Les médailles de la République
Quoi de plus décoratif qu’une décoration ? De la discrète rosette rouge sur le blazer du civil « Je suis votre chef » au placard de breloques pendantes du Chef d’État-Major des Armées (le CEMA). Pas moins d’une vingtaine de médailles. À 15 grammes l’unité, ça fait 0,3 kg pour qui porte à gauche. C’est du lourd. Les deux hommes portent beau, debout sur leur command-car au défilé du 14 juillet, sous les huées des Gilets Jaunes encore une fois venus casser l’ambiance.
Il y a un ordre de préséance dans le placement des médailles épinglées sur la poitrine, de la plus prestigieuse républicaine Légion d’Honneur en haut à gauche, à la médaille en chocolat en bas à droite. Passons en revue les décos de notre plus grand des militaires, le général Lecointre, notre céma-phore(1).
• La Légion d’Honneur, la reine des médailles, remise à tant d’autres récipiendaires célèbres, de Marcel Bigeard à Mimi Mathy. Beaucoup l’ont refusée, comme Bernard Pivot qui déclara : « C’est une prime à la notoriété et je n’ai pas envie de me retrouver avec mon petit ruban rouge devant des gens que j’admire et dont je sais qu’ils le mériteraient beaucoup plus que moi. »
• L’Ordre national du Mérite : une distinction, ici aussi civile et militaire, décernée à une multitude de célébrités comme Jane Birkin qui l’aurait méritée.
• Puis la Croix de guerre des Théâtres d’Opérations Extérieures, la Croix de la Valeur militaire, la Croix du Combattant, la Médaille de la Défense nationale, d’Outre-mer et d’ailleurs. Beaucoup de noms redondants et ronflants comme la Médaille commémorative française, fourre-tout, dont on ne sait plus très bien ce qu’elle commémore, si ce n’est toutes les précédentes.
• Citons également les médailles diplomatiques étrangères du Koweit, du Gabon, du Mali, du Sénégal, du Tchad (engagez-vous, vous verrez du pays) et bien sûr celles de l’ONU, l’organisme de la paix guerrière.
• En queue de peloton on trouve la Médaille du 100e anniversaire de la création de l’état-major de l’armée polonaise.
Tout cela en fait des cérémonies de remises, avec accolades, champagne et petits-fours, dans les salons des ambassades.
On remarquera que d’autres militaires, beaucoup moins gradés en ont tout autant, comme ici ce simple caporal-chef parachutiste qui porte, lui, la seule « vraie médaille », la Médaille militaire (jaune et vert) :
C’est la médaille que l’on gagne sur le terrain, en entendant parfois siffler les balles. Elle n’est attribuée qu’aux soldats et sous-officiers, et à titre honorifique à certains officiers prestigieux au combat. En son temps, le général de Gaulle eut la pudeur de la refuser. Ce ruban vert et jaune, que porte fièrement en bonne place ce commando des Forces spéciales et que ne portera jamais notre cema-phore.
Après la Guerre d’Algérie, l’armée avait à se faire pardonner. La tenue camouflée des parachutistes a été supprimée par brimade et les médailles se sont faites plutôt rares. Aujourd’hui, la mode est revenue aux décorations ; pour la République, ça ne coûte rien. Une ligne d’écriture au JO (Journal Officiel et non pas les Jeux Olympiques). Vous êtes avisés par décret, il vous suffit alors de vous la payer, si vous voulez la porter.
On décore dorénavant à tout va, ça fait toujours plaisir
Autant de cérémonies pompeuses, beaux discours dithyrambiques à la clé, où chacun peut exposer sa surface bariolée et bomber son torse alourdi. C’est à celui qui en comptera le plus, on se toise, la gloire se mesure au grammage accroché à la veste ! On décore tout, jusqu’au ridicule. les hommes, les régiments, les villes, les chiens et même les pigeons (surtout les pigeons).
Dans l’escalade des distinctions, notre république d’opérette sait inventer tous les prétextes pour créer de nouvelles médailles. La dernière en date, en 2016, celle des victimes du terrorisme.
La Médaille nationale de reconnaissance a vocation à honorer les victimes du terrorisme et à participer à leur résilience. Vous voulez être décoré ? le revers de la médaille : laissez-vous égorger ! Les valeurs de la République sont insondables.
On a encore de la marge, et de la place, pour les prochains défilés du 14 juillet. Demandez la vôtre.
Michel Lebon
(1) sémaphore : du grec σημα « signe » (voir sémantique) et φορος « qui porte » (voir amphore, métaphore).
A propos de médailles de la ripoublique, Christophe Castaner vient de médailler, le 16 juin, un certain nombre de ses agents, parmi lesquels au moins cinq sont impliqués dans des enquêtes concernant des violences policières.
Chargé des opérations le soir où Steve a disparu à Nantes, le commissaire Grégoire Chassaing y figure aux côtés de Rabah Souchi, à la tête de la charge de police ayant provoqué les blessures de Geneviève Legay à Nice.
Vous aviez écrit un article sur ce Rabah Souchi.
Créée en 2012, la médaille de la sécurité intérieure est « destinée à récompenser les services particulièrement honorables notamment un engagement exceptionnel (…), et à récompenser des actions revêtant un éclat particulier » comme le précise le décret du 28 mars 2012
S’agissant du Général Lecointre, on notera qu’il porte le Brevet Militaire Parachutiste (avec l’étoile) alors que sur des photos plus anciennes, au moment de sa prise de fonction de CEMA, il ne porte que le BIP, Brevet Interarme Parachutiste, sans l’étoile.
Tout cela pour distinguer les « vrais » paras de ceux qui, après avoir fait six sauts dans leur jeunesse, portent ce brevet toute leur vie.
Seuls ceux qui ont servi dans les paras ont le brevet étoilé. À ma connaissance, ce général des troupes de marine n’a jamais servi dans une unité para. Il aurait donc eu ce brevet plus tard, dans sa carrière de CEMA ? Étonnant.