Du courage politique plutôt que de l’huile de friture sur les lignes aériennes !
Nous écrivions dans notre article Nice, la ville où il ne fait pas bon respirer daté du 5 juillet 2020 :
L’aéroport de Nice est à présent surdimensionné pour sa dizaine d’avions par jour et il n’est pas sûr que la société concessionnaire de l’aéroport (SACA : Société des Aéroports de la Côte d’Azur), bénéficiaire de ce permis de construire, agrandisse un jour le terminal. Ce qui donnerait raison à Collectif Citoyen 06 par une voie détournée et inattendue.
Aujourd’hui le Collectif Citoyen 06 réagit à l’annonce gouvernementale de faire voler les avions au « biocarburant » :
Communiqué de presse – Mai 2021
Sur fond d’urgence climatique, la Covid-19 a semé la panique sur les marchés et les comptes publics. Il faut donc sauver l’économie, quoi qu’il en coûte. L’aviation commerciale, levier de la mondialisation et de l’hyper-tourisme, devient un trésor à sauver. Et voilà que les élus et industriels déclarent détenir LA solution avec les biocarburants et l’hydrogène. Mais la réalité est tout autre…
L’aviation commerciale fourbit ses armes environnementales pour ne pas partir en décrochage face aux cumulonimbus qui s’amoncellent sur la ligne d’horizon autour des accords de Paris, après une période de turbulences très sévères (Covid-19). Ainsi, tant les constructeurs aéronautiques que les compagnies aériennes, mais également les personnalités politiques, promeuvent les carburants alternatifs au kérosène (Jet A‑1) : le SAF (Sustainable Aviation Fuel) et le H2 (Hydrogène). Des nouvelles panacées ? Voyons cela de plus près : aujourd’hui, épluchons le SAF, appelé bien pompeusement « biocarburant ».
Le 18 mai 2021 sur son compte Twitter, Jean-Baptiste Djebbari, premier des commerciaux de l’aviation civile, mais officiellement ministre délégué aux transports de la République française, écrit : « Faire voler un avion de Paris à Montréal avec un carburant à base d’huiles de cuisson usagées ? C’est un peu fou, et c’est ce qui va se passer aujourd’hui », enchaînant : « Il est 15h40. Le vol AF342 vient de décoller de Roissy, direction Montréal. C’est le tout premier vol long-courrier avec du biocarburant aérien durable produit en France. » L’Airbus A350-900, bel oiseau biréacteur d’une masse maximale de 280 tonnes et d’une longueur de 67 mètres, pouvant embarquer 325 passagers, allait rejoindre le pays de l’érable en moins de sept heures, avec son mélange de kérosène et d’huiles de cuisson usagées. Notons que les premiers essais ont eu lieu il y a plus de 12 ans, fin 2008, sur un Boeing 747–400 d’Air New Zealand.
En fait de carburant « à base d’huiles de cuisson usagées », il s’agit d’un mélange de 16% d’huiles et 84% de kérosène bien classique. Le ministre Djebbari nous indique que ce biocarburant d’huiles usagées, les émissions de CO2 sont réduites de 91% par rapport au kérosène. Première désinformation, car même l’Association internationale du transport aérien (IATA), organisation commerciale internationale de sociétés de transport aérien (ce qu’on appelle un lobby) indique que cette réduction d’émissions CO2 ne dépasse pas – 80%. Le directeur général Raffinage Chimie de Total, Bernard Pinatel, parle quant à lui, d”«au moins – 50%». Les – 91% s’éloignent encore…
Il est temps de sortir la calculette ! Un A350 consomme autour de 50 000 litres de kérosène sur les 5 500 km séparant Paris de Montréal. Ce 18 mai 2021, l’A350 a donc consommé 42 000 litres de kérosène et 8 000 litres de SAF (16%). La combustion d’un litre de kérosène émet 3,04 kg de CO2, et celle d’un litre de SAF environ 0,6 kg CO2 si l’on s’en tient à une réduction de l’empreinte carbone de – 80%. Ce vol transatlantique aller de près de sept heures aura donc émis 133 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, au lieu des 152 tonnes habituelles. Quel est le gain du SAF sur ce vol ? La réduction de CO2 aura été de 19 tonnes, soit – 12,5%.
Comme pour nous montrer les fantastiques perspectives offertes par ce nouveau biocarburant, le ministre évoque ensuite la possibilité d’augmenter le pourcentage de SAF de 16% à 50%, sans modifier ni les avions ni leurs moteurs. Calcul rapide : cette fois, les émissions CO2 du vol seraient de 91 tonnes, soit un gain de – 40%.
Où l’affaire se complique : même avec un mélange maximal de 50% de SAF, un tel vol nécessiterait 25 000 litres de « biocarburant », soit 20 tonnes. Il est évident que de tels volumes, à rapporter sur l’ensemble des vols commerciaux, nécessitent une filière de production gigantesque (la France mise notamment sur sa raffinerie Total de La Mède dans les Bouches-du-Rhône, récemment reconvertie de l’huile de palme aux huiles de cuisson usagées), et nous aurons l’occasion de reparler de ses sévères impacts environnementaux (déforestation pour de l’huile de palme, de colza ou de la canne à sucre par exemple, perte de biodiversité, engrais et pesticides…) et agroalimentaires (conflit d’usages avec l’accaparement des terres agricoles et des eaux, hausse des prix alimentaires, alors que 25 000 êtres humains meurent chaque jour de faim). Le journaliste Fabrice Nicolino n’hésite d’ailleurs pas à qualifier ces nouveaux carburants de « nécrocarburants » pour dénoncer leurs impacts écologiques et sociaux…
L’autre frein, plus immédiat, concerne le prix de ce biocarburant. Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, nous dit ceci : « Le jet fuel (kérosène) coûte 400 euros la tonne, le biocarburant coûte 1 500 ». Soit près de 4 fois plus cher. Ce qui signifie qu’un mélange kérosène-biocarburant à 50% coûterait 2,5 fois plus cher que le kérosène seul. Autant dire que les 50% sont un objectif illusoire.
Et en effet, la France a récemment annoncé qu’elle allait « rendre obligatoire l’incorporation de 1% de SAF dans tous les vols au départ du pays en 2022, un taux qui montera à 2% en 2025 et 5% en 2030 »(1). On est donc bien loin, encore une fois, des 50% annoncés par le champion de l’illusionnisme (d’aucuns pourraient aller jusqu’à l’escroquerie) : le fougueux ministre Djebbari.
Reprenons donc notre Roissy-Montréal en 2030 : remplir les réservoirs de l’A350 avec 5% de SAF nécessitera 2 500 litres d’huiles usagées traitées, qui permettront de réduire les émissions CO2 de – 5,5 tonnes sur ce vol, soit … – 3,6% seulement ! Rappelons qu’en 2030, il ne restera que 20 ans pour atteindre la neutralité carbone. À ce rythme, nous pouvons être certains que l’objectif sera magistralement raté !
Une information complémentaire ? Nos communicants n’évoquent à dessein que les émissions de CO2, sans même aborder le sujet qui fâche : le pouvoir réchauffant (« forçage radiatif ») des vols est loin de n’être dû qu’aux émissions de CO2 des turboréacteurs. En effet, les effets connexes des avions à réaction (traînées de condensation, cirrus induits, oxydes d’azote précurseurs de l’ozone, gaz à effet de serre, etc.) doublent a minima le forçage radiatif du seul CO2. Or c’est bien ce forçage global qui agit très directement sur le réchauffement climatique. Qu’il s’agisse donc de kérosène, de biocarburant ou même d’hydrogène, les vols auront toujours un impact très significatif sur le réchauffement climatique. C’est désagréable à entendre, mais c’est une réalité physique, dont évidemment aucun responsable politique, industriel ou commercial ne parle.
Comme n’est pas évoqué le terrible Paradoxe de Jevons : l’« effet rebond ». Améliorez l’efficacité énergétique d’un appareil, qu’il s’agisse d’une ampoule d’éclairage, d’un écran ou d’un réacteur d’avion, et ces gains se traduisent par une baisse de coût à l’origine d’une explosion de la demande. C’est ainsi que les ventes d’ampoules, d’écrans ou de billets d’avions ont des allures d’exponentielles. Au final, ce sont les émissions absolues de gaz à effet de serre qui augmentent… C’est une raison majeure de l’extrême difficulté qu’éprouvent nos sociétés occidentales, fondées sur le commerce et les échanges mondialisés, à lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Pour s’en convaincre, rappelons qu’entre 1990 et 2015, les émissions CO2 de l’aviation ont progressé de 105 % dans le monde, de 88 % pour l’Union européenne et la France. Ce point est le nœud gordien du drame environnemental planétaire qui se joue actuellement sous nos yeux.
Résumons. Comme pour rassurer les marchés et les consommateurs assoiffés de liberté, en particulier après la pandémie Covid-19, la plupart de nos responsables PO-IN-CO (politiques, industriels, commerciaux) nous leurrent à longueur de journées médiatiques, nous abreuvant d’un faux optimisme sur la croissance sans limite, sur la technologie « réponse-à-tout », dont nous allons finir par payer collectivement le prix fort si nous poursuivons dans cette voie tout à fait irresponsable de faux-semblant, de spéculations technologiques hasardeuses, de compensations carbone à tout-va qui ne sont que des droits à polluer. Il y va du biocarburant, comme de l’hydrogène, vous l’aurez compris. Un début de solution ? Tout le monde le sait, mais fait encore mine de ne pas le savoir. Celui d’une prise en compte effective de l’urgence climatique, d’une sobriété générale accompagnée et expliquée, d’une reconversion stratégique de pans entiers de nos économies fragilisées. Cela nécessite évidemment du courage politique. Or que font nombre de nos politiciens aujourd’hui, à l’aube de nouvelles échéances électorales ? Ils agitent à l’envi la question sécuritaire (il est si facile de « jouer » avec la peur !), et nous font miroiter une transition sans effort. Quel manque d’audace et de vision ! Quel déficit de hauteur de vue !
Puisqu’il est ici question d’avions, l’altitude comme la vitesse (de changement) deviennent des urgences… Nous n’avons pas besoin d’huiles de cuisson usagées pour faire voler des myriades d’avions, mais de courage et de changement pour atteindre nos engagements et préserver l’avenir de nos enfants !
Si la transformation des logiciels de nos élus n’intervient pas très rapidement, il sera temps de passer à une grande phase de « dégagisme » de ces faux écologistes, mais vrais fossiles néolibéraux, pour offrir les rênes du Pouvoir à une nouvelle classe de jeunes politiques issus de la société civile, des jeunes sincères, engagés, authentiques, lucides et compétents. Temps de mettre un terme à ce « greenwashing » généralisé, à cette communication délirante et mensongère, à cet arc-boutement sur une hypermobilité « quoi qu’il en coûte ». Les femmes ont évidemment un rôle majeur à jouer dans cette grande transformation, de cette « andropolitique » testostéronée à une vision politique plus équilibrée et raisonnable. Aragon a vu juste.
Si aujourd’hui, il semble que nous en soyons encore loin, rappelons-nous que le vent de l’Histoire se lève parfois violemment. Pour notre plus grand bien, dans le cas présent, car ces modèles technolibéraux nous poussent vers la non-durabilité et le chaos.
Voulons-nous du chaos ?
Urgence climatique basée sur les travaux du GIEC ? Certains scientifiques affirment que le changement climatique n’est pas une cause humaine, ce qui est certainement la vérité car derrière le business des accords de Paris se cachent encore des milliards de profits pour toute la crasse mondialiste. URGENCE CLIMATIQUE = COVID19 et bientôt le 21 !
Nous ne voulons pas de friture sur la ligne !
Bravo pour la friture sur la ligne .…