« Suicidez vous ! »
Après les exhortations à se suicider lancées par certains Gilets Jaunes à l’encontre des policiers lors de l’acte XXIII, nul n’ignore désormais que la profession est touchée par une vague de suicides. Les médias ont, en effet, largement répercuté l’information et s’en sont offusqués avec véhémence ; si le propos est moralement condamnable, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit que de paroles et on ne se souvient pas que ces mêmes médias aient réagi avec autant de virulence et d’empressement aux textes des chansons des rappeurs anti-français (Christian Combaz en avait fait une effarante anthologie dans le Figaro du 5 octobre 2015). Question ignominie, le dernier clip en date ne le cède en rien à ses prédécesseurs, il est l’œuvre du rappeur Nick (sic) Conrad : « Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps. » Le tribunal a requis une amende de 5000 euros avec sursis à son encontre ; vous avez bien lu : avec sursis.
Le laxisme avec lequel la justice traite les délinquants pourrait constituer l’une des causes du suicide des policiers. 28 policiers se sont donné la mort depuis le début de cette année (Le Parisien, 19 avril 2019).
Qui peut penser, en effet, que le moral des policiers n’est pas atteint lorsqu’ils constatent avec amertume (c’est le moins qu’on puisse dire) que les malfrats qu’ils ont appréhendés la veille sont remis en liberté le lendemain ? En outre, en cas de contestation, les magistrats (mais aussi la hiérarchie policière, les autorités gouvernementales et les médias) soutiennent le plus souvent la parole du délinquant contre celle du policier ou du gendarme (voir l’affaire Théo).
Il y a d’autres causes invoquées par les autorités ou les syndicats : le matériel et les locaux vétustes, les bas salaires et, avec le mouvement des Gilets Jaunes, les heures supplémentaires qui s’accumulent, la déconsidération, voire la détestation des Français qui s’accommodaient plus ou moins du harcèlement des policiers à leur égard sur les routes, mais beaucoup moins de la violente répression qu’ils exercent sur eux lors des manifestations du samedi alors que les casseurs ne sont pas inquiétés.
Paysans : un suicide tous les deux jours
Cette vague suicidaire des policiers n’est, pour l’instant, pas comparable en ampleur à celle des paysans français chez qui on enregistre un suicide tous les deux jours. Les causes les plus apparentes et immédiates de suicide chez les paysans sont d’abord des difficultés financières (30% d’entre eux gagnent moins de 400 euros par mois), beaucoup sont surendettés, l’isolement, un travail épuisant, sept jours sur sept, le sentiment que ce travail acharné ne sert à rien, les aléas climatiques, les tracasseries administratives, les contrôles incessants, les pressions des instances européennes et des grandes surfaces, les concurrences déloyales… Ce sujet avait été traité d’une manière émouvante dans le film La Morsure des dieux de Cheyenne Carron en 2017.
La trifonctionnalité : la longue mémoire des Indo-européens.
Mais nous pouvons chercher une autre cause de ces suicides bien loin dans le temps, profondément enfouie dans l’inconscient collectif et dont certains d’entre nous ont conservé la mémoire, même confuse : le sentiment d’avoir appartenu à une culture prestigieuse et très ancienne, celle des Indo-européens, dont l’une des notions fondatrices était constituée par la trifonctionnalité, exhumée par le professeur Dumézil. Dumézil avait découvert que la société de nos ancêtres était organisée selon une hiérarchie acceptée de tous, divisée en trois fonctions, qui a perduré jusqu’à une époque récente.
La première fonction, spirituelle et souveraine, représentée par la figure du prêtre et celle du roi : les conducteurs.
La seconde était celle des protecteurs, dont la mission consistait, à l’intérieur des frontières de la nation, à maintenir l’ordre et à protéger les citoyens des délinquants : l’équivalent de la police et de la gendarmerie de nos jours. Les frontières, elles, étaient défendues des incursions, voire des invasions, étrangères par l’armée.
La troisième fonction était celle des producteurs, paysans et artisans qui avaient pour mission de subvenir aux besoins essentiels : nourrir la population, l’habiller, lui offrir un toit.
Les civilisations naissent, vivent et meurent comme les hommes, comme les arbres, et comme tout ce qui vit sur cette terre. Elles meurent parce qu’en grandissant, en se fortifiant, en se matérialisant, elles s’éloignent de la source, de l’origine, elles s’éloignent de l’enfance, de l’innocence, de la pureté et de la vérité, et parce que les hommes qui portent cette civilisation perdent à la fois et en même temps leur enfance, leur innocence, leur pureté et leur vérité.
Aux temps anciens, le prêtre, qui était l’intermédiaire reconnu entre Dieu et les hommes, exerçait la difficile fonction de conseiller spirituel du roi qui, lui-même, chef des armées, choisi pour ses valeurs d’intégrité et de dévouement à son peuple, ne prenait jamais de décision sans l’avis du prêtre.
La deuxième fonction, celle des protecteurs, des guerriers, était composée d’hommes prêts à sacrifier leur vie pour le bien commun et la défense de la patrie. Issus du peuple, ils étaient comme des poissons dans l’eau, aimés, admirés et respectés.
La troisième fonction, techniciens, ouvriers, artisans, paysans, donnaient tout leur cœur et leur savoir-faire à fournir un travail irréprochable. C’était là leur fierté.
Puis tout a périclité.
Les gardiens de la première fonction, spirituelle et régalienne, ont été écartés, ignorés et méprisés ou se sont soumis aux puissances d’argent, à la vulgarité ambiante, au règne de la quantité et de la matérialité.
La deuxième fonction sera toujours, dans nos temps modernes, soumise à la première fonction même quand cette dernière n’est pas légitime, selon les critères que je viens d’évoquer. Les fausses élites au pouvoir ont moralement désarmé les policiers, qui n’osent plus assurer leur fonction de protection de leurs compatriotes, et ont fait des gendarmes, pour une part de leur travail, des auxiliaires du fisc chargés de taxer les citoyens qui se déplacent en automobile. Pourtant, le devoir — et la loi constitutionnelle issue de la déclaration des Droits de l’Homme — leur commande de désobéir aux imposteurs au Pouvoir quand ces derniers prennent des décisions qui vont à l’encontre des intérêts de la nation et du peuple qui a façonné cette nation tout au long des siècles, voire des millénaires passés(1).
Quant à l’armée, elle est devenue aujourd’hui en France et en Europe, une simple force de représentation, sans moyens et sans motivation, soumise aux caprices idéologiques et à l’incompétence des politiciens. Elle n’était pas non plus, autrefois, cet instrument, mondialiste et anonyme, de terreur et de massacres perpétrés depuis des escadrilles de bombardiers qui pratiquent des frappes dites « chirurgicales » sur des populations innocentes pour des objectifs purement mercantiles, pendant que nos frontières sont devenues de véritables passoires alors que c’est la mission essentielle de l’armée de les protéger de toute intrusion, armée ou pacifique.
Le métier des armes était un métier, basé sur la noblesse des comportements et la discipline, il avait la particularité d’être plus dangereux que les autres, et le but ultime de nos soldats était de servir la nation et de protéger ses frontières jusqu’à la mort, combattant des ennemis respectés, selon les lois de la guerre qui étaient des lois d’honneur. Il suffit pour se convaincre de la décadence de nos comportements de s’en référer à ce dernier épisode tragique où les politiques ont envoyé à la mort deux valeureux guerriers pour sauver deux imbéciles qu’on devrait mettre en prison.
La troisième fonction, celle des producteurs, a été la première touchée par le déclin. Ce dernier mot en référence à l’ouvrage d’Oswald Spengler qui avait, le premier, perçu la disparition future de nos paysans et artisans il y a un siècle ; il résumait bien cette dégradation des principes trifonctionnels en une seule phrase : « Une époque commence quand l’expansion de la ville est si grande qu’elle n’a plus besoin de lutter contre la campagne, le paysan, le chevalier, tandis que la campagne et ses ordres primaires se défendent désespérément contre la dictature citadine, dictature spirituelle du rationalisme, politique de la démocratie, économique de l’argent. »
Les paysans disparaissent parce que l’accord qui existait entre les peuples et les terroirs sur lesquels ils étaient nés et sur lesquels étaient nés leurs ancêtres, cet accord naturel et magique a disparu. Les patries charnelles sont devenues des zones agro-alimentaires, les paysans des exploitants agricoles, les techniciens des technocrates, les artisans des startuppers.
Humiliés, méprisés, déracinés, désargentés, déconsidérés, désavoués, désemparés, désorientés, désespérés, policiers et paysans se suicident.
Il y aura de plus en plus de suicides de policiers et de paysans dans l’avenir, sans que rien ne vienne entraver cette marche funèbre, à moins que nos peuples européens n’aient, dans une réaction ultime et salvatrice, la volonté de reprendre leurs destins en mains. « L’Europe se fera au bord du tombeau.» Puisse cette citation, qu’on attribue (semble-t-il à tort) à l’illustre Nietzsche, se révéler visionnaire.
Pierre-Émile Blairon
(1) Article 35 – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. (Déclaration des Droits de l’Homme de 1793)