Celtitude et latinité

par | 11 jan­vier 2017 | Aucun com­men­taire

Dans la fou­lée de notre ami Pierre-Émile Blairon, il nous faut sou­li­gner avec vigueur nos ori­gines celtes. Parler des Gaulois – qui sont évi­dem­ment des Celtes – revient à entrer en résis­tance contre une men­ta­li­té mal­saine qui, depuis cer­taines hautes sphères éta­tiques jusqu’à de petits ins­tits au cer­veau pétri de mon­dia­lisme en pas­sant par divers intel­lec­tuels s’autoproclamant « citoyens du monde », méprise vis­cé­ra­le­ment la civi­li­sa­tion cel­tique. Pourquoi ?

Casque Amfreville

Trouvé à Amfreville (Calvados), ce superbe casque d’apparat témoigne de l’habileté des for­ge­rons gau­lois. Conjoignant l’or, l’argent et le corail dans sa déco­ra­tion, l’objet montre une frise de tris­kèles sym­bo­li­sant la force vitale en mouvement.

Tout sim­ple­ment parce que dans le pro­jet insen­sé consis­tant à mon­dia­li­ser la France, en se ser­vant d’arrivées mas­sive de « migrants », le sub­strat gau­lois demeure un obs­tacle majeur. De fait, pour peu que sur­vienne une crise iden­ti­taire aigüe (mais elle est déjà là, affirment une majo­ri­té de poli­to­logues), ce sub­strat, encore bouillon­nant, risque de ravi­ver un irré­pres­sible sen­ti­ment d’appartenance eth­no-cultu­relle. D’où, tous les moyens employés pour amoin­drir le Gaulois, dési­gné comme à moi­tié bar­bare, et valo­ri­ser le citoyen romain civi­li­sé. Précisons tout de suite que la vision impo­sée du monde cel­tique est aus­si fausse que celle, fabri­quée, du monde romain. En effet, à en croire les tru­queurs de l’Histoire, Rome n’existerait que comme une pré­fi­gu­ra­tion du monde moderne : indi­vi­dus venus de par­tout (des pro­to-migrants, en quelque sorte) s’insérant dans ce que, de nos jours, des archi­tectes très « ten­dance » – autre­ment dit sou­mis au « prêt à pen­ser » – dénom­me­raient un « grand com­plexe urbain »(1).

Moissonneuse gauloise

Bas-relief d’époque mon­trant un pay­san gau­lois avec sa mois­son­neuse. Notons qu’il ne s’agit pas d’un engin pri­mi­tif mais déjà net­te­ment per­fec­tion­né et cor­res­pon­dant à ce que dit le Romain Pline l’Ancien (23−79 de notre ère). Ce der­nier a, en effet, consta­té l’existence d’un tel outil agricole.

Certes, si l’on vou­lait sché­ma­ti­ser, il ne serait pas faux de dire que la civi­li­sa­tion romaine est prin­ci­pa­le­ment cita­dine tan­dis que celle des Gaules se veut avant tout cam­pa­gnarde(2).

Pour autant, gar­dons-nous de croire que les Gaulois ne pos­sé­daient pas de villes. Bien au contraire et cer­taines sont à l’origine de celles répar­ties sur notre ter­ri­toire, à com­men­cer par Lutèce, deve­nue Paris. Simplement, la per­cep­tion que Romains et Celtes avaient de la cité n’était évi­dem­ment pas la même : Rome se vou­lait cen­tra­li­sa­trice et en tirait un sen­ti­ment de puis­sance alors que l’agglomération gau­loise valo­ri­sait une spé­ci­fi­ci­té locale. Prétendre que la lati­ni­té l’emportait en tout sur des Gaulois presque sau­vages consti­tue un concept volon­tai­re­ment erro­né des­ti­né psy­cho­lo­gi­que­ment à déva­lo­ri­ser une eth­nie dotée, en réa­li­té, de remar­quables capa­ci­tés inven­tives. Prenons un exemple bien pré­cis pour illus­trer ce pro­pos en nous ser­vant prin­ci­pa­le­ment de l’archéologie provençale.

À l’époque où Jules César pénètre en Gaule, quel est l’équipement de ses légion­naires ? Fondée sur des tra­vaux uni­ver­si­taires, la réponse est la sui­vante : presque toutes leurs armes sont d’origine celtique.

Autel Domitius Ahenobarbu

Le célèbre autel de Domitius Ahenobarbus (Musée du Louvre) montre des légion­naires romains (un cava­lier et des fan­tas­sins) une soixan­taine d’années avant César. Ce Domitius Ahenobarbus (Domitius « barbe de bronze ») est le créa­teur de la fameuse voie Domitia.

Légionnaire romain César

Un légion­naire de Jules César tout équi­pé pour le com­bat. Seul son jave­lot, le pilum, est romain. Le casque, d’un modèle appe­lé « Montefortino », est ita­lo-cel­tique (voir plus bas). Ornant le som­met, une sorte de panache emprun­té à la queue d’un che­val est bien plus qu’un orne­ment : la soli­di­té du crin amor­tit et fait glis­ser les coups d’épée.

Guerrier celte

Image d’un guer­rier gau­lois. Il est recou­vert d’une cotte de mailles comme les Romains sur l’autel que l’on vient de voir et coif­fé d’un casque dont le modèle a été retrou­vé sur le site d’Alésia. Le man­teau qu’il porte montre le motif, typi­que­ment celte, du « tis­su écossais ».

Voyons d’abord le grand bou­clier qui est pra­ti­que­ment le même que por­tait le guer­rier gau­lois. Toutefois, celui des romains, appe­lé scu­tum, était cin­tré, évo­quant le flanc d’un cylindre, alors que celui des Gaulois se pré­sen­tait géné­ra­le­ment plat. Peu de motifs ornaient la sur­face du scu­tum tan­dis que, côté celte, on trou­vait une grande varia­tion de figures expri­mant sans doute l’appartenance à une tri­bu, à un clan fami­lial ou, peut-être, répon­dant à la per­son­na­li­té du com­bat­tant. L’arc de Triomphe d’Orange en montre tout un lot sur les­quels sont tra­cées divers signes iden­ti­fiables.Arc triomphe OrangeOn recon­naît en effet la double spi­rale, sym­bole de la force vitale, mais aus­si le soleil (se confon­dant avec l’ « umbo », la bosse cen­trale du bou­clier), la lune ou encore un couple de hérons, sym­bole de fidé­li­té – car ce sont des oiseaux migra­teurs qui reviennent tou­jours à leur point de départ – asso­ciés au dieu fores­tier Esus (assi­mi­lé par les Romains tan­tôt à Mercure et tan­tôt à Mars).

À l’époque où César entre en Gaule le casque le plus fré­quem­ment por­té par ses troupes est du type « Montefortino », nom d’une loca­li­té ita­lienne. Il s’agit, à l’origine, d’un casque typi­que­ment celte adop­té par l’armée romaine.aine et archi­tec­tu­rale d’autre part.

Casque Montefortino

Casque en bronze dési­gné comme « Montefortino », modèle très répan­du entre le troi­sième et le pre­mier siècle avant notre ère. Cet objet nous est par­ve­nu sans ses pro­tèges-joues. Un exem­plaire tout à fait sem­blable et dont le bord est élé­gam­ment déco­ré a été trou­vé dans la com­mune de Bouc-bel-Air (Bouches-du-Rhône), au lieu-dit Baou-Roux.

Casque Montefortino complet

Casque en bronze « Montefortino » com­plet avec pro­tec­tion des joues.

Casque Buggenum

Le modèle « Buggenum », moins haut que le « Montefortino ». L’appendice qui le sur­monte ser­vait à fixer le panache en crin de cheval.

Indéniablement prag­ma­tiques, les Romains n’hésitèrent jamais à adop­ter les armes les plus per­for­mantes de leurs adver­saires. Les vic­toires qu’ils accu­mu­lèrent pro­viennent essen­tiel­le­ment, outre les qua­li­tés de com­bat­tants dont ils firent tou­jours preuve, de l’impressionnante dis­ci­pline qui muait la légion en une redou­table machine de guerre. La témé­ri­té des guer­riers celtes ne pou­vait suf­fire et s’est bri­sée sur des troupes por­tant un équi­pe­ment iden­tique au leur.

P‑G. S.

(1) Si ma mémoire est bonne, un album des aven­tures d’Astérix, repris en des­sin ani­mé, inti­tu­lé Le Domaine des Dieux, bro­car­dait joyeu­se­ment, à tra­vers une Rome construi­sant les pre­miers « immeubles de rap­port » (à plu­sieurs étages), l’obsession moderne de pri­vi­lé­gier un sup­po­sé bien vivre urbanistique.

(2) On se réfè­re­ra à l’ex­cellent ouvrage de Gaston Bonheur Notre patrie gau­loise (éd. Robert Laffont, 1974) dans lequel l’au­teur montre que les grands corps d’État fran­çais que sont les Eaux et Forêts d’une part et les Ponts et Chaussées d’au
tre part, sont les pro­lon­ge­ments de ces deux cultures : gau­loise, rurale et sil­vestre d’une part, romaine, urbaine et archi­tec­tu­rale d’autre part.

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P.-G. S.

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