Noël à la source !
Noël est un moment aussi enraciné en Europe que le sont nos cathédrales ou, plus modestement, nos églises de villages
Il semblerait que sa célébration continue à offusquer certaines sensibilités non-chrétiennes et les obsédés du « vivrensemble » à tout prix déploient des prodiges d’inventivité pour « gommer » le caractère supposé « ostentatoire » et « agressif » (sans blague !) de cette fête.
Avançons quelques pistes qui, je l’espère, dérangeront quelques grincheux et susciteront interrogations et curiosités chez beaucoup de lecteurs.
Commençons par l’évocation des Rois Mages qui nous transporte immédiatement en Perse avec le culte de Mithra
C’est dans l’évangile de Matthieu qu’il en est question. Et cette mention, ainsi qu’une autre, aussi essentielle, dont nous allons reparler, change totalement le regard que l’on porte sur la naissance du Christ. En effet, ce sont d’abord les bergers qui accourent pour saluer l’enfant divin ; comme, du reste, dans l’histoire de Mithra. Puis viennent les trois Rois Mages. Or, en dehors de la Sainte Famille, ce sont les personnages les plus importants de ce moment. Rien que pour cela, la Crèche et ses santons insupportent à des individus insuffisamment cultivés pour comprendre ce que cela signifie.
En effet, avant de porter turbans et habits évocateurs d’un Orient aussi fastueux que mythique, nos fameux Mages, dans les plus anciennes représentations, sont coiffés du bonnet phrygien, à l’image de Mithra et de son clergé.
Comme on le voit sur cette couverture en ivoire du manuscrit d’Etchmiadzin (Arménie), rédigé en 989, les Rois Mages arborent le bonnet – dit phrygien – de la Perse ancienne, avant son islamisation et, donc, indo-européenne. Ils apportent des galettes striées de losanges toujours présentes lorsque l’on fête les Rois.
Cette venue de trois représentants de la religion d’Ahura Mazda et de Mithra, n’a pas manqué d’intriguer les théologien. On les comprend dans la mesure où c’est la présence de la sacralité perse qui vient rendre hommage à l’enfant qu’attend une destinée hors du commun. Mais pourquoi la Perse ? Dans le légendaire de cette nation, avant que l’Iran n’existe, le peuple qui allait le composer, résidait dans une région boréale, non point blanche de glace mais merveilleusement verdoyante. C’était l’Âge d’Or et l’harmonie régnait. Puis, en fonction de l’involution cyclique énoncée par l’I nde, la Perse et la Grèce, un froid terrible s’abattit sur ces contrées boréales et la blancheur s’en empara. Une partie de la population se dirigea vers le sud pour découvrir les plateaux de ce qui allait devenir l’Airyanem Vaehja, c’est-à-dire la « terre des Aryas »(1). Le dernier shah d’Iran, Mahammad Reza Pahlavi portait encore le titre de Aryamehr (« Lumière des Aryens »). Mais il faut savoir qu’avant l’anéantissement de son royaume par la glaciation, le roi de ce temps, nommé Yima(2), fit construire, toujours selon la légende, une citadelle souterraine destiné à conserver un certain nombre d’êtres parfaits qui vécurent durant l’Âge d’Or. Et ce, dans le désir de repeupler le monde après les tribulations qu’annoncent les textes sacrés de l’Iran. Comprenons bien que cette thématique se profile en arrière-plan de la venue des Mages.
Conjointement à ces messagers perses, il y a le départ de Joseph, Marie et Jésus pour l’Égypte afin d’échapper aux tueurs du roi Hérode chargés d’assassiner tous les enfants nés durant cette période et, parmi eux, l’éventuel futur « roi d’Israël » prévu par les prophéties. Accompagnant Moïse, les Hébreux s’enfuirent d’Égypte tandis que la Sainte Famille s’y réfugie. Il faut alors imaginer Jésus grandissant à l’ombre des pyramides.
Et c’est précisément cela qui nous intéresse et permet d’établir un parallèle avec la venue des Mages iraniens.
En effet, l’Égypte n’existerait pas sans le Nil et, tout au long de 6.700 kilomètres, ce fleuve coule de l’équateur en direction du nord. Vu de l’espace, on dirait un immense végétal. Le symbole de l’Arbre de Vie qui devint une nation. Sans doute les anciens Égyptiens, avec en tête Pharaon et le collège des prêtres, percevaient-il ainsi leur territoire. Et cet arbre se ramifie avec le delta. Or, précisément en se positionnant face au Nord, on trouvait à gauche du delta, la cité de Memphis, consacré au « dieu » (= principe) dénommé Ptah. Ptah (illustration ci-dessus à droite), dieu du Nord, créateur de tout volume est appelé à établir et spécifier tout ce qui prend forme au sein d’une civilisation : d’un simple vase jusqu’aux obélisques, temples et, bien entendu, pyramides. Et Ptah est aussi le « dieu » qui gouverne le nord. Autrement dit, chaque chose créée, constitutive d’une ethnie, émanait symboliquement de cette direction de l’espace. Pour l’Égypte, le nord confère son identité à un peuple jusque dans le moindre objet.
Symétriquement à Memphis, à main droite, on a Gizeh et les grandes pyramides dont l’orientation indique le Pôle avec une surprenante exactitude.
Forme parfaite couronnant un édifice dont le volume idéal rassemble de multiples formules mathématiques, le pyramidion (illustration ci-dessous à gauche) inspira probablement au Christ la parabole de la fameuse « pierre angulaire » (Luc, 20, 17) destinée à exprimer l’immuabilité du sacré au sommet de l’édifice sociétal.
L’un des rôles secrets de l’ l’Égypte aura donc consisté à tracer la direction du Nord (par Ptah) et à souligner, par ses édifices les plus prestigieux (les pyramides considérées dans l’Antiquité comme l’une des Sept Merveilles du monde), le rôle magistral du Pôle.
En parallèle à Persépolis, et c’est bien le cas de le dire puisque la cité perse se situe sur le même trentième parallèle que Gizeh (qui, prolongé vers l’est, passe par le secteur de Lhassa), des guerriers figés dans la pierre semblent veiller sur un secret « polaire » que métaphorise la citadelle du Roi Yima (illustration ci-dessus à droite).
Ce que l’on nomme la « géographie sacrée »(3) ne doit pas être oubliée dans les événements rapportés par saint Matthieu.
La naissance du Christ est donc placée sous la protection de ces deux grands royaumes marqués de façon polaire que sont la Perse et l’Égypte
En fait, l’histoire du Khristós (terme grec, signifiant « oint ») dépasse de beaucoup le simple contexte biblique si l’on prête attention à ce qui est dit par l’ancien publicain, Matthieu, appelé à devenir l’un des douze Apôtres et surtout celui des quatre Évangélistes à qui revint l’honneur de commencer le Nouveau Testament.
Bien au-delà d’une Judée sous contrôle romain, la venue des Rois Mages et le refuge en Égypte reconduisent à l’un des thèmes fondamentaux de l’Europe : un énigmatique territoire que mythes et légendes situent au nord du monde. Là, en des temps lointains, se serait constituée une conscience supérieure – « apollinienne » aurait dit la Grèce – de laquelle allaient surgir des civilisations diverses. Il se pourrait bien que ce thème revienne dans les esprits alors qu’on assiste peu à peu au rejet par les peuples d’idéologies mortifères s’acharnant à effacer toute forme d’appartenance ethnique et culturelle profonde au profit d’une humanité déshumanisée, déracinée, homogénéisée et servile.
P‑G. S.
Notre illustration à la une : l’une des 500 crèches du village de Lucéram en 2016.
(1) Cf. Henry Corbin, Terre céleste et Corps de résurrection, de l’Iran mazdéen à l’iran Shî’ite, Éditions Buchet-Chastel, Paris, 1961, p. 42.
(2) Ce nom signifie « jumeau » et se fait évocateur de la double nature, mortelle et immortelle, des êtres primordiaux. De même, le Christ meurt mais, le troisième jour, manifeste son immortalité.
(3) Pour reprendre ici une formule de notre regretté collègue Jean Richer.