« La France Insoumise φ » : une condamnation en trompe‑l’œil

Avant même les hom­mages, offi­ciels ou non, ren­dus au gen­darme héroïque de l’Aude, c’est à l’unanimité que tous les com­men­taires à chaud ont expri­mé gra­ti­tude, et à tout le moins res­pect, au regard du geste sacri­fi­ciel accom­pli par ce mili­taire dans le cadre de ses fonctions.

Unanimité ? Presque, pas tout-à-fait quand même : le jour-même du sacri­fice de l’officier exem­plaire que fut le lieu­te­nant-colo­nel Beltrame, une voix dis­cor­dante et ignoble s’élevait pour ten­ter de dis­cré­di­ter l’homme, son geste, ain­si que l’institution au sein de laquelle il ser­vait. Certes on peut rela­ti­vi­ser ce crime mémo­riel en se disant qu’il a été com­mis par quelqu’un de peu. De très peu même au plan de la morale publique et des valeurs natio­nales : un sec­ta­teur de « La France Insoumise φ »(1). Soumise tou­te­fois à l’idéologie anti­na­tio­nale et mar­xiste, mor­ti­fère mais mal­heu­reu­se­ment pas mori­bonde. Planté aus­si­tôt par ses cama­rades du par­ti d’extrême-gauche, qui n’ont pas hési­té à l’exclure. Oh, vrai­sem­bla­ble­ment pas par hor­reur ins­tinc­tive de la bêtise et de l’atrocité des pro­pos du délin­quant, mais plu­tôt pour essayer de se dédoua­ner poli­ti­que­ment de lui.

Au milieu de l’unanimisme popu­laire nais­sant autour de la mémoire d’Arnaud Beltrame, les diri­geants de « La France Insoumise φ » ont ins­tan­ta­né­ment sai­si que la posi­tion de leur récent can­di­dat aux légis­la­tives, même si elle reflé­tait ce que nombre d’entre eux osent pen­ser au fond, était inte­nable média­ti­que­ment. Et puis cet élé­ment iso­lé et incon­trô­lé aurait pu pol­luer le numé­ro indé­cent d’équilibriste idéo­lo­gique que le patron sans par­tage du mou­ve­ment don­nait au même moment en spec­tacle à l’Assemblée nationale.

Tout est bien qui finit bien pour presque tout le monde : le cré­tin sacri­lège a été condam­né très rapi­de­ment par le juge, le pro­cu­reur s’est don­né bonne conscience – à lui et à ses man­dants – en récla­mant une peine lourde et exem­plaire, la sanc­tion est pré­sen­tée comme sévère (un an de pri­son avec sur­sis). Donc les jour­na­listes et l’opinion sont satis­faits. Cependant l’abruti n’ira pas en pri­son. Car le juge n’a pas osé répar­tir sa sen­tence entre ferme et sur­sis, comme le minis­tère public l’y avait pour­tant invité.

Comme quoi, en matière de délit d’opinion, il n’y a pas de balance égale ou sim­ple­ment équi­table, dans la France sous le joug de la Bien-Pensance : la Police de la Pensée se montre plus ou moins réac­tive, le fléau de la Justice penche plus ou moins fort, les com­men­taires du pou­voir média­tique abondent de façon plus ou moins dif­fé­ren­ciée et modé­rée, selon l’origine idéo­lo­gique, sociale ou reli­gieuse du délin­quant. Sachant que dans un pays de liber­té, en toute logique, la notion même de délit d’opinion ne sau­rait exis­ter. Encore moins sa péna­li­sa­tion juri­dique et judi­ciaire. Ce qui ne doit pas non plus conduire à lais­ser dire et faire n’importe quoi lorsque les fon­da­men­taux de la socié­té sont concer­nés, mais c’est affaire d’expression, pas d’opinion.

Alors faut-il se ras­su­rer sur la san­té men­tale de la France, en se disant que mal­gré la gan­grène idéo­lo­gique post-soixan­thui­tarde qui a enva­hi toute la socié­té, jus­tice et médias inclus, un pru­rit de gau­chisme archaïque, indé­cent et cré­tin vient quand même d’être sanc­tion­né ? Non, hélas. La condam­na­tion pro­non­cée res­semble plus à un trompe‑l’œil qu’à un décor natu­rel. Ils sont nom­breux ceux qui, comme ce triste imbé­cile rat­tra­pé par la patrouille, conti­nuent à voir rouge dès qu’ils s’agit d’un uni­forme bleu marine. Daltoniens de l’intelligence, pitoyables petits vieux sexa­gé­naires (voire sexa­dé­gé­né­rés) qui radotent les slo­gans écu­lés d’un prin­temps qui leur a ser­vi de jeu­nesse par pro­cu­ra­tion il y a tout juste cin­quante ans. Et ils ont intoxi­qué depuis lors deux géné­ra­tions sup­plé­men­taires suc­ces­sives, qui ne pos­sèdent ni ne fabriquent plus les défenses immu­ni­taires natu­relles et indis­pen­sables à la sur­vie de notre culture et de notre socié­té, face aux méta­stases idéo­lo­giques de la faci­li­té, du renon­ce­ment et de la sou­mis­sion. En un mot : face au socia­lisme, quelle que soit la forme qu’il adopte pour avan­cer : gau­chisme, com­mu­nisme, éco­lo­gisme, mon­dia­lisme et autres visions dogmatiques.

CRS SS mai 68 CRS cible mai 68

Une hiron­delle ne fait pas le prin­temps, une condam­na­tion au rabais ne fait pas jus­tice. Ne pas bais­ser la vigi­lance par consé­quent. Une lueur tou­te­fois dans ce sombre pro­ces­sus d’inversion des valeurs qui nous accable : la contra­dic­tion fla­grante, et appa­rem­ment dif­fi­ci­le­ment gérable, sur laquelle bute le pauvre type en ques­tion de La France pré­ten­du­ment « insou­mise » et tous les vieux ex-jeunes de mai 1968, plus tous ceux qui par­tagent leur vision du monde et de la vie. À savoir que, ayant gagné d’abord le com­bat méta­po­li­tique, puis le com­bat élec­to­ral, donc se trou­vant par­tout aujourd’hui en situa­tion de pou­voir exé­cu­tif (poli­tique, cultu­rel, social, éco­no­mique, finan­cier, média­tique, judi­ciaire), aujourd’hui l’ordre, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils en soient conscients ou non, c’est eux. L’ordre éta­bli, la défense des ins­ti­tu­tions qu’ils ont conquises après les avoir vomies, c’est eux ou leurs cama­rades et suc­ces­seurs. L’ordre, gros mot et concept abo­mi­nable pro­vo­quant rejet et incom­pré­hen­sion chez ces gens pas finis, c’est eux qui l’incarnent désor­mais. Alors, quand se pro­duit un drame comme à Trèbes, il faut choi­sir son camp. Soit res­ter dans l’utopie d’un com­plexe d’adolescence attar­dée, soit adop­ter le prin­cipe de réa­li­té. Comme les socia­listes au gou­ver­ne­ment en 1947 ayant appe­lé l’armée pour muse­ler la grève des mineurs, les sociaux-démo­crates de 2018 ont opté pour la défense appa­rente de la socié­té contre la vio­lence. Les com­mu­nistes de l’époque, non. Les gau­chistes nos­tal­giques de 2018, non plus. Tant que ce dilemme les ronge et les divise, on ne va pas les plaindre.

Marc FRANÇOIS

(1) Stéphane Poussier, 60 ans, ancien can­di­dat de « La France Insoumise φ » aux légis­la­tives du Calvados, aujourd’­hui au RSA

Aucun commentaire

Envoyer le commentaire

Votre adresse e‑mail ne sera pas publiée. Les champs obli­ga­toires sont indi­qués avec *

Je sou­haite être notifié(e) par mes­sa­ge­rie des nou­veaux com­men­taires publiés sur cet article.