre.
Une qualité méritoire
L’Opéra de Toulon frappe un grand coup avec cette Tosca. D’autant plus qu’elle s’inscrit dans un programmation 2015–16 plutôt réussie. Après un Trouvère et un Cosi fan tutte de bonne facture chacun. Avant une Traviata dont on espère qu’elle représentera le point d’orgue d’une saison réussie. Au cours de laquelle il serait injuste de ne pas mentionner Pelléas et Mélisande ainsi que L’opéra de quat’ sous, même si les registres sont bien sûr différents, et si l’exécution fut plus inégale.
Simultanément, on le disait plus haut, Tosca fait l’objet d’une sérieuse concurrence dans le petit monde des scènes lyriques. Rien qu’en restant près de chez nous, sans courir la planète, elle a été présentée en début de la présente saison à l’Opéra de Monte-Carlo. Et elle apparaît au programme de l’Opéra de Paris, salle Bastille, dès septembre-octobre de cette année 2016. Avec des mises en scène, des distributions, des directions et des orchestres particulièrement compétitifs.
Histoire d’un chef‑d’œuvre
Il est vrai que l’œuvre de Giacomo Puccini a non seulement marqué son temps, mais encore perdure comme un classique incontournable du répertoire. Elle fut créée à Rome le 14 janvier 1900, échec immédiat à la clef. Pourtant le thème était repris d’une pièce de Victorien Sardou, qui avait brillamment tenu l’affiche à la fin du dix-neuvième siècle. Malgré la critique défavorable, c’est le public qui va toutefois assurer le succès, puis la pérennité, de l’adaptation à l’opéra par le maître italien.
Sans doute parce que l’argument, quoique bien enraciné dans la Rome des années 1800, possède cette part d’universalité et d’intemporalité qui caractérisent les chefs‑d’œuvre durables. D’ailleurs les plus grands interprètes se sont essayés dans des rôles devenus mythiques. Par exemple Maria Callas, qui a débuté et terminé sa carrière avec le rôle-titre. On rêve de l’entendre prononcer le fameux Questo è il bacio di Tosca (C’est ça, le baiser de Tosca). Ou plus récemment Ruggero Raimondi, qui vient précisément de faire à Liège ses adieux au rôle du baron Scarpia, dans la même mise en scène qu’à Toulon.
Pourvu qu’à Toulon, l’Opéra ne sombre pas comme le Théâtre
Nous saluons d’autant plus volontiers cette Tosca, et plus généralement la présente saison lyrique toulonnaise, qu’il y aurait vraisemblablement plus à redire, en revanche, sur certaines programmations des saisons passées, sur l’appauvrissement de la création, les moyens affectés à l’orchestre, la politique de management et la gestion administrative, commerciale et financière de l’Opéra de Toulon. Tout en reconnaissant que les orientations artistiques, pourtant financées par les mêmes fonds publics Ville de Toulon et Agglomération Toulon-Provence-Méditerranée, nous ont épargné jusqu’à présent les dérives idéologisantes et sectaires du Théâtre Liberté, qui privent ce lieu de qualité et d’intérêt consensuel. Souhaitons que notre Opéra demeure un lieu culturel et ne finisse pas, comme le Théâtre, en lamentable tribune égotique et politique hors-sol.
Marc FRANÇOIS, Toulon, 9 avril 2016