Nuit du 4 août : abolition des privilèges ? Mon œil !
Illustration ci-dessus : Estampe de la séance du 4 août par Charles Monnet (musée de la Révolution française).
Éric de Verdelhan nous fait parvenir ce texte que nous publions bien volontiers.
L’abolition des privilèges : mon œil !
« Je ne consentirai jamais à dépouiller mon clergé, ma noblesse…C’est alors que le peuple français pourrait m’accuser d’injustice et de faiblesse. Monsieur l’archevêque, vous vous soumettez aux décrets de la Providence ; je crois m’y soumettre en ne me livrant point à cet enthousiasme qui s’est emparé de tous les ordres, mais qui ne fait que glisser sur mon âme. Si la force m’obligeait à sanctionner, alors je céderais, mais alors il n’y aurait plus en France ni monarchie ni monarque… » (lettre prémonitoire du roi Louis XVI à l’archevêque de Chartres).
C’est bizarre, notre république maçonnique, nourrie aux idéaux des Lumières et qui a fait de la révolution française un marqueur historique, ne fête jamais la nuit du 4 août 1789. Pourquoi ?
Il est vrai que, lorsqu’on voit l’arrogance, le train de vie, les privilèges et les passe-droits de nos marquis de la politique, il serait malvenu voire incongru de critiquer l’ancien régime. En ce temps là, les petits hobereaux de province, souvent pauvres comme Job, respectaient le peuple. De nos jours, Micron voit, dans les gares, « des gens qui ne sont rien » et le baronnet Benjamin Griveaux critique « ceux qui clopent et qui roulent au diésel ». Quel mépris !
Faisons un bref rappel de cette fameuse « nuit de 4 août 1789 »
Il s’agit d’une séance nocturne de l’Assemblée Constituante au cours de laquelle fut votée la suppression des privilèges féodaux. Débutée à sept heures du soir, elle allait se prolonger jusqu’à deux heures du matin. l’Assemblée Constituante mettait à terre le système féodal.
C’était l’abolition pure et simple de tous les droits et privilèges féodaux ainsi que de tous les privilèges des classes, des provinces, des villes et des corporations, à l’initiative du « I », le futur « Club des Jacobins ».
En fait, cette brusque décision d’abolir les privilèges découle d’un mélange de peur et de démagogie de la part des « élites » de l’époque : l’Assemblée Constituante est en train d’élaborer la future constitution (ainsi que la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ») lorsqu’elle reçoit des récits alarmistes sur les mouvements populaires qui sévissent un peu partout en France. L’Assemblée Constituante envisage alors deux hypothèses :
• soit réaffirmer les valeurs de la propriété, et donc contrôler la révolte. Solution rejetée, car on a peur de la colère paysanne,
• soit instaurer des « bureaux de secours », qui permettraient d’aider les plus pauvres.
Mais cette suggestion ne répond en rien à l’urgence de la situation. C’est donc pour sortir de ce blocage, nous dit-on, que naît l’idée de l’abolition des droits seigneuriaux.
En réalité, cette idée fumeuse a germé au sein du « Club Breton ». Ce projet émane de quelques aristocrates ouverts aux idéaux des Lumières (et, pour la plupart, francs-maçons) : le duc d’Aiguillon lance l’idée, aussitôt reprise par de vicomte de Noailles.
Dans une ambiance de quasi panique, Guy de Kerangal, le vicomte de Beauharnais, Lubersac, l’évêque de La Fare vont surenchérir en supprimant, pêle-mêle, les banalités, les pensions sans titre, les juridictions seigneuriales, le droit de chasse, les privilèges ecclésiastiques, etc. Le marquis de Foucault demande que « le premier des sacrifices soit celui que feront les grands, et cette portion de la noblesse, très opulente, qui vit sous les yeux du prince, et sur laquelle il verse sans mesure et accumule des dons, des largesses, des traitements excessifs, fournis et pris sur la pure substance des campagnes ». Si elle est sincère, l’envolée est belle !
Le vicomte de Beauharnais propose « l’égalité des peines sur toutes les classes des citoyens, et leur admissibilité dans tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires ». Cottin demande l’extinction de « tous les débris du régime féodal qui écrase l’agriculture ».
L’assemblée est en proie à une cacophonie démagogique ; chacun y va de sa proposition. Michelet écrira un siècle plus tard, dans un style emphatique (1): « Après les privilèges des classes, vinrent ceux des provinces. Celles qu’on appelait Pays d’État, qui avaient des privilèges à elles, des avantages divers pour les libertés, pour l’impôt, rougirent de leur égoïsme, elles voulurent être France, quoi qu’il pût en coûter à leur intérêt personnel… Le Dauphiné, dès 1788, l’avait offert magnanimement pour lui-même et conseillé aux autres
provinces. Il renouvela cette offre. Les plus obstinés, les Bretons, liés par les anciens traités de leur province avec la France, n’en manifestèrent pas moins le désir de se réunir. La Provence en dit autant, puis la Bourgogne et la Bresse, la Normandie, le Poitou, l’Auvergne, l’Artois. La Lorraine, dit… qu’elle avait le bonheur de se réunir à ses frères, d’entrer avec eux dans cette maison maternelle de la France, dans cette immense et glorieuse famille ! Puis ce fut le tour des villes… » Enfin, Lally-Tollendal termine la séance en apothéose en proclamant Louis XVI « Restaurateur de la Liberté française »(2).
En une nuit, les fondements d’un système vieux de plusieurs siècles s’effondrent. Louis XVI n’accorde sa sanction (son aval) à ces décrets que contraint et forcé, le 5 octobre.
Ainsi disparaissent les privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes et des provinces. Toutefois, les droits féodaux sont déclarés rachetables le 15 mars 1790, et leurs détenteurs ne sont pas tenus d’en prouver l’origine. Mais, devant le refus de quelques communautés paysannes, l’Assemblée supprime le rachat des droits le 25 août suivant. Enfin, le 17 juillet 1793, la Convention vote leur abolition complète, sans indemnité, et l’autodafé des titres féodaux.
Sont donc abolis par ces diverses lois :
•la main-morte réelle et personnelle (article 1er ),
• la servitude personnelle (article 1 er ), l’exclusivité seigneuriale sur les colombiers (article 2),
• la chasse (article 3),
• l’exclusivité sur l’accès à certaines professions (article 11),
• les justices seigneuriales (article 4),
• les dîmes (article 5),
• la vénalité des offices (article 7),
• les privilèges particuliers de provinces (article 10) ainsi que
• la pluralité des bénéfices (article 14), etc.
Le roi Louis XVI est proclamé « Restaurateur de la liberté française » par l’article 17. L’année suivante, à la « Fête de la Fédération », il donnera le premier coup de pioche pour planter « l’arbre de la Liberté » et acceptera de coiffer le bonnet phrygien. Puis, le 21 janvier 1793, sa tête finira dans le panier du « rasoir national », toujours au nom de la Liberté bien sûr !
L’abolition des privilèges était-elle une nécessité inéluctable ?
Si l’on tient compte du pourrissement – moral et mental – d’une noblesse de cour, nourrie et enrichie sur le dos d’une paysannerie qui, elle, crevait de faim, cela ne fait aucun doute. D’autant que cette noblesse, qui n’en avait plus que les titres et privilèges, se plaisait à critiquer le Roi et l’Église dans les salons de quelques cocottes(3) ou dans les loges maçonniques qui fleurissaient partout. On avait oublié que les privilèges et droits féodaux imposaient, en contrepartie, des devoirs sacrés : le chevalier était, si besoin, homme de guerre. Il mettait son épée au service de son Roi (4), protégeait ses vassaux et défendait « la veuve et l’orphelin ». Il était prêt à verser l’impôt du sang.
Le clergé soignait les malades et les indigents, hébergeait les pèlerins, aidait les pauvres et les nécessiteux, créait des écoles. Saint Vincent-de-Paul est le précurseur de la Sécurité Sociale(5) et non de l’abbé Pierre, car ce curaillon miteux avait une charité chrétienne à géométrie variable(6). Claude-Henry de Saint-Simon (1760−1825), que d’aucuns présentent comme un réformateur social, considérait, dans les années 1820–1825, que la révolution n’était pas achevée. Chaud partisan de « l’industrialisme », il proposait une réorganisation totale de la société, hiérarchisée entre les scientifiques et industriels d’une part et la classe ouvrière d’autre part. Il a été à l’origine du saint-simonisme et de la mise en œuvre de la révolution industrielle au XIXe siècle.
Les dynasties bourgeoises — les banquiers, les armateurs, les maîtres de forges — ont supplanté les aristocrates. On a remplacé Dieu par le fric-roi et on a envoyé dans les mines des enfants de 10 ans (auxquels on accordait généreusement une journée de repos pas semaine et des journées limitées à 12 heures de travail). Rien de nouveau sous le soleil puisque, de nos jours, le « bobo » achète des vêtements « froissés chics » fabriqués au Viêtnam ou au Bengladesh par des gosses qui triment 6 jours sur 7 pour un salaire de misère. Au début des années 60, la loi scélérate dite « Pisani-Debatisse » (tous deux francs-maçons) supprimait l’un des derniers privilèges : celui des bouilleurs de cru. L’état jacobin ne supportait pas l’idée qu’un petit propriétaire puisse transmettre à son fils le droit de confectionner sa goutte, sa gnole, son marc, et de surcroît sans payer de taxes.
Alors oui, on peut s’interroger sur l’intérêt ou la nécessité d’abolir les privilèges
Sous l’ancien régime, les impôts étaient nombreux et le vassal devait un tiers de ses gains – en temps ou en argent – au Royaume et/ou à son suzerain. De nos jours, « le Figaro » nous apprend que, si l’on retire de ses revenus les impôts, taxes, et cotisations sociales diverses et variées, le Français travaille pour l’état jusqu’au… 25 juillet.
En clair, notre économie socialiste – car il s’agit bien de cela ! – lui prend les deux tiers de ce qu’il gagne. Et la France bat un record mondial d’hyper-fiscalité puisqu’on compte chez nous plus de 200 impôts et taxes. Notons, au passage, que les pays qui sont encore des monarchies – certes constitutionnelles – s’en sortent plutôt mieux que nous. Dire que, vers 1600, le bon roi Henri IV espérait que, chaque dimanche, le peuple pourrait manger une poule-au-pot. Aujourd’hui, la cour du baron Goullet de Rugy s’empiffre de homard, et la bouffonne franco-sénégalaise Ndiaye nous invite à manger du kébab, qui, comme chacun sait, est un plat typiquement français (7).
Franchement, cela valait-il le coup de faire une révolution, de guillotiner le Roi, de massacrer la Vendée, de mettre l’Europe à feu et à sang ?
Sincèrement, je pense que non mais ceci n’engage que moi ! Et tant pis, après tout, si notre pays, en pleine dégénérescence, confond « le Trône et l’Autel » avec le trône des chiottes et l’hôtel de passe.
Je m’arroge UN privilège, UN SEUL, celui de ne pas rendre ma plume serve (8).
Éric de Verdelhan.
(1) « Histoire de Révolution française », de Jules Michelet, Flammarion, 1897–1898.
(2) Et, le 21 janvier 1793, la France guillotinera le « Restaurateur de la Liberté française », sans doute pour le remercier d’avoir été si bon ?
(3) De nos jours, on dirait « poules de luxe ».
(4) Et au service de Dieu car le Roi était monarque « de droit divin ».
(5) Mais qui ne coûtait rien au contribuable.
6) En 1954, le saint homme, avant de lancer son appel en faveur des sans-abris, avait refusé sa pitié aux combattants de Diên-Biên-Phu qui faisaient « une sale guerre colonialiste ». C’est le même qui, plus tard, condamnera les parachutistes d’Algérie mais pas le FLN.
(7) Au même titre que le couscous, les loukoums ou le tajine au poulet.
(8) « La plume est serve mais la parole est libre » dit-on en droit.