Du courage politique plutôt que de l’huile de friture sur les lignes aériennes !

26 mai 2021 | 3 Commentaires 

Nous écri­vions dans notre article Nice, la ville où il ne fait pas bon res­pi­rer daté du 5 juillet 2020 :

L’aéroport de Nice est à pré­sent sur­di­men­sion­né pour sa dizaine d’avions par jour et il n’est pas sûr que la socié­té conces­sion­naire de l’aéroport (SACA : Société des Aéroports de la Côte d’Azur), béné­fi­ciaire de ce per­mis de construire, agran­disse un jour le ter­mi­nal. Ce qui don­ne­rait rai­son à Collectif Citoyen 06 par une voie détour­née et inattendue.

Aujourd’hui le Collectif Citoyen 06 réagit à l’an­nonce gou­ver­ne­men­tale de faire voler les avions au « bio­car­bu­rant » :

Communiqué de presse – Mai 2021

Sur fond d’ur­gence cli­ma­tique, la Covid-19 a semé la panique sur les mar­chés et les comptes publics. Il faut donc sau­ver l’é­co­no­mie, quoi qu’il en coûte. L’aviation com­mer­ciale, levier de la mon­dia­li­sa­tion et de l’hy­per-tou­risme, devient un tré­sor à sau­ver. Et voi­là que les élus et indus­triels déclarent déte­nir LA solu­tion avec les bio­car­bu­rants et l’hy­dro­gène. Mais la réa­li­té est tout autre…

L’aviation com­mer­ciale four­bit ses armes envi­ron­ne­men­tales pour ne pas par­tir en décro­chage face aux cumu­lo­nim­bus qui s’amoncellent sur la ligne d’horizon autour des accords de Paris, après une période de tur­bu­lences très sévères (Covid-19). Ainsi, tant les construc­teurs aéro­nau­tiques que les com­pa­gnies aériennes, mais éga­le­ment les per­son­na­li­tés poli­tiques, pro­meuvent les car­bu­rants alter­na­tifs au kéro­sène (Jet A‑1) : le SAF (Sustainable Aviation Fuel) et le H2 (Hydrogène). Des nou­velles pana­cées ? Voyons cela de plus près : aujourd’hui, éplu­chons le SAF, appe­lé bien pom­peu­se­ment « biocarburant ».

Le 18 mai 2021 sur son compte Twitter, Jean-Baptiste Djebbari, pre­mier des com­mer­ciaux de l’aviation civile, mais offi­ciel­le­ment ministre délé­gué aux trans­ports de la République fran­çaise, écrit : « Faire voler un avion de Paris à Montréal avec un car­bu­rant à base d’huiles de cuis­son usa­gées ? C’est un peu fou, et c’est ce qui va se pas­ser aujourd’hui », enchaî­nant : « Il est 15h40. Le vol AF342 vient de décol­ler de Roissy, direc­tion Montréal. C’est le tout pre­mier vol long-cour­rier avec du bio­car­bu­rant aérien durable pro­duit en France. » L’Airbus A350-900, bel oiseau biréac­teur d’une masse maxi­male de 280 tonnes et d’une lon­gueur de 67 mètres, pou­vant embar­quer 325 pas­sa­gers, allait rejoindre le pays de l’érable en moins de sept heures, avec son mélange de kéro­sène et d’huiles de cuis­son usa­gées. Notons que les pre­miers essais ont eu lieu il y a plus de 12 ans, fin 2008, sur un Boeing 747–400 d’Air New Zealand.

En fait de car­bu­rant « à base d’huiles de cuis­son usa­gées », il s’agit d’un mélange de 16% d’huiles et 84% de kéro­sène bien clas­sique. Le ministre Djebbari nous indique que ce bio­car­bu­rant d’huiles usa­gées, les émis­sions de CO2 sont réduites de 91% par rap­port au kéro­sène. Première dés­in­for­ma­tion, car même l’Association inter­na­tio­nale du trans­port aérien (IATA), orga­ni­sa­tion com­mer­ciale inter­na­tio­nale de socié­tés de trans­port aérien (ce qu’on appelle un lob­by) indique que cette réduc­tion d’émissions CO2 ne dépasse pas – 80%. Le direc­teur géné­ral Raffinage Chimie de Total, Bernard Pinatel, parle quant à lui, d”«au moins – 50%». Les – 91% s’éloignent encore…

Il est temps de sor­tir la cal­cu­lette ! Un A350 consomme autour de 50 000 litres de kéro­sène sur les 5 500 km sépa­rant Paris de Montréal. Ce 18 mai 2021, l’A350 a donc consom­mé 42 000 litres de kéro­sène et 8 000 litres de SAF (16%). La com­bus­tion d’un litre de kéro­sène émet 3,04 kg de CO2, et celle d’un litre de SAF envi­ron 0,6 kg CO2 si l’on s’en tient à une réduc­tion de l’empreinte car­bone de – 80%. Ce vol trans­at­lan­tique aller de près de sept heures aura donc émis 133 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, au lieu des 152 tonnes habi­tuelles. Quel est le gain du SAF sur ce vol ? La réduc­tion de CO2 aura été de 19 tonnes, soit – 12,5%.

Comme pour nous mon­trer les fan­tas­tiques pers­pec­tives offertes par ce nou­veau bio­car­bu­rant, le ministre évoque ensuite la pos­si­bi­li­té d’augmenter le pour­cen­tage de SAF de 16% à 50%, sans modi­fier ni les avions ni leurs moteurs. Calcul rapide : cette fois, les émis­sions CO2 du vol seraient de 91 tonnes, soit un gain de – 40%.

Où l’affaire se com­plique : même avec un mélange maxi­mal de 50% de SAF, un tel vol néces­si­te­rait 25 000 litres de « bio­car­bu­rant », soit 20 tonnes. Il est évident que de tels volumes, à rap­por­ter sur l’ensemble des vols com­mer­ciaux, néces­sitent une filière de pro­duc­tion gigan­tesque (la France mise notam­ment sur sa raf­fi­ne­rie Total de La Mède dans les Bouches-du-Rhône, récem­ment recon­ver­tie de l’huile de palme aux huiles de cuis­son usa­gées), et nous aurons l’occasion de repar­ler de ses sévères impacts envi­ron­ne­men­taux (défo­res­ta­tion pour de l’huile de palme, de col­za ou de la canne à sucre par exemple, perte de bio­di­ver­si­té, engrais et pes­ti­cides…) et agroa­li­men­taires (conflit d’usages avec l’accaparement des terres agri­coles et des eaux, hausse des prix ali­men­taires, alors que 25 000 êtres humains meurent chaque jour de faim). Le jour­na­liste Fabrice Nicolino n’hésite d’ailleurs pas à qua­li­fier ces nou­veaux car­bu­rants de « nécro­car­bu­rants » pour dénon­cer leurs impacts éco­lo­giques et sociaux…

L’autre frein, plus immé­diat, concerne le prix de ce bio­car­bu­rant. Le PDG de Total, Patrick Pouyanné, nous dit ceci : « Le jet fuel (kéro­sène) coûte 400 euros la tonne, le bio­car­bu­rant coûte 1 500 ». Soit près de 4 fois plus cher. Ce qui signi­fie qu’un mélange kéro­sène-bio­car­bu­rant à 50% coû­te­rait 2,5 fois plus cher que le kéro­sène seul. Autant dire que les 50% sont un objec­tif illusoire.

Et en effet, la France a récem­ment annon­cé qu’elle allait « rendre obli­ga­toire l’in­cor­po­ra­tion de 1% de SAF dans tous les vols au départ du pays en 2022, un taux qui mon­te­ra à 2% en 2025 et 5% en 2030 »(1). On est donc bien loin, encore une fois, des 50% annon­cés par le cham­pion de l’illusionnisme (d’aucuns pour­raient aller jusqu’à l’escroquerie) : le fou­gueux ministre Djebbari.

Reprenons donc notre Roissy-Montréal en 2030 : rem­plir les réser­voirs de l’A350 avec 5% de SAF néces­si­te­ra 2 500 litres d’huiles usa­gées trai­tées, qui per­met­tront de réduire les émis­sions CO2 de – 5,5 tonnes sur ce vol, soit … – 3,6% seule­ment ! Rappelons qu’en 2030, il ne res­te­ra que 20 ans pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone. À ce rythme, nous pou­vons être cer­tains que l’objectif sera magis­tra­le­ment raté !

Une infor­ma­tion com­plé­men­taire ? Nos com­mu­ni­cants n’évoquent à des­sein que les émis­sions de CO2, sans même abor­der le sujet qui fâche : le pou­voir réchauf­fant (« for­çage radia­tif ») des vols est loin de n’être dû qu’aux émis­sions de CO2 des tur­bo­réac­teurs. En effet, les effets connexes des avions à réac­tion (traî­nées de conden­sa­tion, cir­rus induits, oxydes d’azote pré­cur­seurs de l’ozone, gaz à effet de serre, etc.) doublent a mini­ma le for­çage radia­tif du seul CO2. Or c’est bien ce for­çage glo­bal qui agit très direc­te­ment sur le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Qu’il s’agisse donc de kéro­sène, de bio­car­bu­rant ou même d’hydrogène, les vols auront tou­jours un impact très signi­fi­ca­tif sur le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. C’est désa­gréable à entendre, mais c’est une réa­li­té phy­sique, dont évi­dem­ment aucun res­pon­sable poli­tique, indus­triel ou com­mer­cial ne parle.

Comme n’est pas évo­qué le ter­rible Paradoxe de Jevons : l’« effet rebond ». Améliorez l’efficacité éner­gé­tique d’un appa­reil, qu’il s’agisse d’une ampoule d’éclairage, d’un écran ou d’un réac­teur d’avion, et ces gains se tra­duisent par une baisse de coût à l’origine d’une explo­sion de la demande. C’est ain­si que les ventes d’ampoules, d’écrans ou de billets d’avions ont des allures d’exponentielles. Au final, ce sont les émis­sions abso­lues de gaz à effet de serre qui aug­mentent… C’est une rai­son majeure de l’extrême dif­fi­cul­té qu’é­prouvent nos socié­tés occi­den­tales, fon­dées sur le com­merce et les échanges mon­dia­li­sés, à lut­ter effi­ca­ce­ment contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Pour s’en convaincre, rap­pe­lons qu’entre 1990 et 2015, les émis­sions CO2 de l’aviation ont pro­gres­sé de 105 % dans le monde, de 88 % pour l’Union euro­péenne et la France. Ce point est le nœud gor­dien du drame envi­ron­ne­men­tal pla­né­taire qui se joue actuel­le­ment sous nos yeux.

Résumons. Comme pour ras­su­rer les mar­chés et les consom­ma­teurs assoif­fés de liber­té, en par­ti­cu­lier après la pan­dé­mie Covid-19, la plu­part de nos res­pon­sables PO-IN-CO (poli­tiques, indus­triels, com­mer­ciaux) nous leurrent à lon­gueur de jour­nées média­tiques, nous abreu­vant d’un faux opti­misme sur la crois­sance sans limite, sur la tech­no­lo­gie « réponse-à-tout », dont nous allons finir par payer col­lec­ti­ve­ment le prix fort si nous pour­sui­vons dans cette voie tout à fait irres­pon­sable de faux-sem­blant, de spé­cu­la­tions tech­no­lo­giques hasar­deuses, de com­pen­sa­tions car­bone à tout-va qui ne sont que des droits à pol­luer. Il y va du bio­car­bu­rant, comme de l’hydrogène, vous l’aurez com­pris. Un début de solu­tion ? Tout le monde le sait, mais fait encore mine de ne pas le savoir. Celui d’une prise en compte effec­tive de l’urgence cli­ma­tique, d’une sobrié­té géné­rale accom­pa­gnée et expli­quée, d’une recon­ver­sion stra­té­gique de pans entiers de nos éco­no­mies fra­gi­li­sées. Cela néces­site évi­dem­ment du cou­rage poli­tique. Or que font nombre de nos poli­ti­ciens aujourd’hui, à l’aube de nou­velles échéances élec­to­rales ? Ils agitent à l’envi la ques­tion sécu­ri­taire (il est si facile de « jouer » avec la peur !), et nous font miroi­ter une tran­si­tion sans effort. Quel manque d’audace et de vision ! Quel défi­cit de hau­teur de vue !

Puisqu’il est ici ques­tion d’avions, l’altitude comme la vitesse (de chan­ge­ment) deviennent des urgences… Nous n’avons pas besoin d’huiles de cuis­son usa­gées pour faire voler des myriades d’avions, mais de cou­rage et de chan­ge­ment pour atteindre nos enga­ge­ments et pré­ser­ver l’avenir de nos enfants !

Si la trans­for­ma­tion des logi­ciels de nos élus n’intervient pas très rapi­de­ment, il sera temps de pas­ser à une grande phase de « déga­gisme » de ces faux éco­lo­gistes, mais vrais fos­siles néo­li­bé­raux, pour offrir les rênes du Pouvoir à une nou­velle classe de jeunes poli­tiques issus de la socié­té civile, des jeunes sin­cères, enga­gés, authen­tiques, lucides et com­pé­tents. Temps de mettre un terme à ce « green­wa­shing » géné­ra­li­sé, à cette com­mu­ni­ca­tion déli­rante et men­son­gère, à cet arc-bou­te­ment sur une hyper­mo­bi­li­té « quoi qu’il en coûte ». Les femmes ont évi­dem­ment un rôle majeur à jouer dans cette grande trans­for­ma­tion, de cette « andro­po­li­tique » tes­to­sté­ro­née à une vision poli­tique plus équi­li­brée et rai­son­nable. Aragon a vu juste.

Si aujourd’hui, il semble que nous en soyons encore loin, rap­pe­lons-nous que le vent de l’Histoire se lève par­fois vio­lem­ment. Pour notre plus grand bien, dans le cas pré­sent, car ces modèles tech­no­li­bé­raux nous poussent vers la non-dura­bi­li­té et le chaos.

Voulons-nous du chaos ?

Collectif Citoyen 06

(1) https://www.capital.fr/entreprises-marches/air-france-total-premier-vol-long-courrier-a-lhuile-de-cuisson-1403607

3 Commentaires 

  1. Urgence cli­ma­tique basée sur les tra­vaux du GIEC ? Certains scien­ti­fiques affirment que le chan­ge­ment cli­ma­tique n’est pas une cause humaine, ce qui est cer­tai­ne­ment la véri­té car der­rière le busi­ness des accords de Paris se cachent encore des mil­liards de pro­fits pour toute la crasse mon­dia­liste. URGENCE CLIMATIQUE = COVID19 et bien­tôt le 21 !

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  2. Nous ne vou­lons pas de fri­ture sur la ligne !

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    • Bravo pour la fri­ture sur la ligne .…

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