L’Hebdo Varois n° 19–2016
Le bon coup de Falco
Le sénateur-maire de Toulon soutient Alain Juppé pour les primaires de la droite. En vue des élections présidentielles de 2017. La nouvelle est tombée cette semaine, le 5 octobre 2016. Pourtant la décision d’Hubert Falco était prise depuis un bon moment. Elle a surpris dans le microcosme politique national, y compris dans le Var. Pourtant le choix d’Hubert Falco n’était pas difficile à deviner. En politique avisé, le maire de Toulon n’a rien laissé au hasard. Pas même le moment de se déclarer.
C’est sur son compte Facebook qu’Hubert Falco a lâché le scoop. Un « choix difficile » explique-t-il d’emblée, car l’ensemble des candidats représente « des hommes et une femme de grande qualité ». On ne saurait afficher propos plus consensuel, c’est la marque de fabrique du patron du Var. Complétée par son goût pour le « rassemblement », martelé sans cesse.
Les raisons avancées se réclament de la logique rationnelle
C’est tout d’abord Alain Juppé « l’homme de la situation » que salue Hubert Falco. Peut-être sincère, la formule aurait pu être utilisée pour tout autre candidat interchangeable des primaires de la droite. Il faut donc chercher un peu plus loin ce qui le différencie aux yeux de son nouveau supporter. C’est son côté « rassembleur », donc il est logique que le maire de Toulon y soit sensible. « Un homme d’expérience », ajoute-t-il, mais d’autres candidats n’en manquent pas, y compris dans l’exercice de la fonction présidentielle… « Un homme des territoires » enfin, et sur ce point on retrouve une constante du discours politique d’Hubert Falco, vraisemblablement l’une de ses convictions les plus profondes. Basée sur plus de trente années d’exercice de tous les mandats – ou presque – d’élu territorial enraciné.
D’ailleurs Falco insiste dans son message Facebook sur les trois mandats du maire de Bordeaux. Avant de passer à l’incontournable couplet, justification politique plus générale de son choix, sur les dimensions nationales qu’il trouve à Juppé : autorité naturelle, capacité à rétablir la confiance, incarnation d’une certaine idée de l’État.
D’autres motivations peuvent être supposées
Tout ceci paraît plausible, mais un peu court tout de même. Et pas extrêmement clivant par rapport à d’autres candidats qui auraient pu recueillir le soutien, convoité, d’Hubert Falco. Alors on peut imaginer que l’intelligence politique de l’homme a fonctionné à plein, en tenant compte d’autres paramètres.
Par exemple se démarquer des autres grandes figures de la droite dans le sud-est, qui n’en manque pas. En particulier Christian Estrosi, Éric Ciotti et Jean-Claude Gaudin. Les maires de Nice et de Marseille ont fait connaître leur appui à Nicolas Sarkozy. Or Toulon ne rêve depuis longtemps que de sortir de la position de ville moyenne, enclavée entre la proche et mal renommée Marseille et la puissante et brillante Nice, situation dans laquelle ses voisines aimeraient bien la tenir confinée. Ce qui est de moins en moins le cas, la ville et son territoire d’agglomération Toulon-Provence-Méditerranée faisant preuve d’une dynamique surcompensant le désengagement continu et inexorable de la Marine nationale. Dans le camp de Juppé, on ne retrouve au niveau régional, avec une surface politique appréciable, que Jean Leonetti, le maire d’Antibes. Assez loin de Toulon pour éviter la concurrence. D’autant plus qu’Antibes, ce sont les Alpes-maritimes, alors qu’Hubert Falco est le chef des Républicains dans le Var. Donc a priori on ne se marchera pas sur les pieds. Pas plus qu’avec Jean-Paul Fournier, qui a également rallié Alain Juppé. Nîmes se situe à distance raisonnable de Toulon.
On peut imaginer aussi que le calcul d’Hubert Falco, ancien ministre de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, n’est pas dénué d’ambitions nationales. Bien qu’il s’en défende par principe, Falco n’écarte certainement pas l’idée de revenir une troisième fois au gouvernement, pour servir un troisième président. Avoir fait le bon choix lors des primaires, avant le premier tour, le mettrait en position très favorable dans l’hypothèse où Alain Juppé passerait victorieusement le cap des deux tours de la primaire et des présidentielles. Or c’est bien ce que prédisent les sondages aujourd’hui. Même si les sondages, si loin des élections présidentielles, alors que l’on ne connaît pas encore la donne à gauche, et qu’à droite tout n’est pas encore joué, ne constituent pas une prévision entièrement fiable. Il n’en demeure pas moins que le pari de Falco est bien fondé et ne doit rien au hasard. N’a‑t-il pas attendu que la plupart des maires des grandes villes de droite se soient positionnés avant lui ? C’est toujours plus facile d’abattre ses cartes quand les autres joueurs l’ont déjà fait.
Quoi qu’il arrive lors des élections, Falco en sortira gagnant
De toute façon, le risque de se découvrir maintenant, pour un candidat faisant consensus au-delà du seul camp de la droite classique, est faible pour Falco. Qui maîtrise la suite, quelle qu’elle soit.
Si Juppé remporte la primaire et la présidentielle, c’est tout gagnant. Si par hypothèse Juppé ne sortait pas vainqueur de la primaire, Falco a déjà annoncé, dans son même communiqué via Facebook, qu’il mettrait « son énergie, sa volonté et ses capacités de rassemblement au service de celui ou de celle qui sera désigné pour affronter l’épreuve présidentielle ». Il a donc par avance déjà couvert l’éventualité. Enfin si le candidat officiel de la droite Juppé était battu lors de l’élection présidentielle, en tout état de cause Falco aurait fait son devoir de soutien, depuis le début.
Au-delà de ces considérations d’opportunité, certains diraient d’opportunisme, Hubert Falco reste avec la décision de son soutien à Alain Juppé dans le fil de sa pensée et de son comportement politiques. Ce n’est pas un homme de droite à l’origine, il ne possède pas une formation politique à proprement parler idéologique. Il se détermine plutôt par rapport à un corpus de valeurs basées sur l’expérience et le pragmatisme. Il aime bien afficher son aptitude à travailler avec tous, partisans comme opposants, dès lors qu’il s’agit de « l’intérêt général » ou du « bien commun ». On peut se demander pourquoi certains sont surpris par son choix. Il ne fallait pas être grand devin pour savoir de quel côté allait pencher la balance. Surtout depuis que les bâtons s’accumulent dans les roues de Nicolas Sarkozy. Il suffisait par exemple d’écouter les préférences affichées de quelques membres de l’entourage du maire de Toulon, ainsi que de la jeune garde impliquée dans l’organisation des primaires dans le Var.
Encore un joli coup politique à l’actif d’Hubert Falco. Qui va faire lanterner ou carrément désespérer, encore plus, les ambitions des éventuels dauphins ou des potentiels concurrents.
D’ailleurs Alain Juppé ne s’y est pas trompé, en renvoyant immédiatement l’ascenseur : il tiendra son grand meeting en Provence-Côte d’azur le 27 octobre prochain à Toulon. Pas à Marseille, comme initialement prévu.
Marc FRANÇOIS, Toulon, 8 octobre 2016