Bâtir c’est s’inscrire dans l’Histoire
De Guédelon en Bourgogne à Hauterives dans la Drôme, deux démarches que tout oppose — de prime abord — mais si proches dans le fond car elles partagent toutes deux la volonté de s’inscrire dans l’Histoire.
… d’une quarantaine de compagnons.
Commencé en 1998, le chantier d’un château médiéval du XIIIe devrait être achevé vers 2025.
… hors toutes les règles de l’art, défiant les lois de la gravité. Une brouette et une truelle pour tout outil. Le facteur Cheval, tout corps de métiers à lui tout seul. Avec pour seul plan d’architecte, les cartes postales exotiques qu’il distribuait dans sa tournée de poste.
… de métiers d’œuvres. Carriers, tailleurs de pierres, forgerons, charpentiers, cordiers, maçons, tuiliers, chaulliers, meunier, vanniers, charretiers… tous compagnons.
… d’une civilisation en pleine transformation. En pleine révolution industrielle, en pleine époque des colonisations, cet homme illuminé s’est perdu dans un gloubi boulga civilisationnel, prémices du mondialisme à venir dans ce siècle naissant. Un ensemble culturel dont les intellectuels essaient vainement de trouver une cohérence. La France, déjà au XIX, est fascinée par ces terres lointaines d’orient. Le facteur Cheval rêve de sable chaud. Des images qui se télescopent, entre valeurs enracinées et diversité hors sol.
… les valeurs du compagnonnage : la transmission, l’apprentissage, les confréries, mais aussi la rectitude de l’équerre, du compas et du fil à plomb.
… qui a pu faire encore hier sans être tracassé par toutes sortes de normes et contraintes, sur des échafaudages improbables. Une liberté d’entreprendre disparue aujourd’hui.
… qui s’est vu refuser les échafaudages en tenons et mortaises. Il aura donc fallu céder quelques concessions à la modernité. Chausses de lin, mais chaussures de sécurité obligatoires sur le chantier. Les contrôleurs du Travail sévissent dorénavant partout dans notre monde moderne.
Les grandes civilisations sont celles qui ont laissé des œuvres d’architecture. Les Pyramides, le Pont du Gard, le Mont-Saint-Michel. À Guédelon on s’y emploie. Chaque génération ajoute ici sa pierre à l’édifice, laisse son emprunte dans l’Histoire, comme ce simple facteur des postes. Je ne suis pas sûr qu’il restera grand chose du Centre Beaubourg de Pompidou ou du musée des Arts premiers de Chirac.
Grand sage et philosophe populaire, Ferdinand Cheval déclarait : « Ce n’est pas le temps qui passe, mais nous ». Les paroles des vivants s’envolent, les pierres leur survivent et restent les témoins de leurs passages.
Nos élites suicidaires et perverses s’évertuent à faire du passé fait table rase. Elles ne connaissent pas notre Histoire, ignorent notre culture, bafouent notre identité et bradent les bijoux de familles.
Michel Lebon
N.B. Un charpentier bûcheron de Guédelon s’adresse à un groupe de visiteurs sur « la forêt » de Notre-Dame qui a brûlé. Il explique qu’à Guédelon, ils ont tout le bois nécessaire pour reconstruire la charpente réduite en cendres. Deux hectares de bois serrés suffisent. Nul besoin de grosses grumes, anciennes, l’aubier de troncs suffit à la qualité de l’ouvrage, comme au Moyen-Âge. Ils savent faire, à l’identique. Mais ils ne seront pas même consultés.