L’Hebdo Varois, semaine 48–2015

Du lourd, encore et toujours

L’heure n’est en effet pas à la légè­re­té dans le dépar­te­ment. L’actualité varoise reflète l’atmosphère plom­bée qui a enve­lop­pé la semaine. Les atten­tats du 13 novembre à Paris ont endeuillé notre région. Et pro­vo­qué la colère des familles des vic­times. On n’en finit pas de ces hom­mages à répé­ti­tion, les Marseillaises plus enton­nées que jamais, dans des lieux et lors de cir­cons­tances qui auraient paru plus qu’improbables il y a deux semaines. En fait-on trop dans ce registre, après ne pas en avoir fait assez dans celui de la sécu­ri­té ? En tout cas les armes ont à nou­veau fait par­ler le feu et, même si appa­rem­ment c’est sans lien avec les évé­ne­ments natio­naux, un fonc­tion­naire des douanes a été assas­si­né à Toulon. Pendant ce temps, une nou­velle page du feuille­ton de la SNCM (Société Nationale Corse Méditerranée) a été tour­née. Rien ne laisse à pen­ser qu’il s’agit de la dernière.

Unité natio­nale mort-née

C’est un coup d’éclat qui n’est pas pas­sé inaper­çu pour beau­coup de rai­sons. Jean-Marie de Peretti, le père d’Aurélie tuée au Bataclan, a – le pre­mier mais pas le seul – déchi­ré le voile d’unanimité dont le Président de la République et le gou­ver­ne­ment auraient bien vou­lu recou­vrir la tra­gé­die du 13 novembre. En même temps qu’il a livré un hom­mage poi­gnant à sa fille lors de ses obsèques à Saint-Tropez, le père éplo­ré a expri­mé sa colère froide contre les auto­ri­tés publiques. Il les consi­dère comme res­pon­sables de ce qui est arri­vé. Invité à la céré­mo­nie des Invalides par le comi­té d’intervention d’aide aux vic­times, il a clai­re­ment fait savoir qu’il n’irait pas. Et a tenu à dire pour­quoi. « L’espace Schengen est deve­nu une pas­soire qui a per­mis à ces gens-là de venir per­pé­trer des actes ter­ribles sur notre ter­ri­toire. Rien n’a été fait ! » a accu­sé celui qui est aus­si ancien jour­na­liste du Groupe Nice-Matin. Il avait pour­tant cru à « l’esprit du 11 jan­vier » et aux effets d’annonce du gou­ver­ne­ment. Son res­sen­ti­ment n’en est que plus violent. D’ailleurs il a annon­cé qu’il dépo­sait plainte contre l’État. Parallèlement plu­sieurs familles ont boy­cot­té la céré­mo­nie des Invalides, d’autres ont accom­pa­gné leur pré­sence de sérieuses réserves. Sans s’être concertées.

Les hom­mages : néces­si­té ou indigestion ?

Il est vrai que la lita­nie des décla­ra­tions gran­di­lo­quentes, des com­pas­sions osten­ta­toires et des hom­mages offi­ciels met depuis deux semaines beau­coup de Français dans le doute. Voire crée du malaise. On ne peut s’empêcher de prê­ter aux plus hautes auto­ri­tés de l’État, appuyées et relayées, fond comme forme, par des médias à l’unisson, une idée de détour­ne­ment de la réa­li­té et de récu­pé­ra­tion poli­tique. La foire aux bons sen­ti­ments dégou­li­nants en quelque sorte, qui plus est en pleine cam­pagne élec­to­rale. Rien de tel pour mas­quer les vraies causes et les véri­tables res­pon­sa­bi­li­tés des mas­sacres du 13 novembre. Une Marseillaise toni­truante là-des­sus, à tout ins­tant et en tout lieu, comme par exemple en lever de rideau de Cosi fan tutte à l’Opéra de Toulon, et le tour est joué. Mozart, convo­qué comme parade aux tur­que­ries des isla­mistes, n’a pas pu se retour­ner dans sa tombe, l’infortuné com­po­si­teur ayant été ver­sé dans la fosse com­mune. Pour autant est-il pos­sible de refaire aux Français le coup de Charlie, en inver­sant à nou­veau la pro­blé­ma­tique ? Continuer à prê­cher la com­mu­nion dans le vivre ensemble comme remède au ter­ro­risme isla­mique ? Et s’attaquer aux pré­ten­dus isla­mo­phobes plu­tôt qu’aux cri­mi­nels et à leurs com­plices idéo­lo­giques ? Pas sûr, le 13 novembre les Français ont plu­tôt per­çu la réa­li­té du « mou­rir ensemble ». Par voie de consé­quence, des yeux com­mencent à s’entrouvrir, des oreilles s’enchantent moins au son de la dou­ce­reuse musique du pas d’amalgame.

Fait-divers san­glant et inquié­tant à Toulon

Lundi des doua­niers se sont ren­dus dans le quar­tier de Saint-Jean-du Var pour livrer un colis repé­ré à Roissy comme plus que sus­pect : une culasse de M‑16. Ils vou­laient inter­ro­ger le des­ti­na­taire sur l’objet de sa com­mande. Pour toute réponse celui-ci a ouvert le feu au 9 mm et tué un doua­nier, en tou­chant un autre. Il sera arrê­té quelques minutes plus tard, non sans avoir bles­sé en plus un poli­cier avec son arme, dans un jar­din public proche de son appar­te­ment. L’homme ne pos­sé­dait pas de casier judi­ciaire et n’était pas connu des ser­vices de police, nous a‑t-on dit. Ayant gar­dé le silence pen­dant toute sa garde à vue, il a été pla­cé à son issue en déten­tion pro­vi­soire. On a retrou­vé à son domi­cile un fusil d’assaut M‑16. À ne pas confondre avec son concur­rent l’AK 47 (la Kalachnikov des ter­ro­ristes isla­miques) mais une arme de guerre tout autant. Le syn­di­cat de police Alliance a deman­dé que ses reven­di­ca­tions concer­nant le maté­riel, la pro­tec­tion et l’armement des poli­ciers soient enfin enten­dues. On peut com­prendre leur légi­time désir de dis­po­ser de moyens adap­tés. Il n’en reste pas moins que cette affaire, appa­rem­ment sans lien avec les actes ter­ro­ristes de la semaine pré­cé­dente, laisse plu­sieurs inter­ro­ga­tions en fili­grane, s’agissant des méthodes d’intervention, de la « livrai­son sur­veillée », de la cir­cu­la­tion et la déten­tion d’armes de fort calibre, de la détec­tion et du fichage des indi­vi­dus avant pas­sage à l’acte. Parce qu’il n’est guère ras­su­rant d’entendre dire par l’un des avo­cats de Nicolas Philippe, le meur­trier, qu’il s’agit d’« un gar­çon équi­li­bré, sans pro­blème affec­tif, ni fami­lial, sans anté­cé­dent psy­chia­trique et sans addic­tion ». Un type « nor­mal », en quelque sorte. Imaginons une seule seconde que l’on ait eu affaire à un dés­équi­li­bré iso­lé, comme ils le sont sou­vent d’après les pro­cu­reurs et la presse, que se serait-il pas­sé de plus ? On fré­mit. Et si « le tireur était connu de la jus­tice pour usage de drogue et outrage à des poli­ciers », pas de sou­ci, citoyens, il « n’é­tait pas connu des ser­vices doua­niers et ne fai­sait pas l’ob­jet d’une fiche S ». On respire…

La SNCM revient sur le devant de la scène

Un an après le dépôt de bilan, le tri­bu­nal de com­merce de Marseille a enfin dési­gné un pro­prié­taire repre­neur. C’est Rocca, le patron de la socié­té épo­nyme. Patrick Rocca, qui fait dans l’immobilier, le BTP, le trai­te­ment des déchets et le trans­port. Condamné l’an der­nier par le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel d’Ajaccio pour abus de bien social, escro­que­rie, faux et usage de faux. Une per­sonne phy­sique fai­sant semble-t-il concours de condam­na­tions avec la per­sonne morale SNCM, sa nou­velle proie. Ce qui n’a pas empê­ché de le faire pré­fé­rer aux trois autres concur­rents en lice. Il faut dire que le tri­bu­nal a conver­gé dans sa déci­sion avec les recom­man­da­tions des juges-com­mis­saires, les demandes de l’AGS (garan­tie des salaires) et l’avis… du pro­cu­reur de la répu­blique ! On aurait suc­com­bé à moins. Reste que l’horizon de la SNCM n’est pas déga­gé pour autant. Même si le repre­neur va s’empresser de la rebap­ti­ser « Compagnie mari­time méri­dio­nale », l’acronyme SNCM étant trop conno­té néga­ti­ve­ment, depuis trop long­temps. Ce lif­ting n’empêchera le pro­prié­taire d’avoir à se col­le­ter avec la pre­mière dif­fi­cul­té, de taille : le social, sujet sen­sible et cen­tral de l’ex-SNCM. 583 licen­cie­ments sur 1 450 postes, déjà des mou­ve­ments sociaux ont écla­té. Les 440 mil­lions d’euros que la Commission euro­péenne a fait juger comme sub­ven­tions illé­gales res­tent une épée de Damoclès, même si Rocca a obte­nu une lettre de confort de Bruxelles. Autre sub­ven­tion, sinon liti­gieuse du moins dou­teuse à l’avenir, dès l’an pro­chain : les 50 mil­lions d’euros de la DSP (délé­ga­tion de ser­vice public) entre la Corse et le conti­nent. Pour ne rien arran­ger, un nou­veau concur­rent – outre Corsica Ferries – a annon­cé son inten­tion de s’inviter sur le mar­ché. C’est Corsica Maritima, ce qui limi­te­ra vrai­sem­bla­ble­ment l’ambition de Rocca de remon­ter les prix sur la Corse pour accé­der enfin à l’équilibre des comptes. On lui prête le des­sein de déve­lop­per le tra­fic avec le Maghreb, sera-ce suf­fi­sant et ren­table ? Quel ave­nir en termes de pas­sages avec la Corse pour les ports de Toulon et Nice, si Rocca recentre son acti­vi­té sur Marseille et doit céder des actifs, en par­ti­cu­lier des bateaux ? Autant de ques­tions qui per­mettent de pen­ser que le dos­sier SNCM ne vient pas de don­ner son épi­logue, mais connai­tra d’autres épisodes.

À côté de ces pré­oc­cu­pa­tions, on en vien­drait presque à oublier ou regar­der comme folk­lo­riques les tri­bu­la­tions de cet auto­mo­bi­liste de Cogolin se pro­me­nant, à l’insu de son plein gré selon lui, avec un fanion de l’État isla­mique sur son pare-brise. Cité à com­pa­raître pour apo­lo­gie du ter­ro­risme quand même. Ou encore les deux cochons tagués au pochoir sur la mos­quée de Draguignan. Le pré­fet du Var s’est empres­sé de condam­ner avec la plus grande fer­me­té. Il y avait dan­ger et urgence, une ins­crip­tion en-des­sous des tags : « Islam hors d’Europe ».

Marc FRANÇOIS, Toulon, 29 novembre 2015