Oran, 5 juillet 1962 : la fin d’un monde – Récit

par | 4 juillet 2022 | 1 com­men­taire

« La France se doit de pro­té­ger ses enfants de l’autre côté de la Méditerranée, elle le fait et elle le fera. » Charles de Gaulle, le 21 sep­tembre 1961, à Villefranche-de-Rouergue.

Il semble bien que la marque de nais­sance de toutes les « révo­lu­tions » modernes soit appo­sée au fer rouge des mas­sacres per­pé­trés par des indi­vi­dus fana­ti­sés et mani­pu­lés, ou par des foules hys­té­riques tout autant influen­cées. Le mythe de fon­da­tion de ces bou­le­ver­se­ments a besoin d’un holo­causte pour que l’Histoire, tout aus­si moderne que ces révo­lu­tions, puisse en rete­nir les effets après en avoir défi­ni (som­mai­re­ment) les causes.
Juste trois exemples :
La révo­lu­tion « fran­çaise », mère de toutes celles qui ont sui­vi, a construit ses bases sur le géno­cide des Vendéens et la déca­pi­ta­tion de ses oppo­sants. Serait-ce là ce que nos poli­ti­ciens appellent « les valeurs de la République » ?
La révo­lu­tion « russe » de 1917 a mas­sa­cré tous les membres de la famille impé­riale russe (il s’agit bien d’un mas­sacre et non d’une exé­cu­tion) dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 sur ordre de Lénine.
La révo­lu­tion « algé­rienne »(1) a écrit son acte de nais­sance avec le sang des mar­tyrs ora­nais, Européens et musul­mans, lors du mas­sacre du 5 juillet 1962.

Les prémices

Nuit de Noël 1960, Oran, quar­tier Victor-Hugo ; nous habi­tons alors, ma famille et moi, mes parents, mon frère, ma sœur, un petit appar­te­ment d’une ancienne mai­son en rez-de-chaus­sée au 13, rue de Bône ; Maman et ma grande sœur s’affairent à pré­pa­rer une veillée de Noël avec quelques pâtis­se­ries dont les Oranaises ont le secret et mon frère et moi nous sup­pu­tons, en nous cha­maillant comme d’habitude, la nature des cadeaux que nous trou­ve­rons le len­de­main au pied du pin enguir­lan­dé ; la radio dif­fuse des chants de Noël en sour­dine ; sou­dai­ne­ment, bruits de pas lourds et pré­ci­pi­tés dans le jar­din à l’arrière de la mai­son : Jeannette, Juanica ! Ma mère recon­naît la voix d’une de nos voi­sines qui habite l’immeuble à côté, madame Montesinos.
Elle se pré­ci­pite à l’extérieur ; la voix de son amie paraît angois­sée : « Fermez les portes et les fenêtres, ils arrivent ! » ; et madame Montesinos repart en hale­tant, balan­çant son corps impo­sant – les madres espa­gnoles sont comme les mamas ita­liennes – sans prendre le temps de répondre aux ques­tions de ma mère : « Mais qui ? Quoi ? Madre de Dios ! »
En prê­tant l’oreille, nous par­vient au loin une rumeur sourde d’où jaillissent des youyous et des cris de frayeur. Nous com­pre­nons tout de suite. « Gracias, Angela ! », crie ma mère.
Nous pous­sons la grosse com­mode devant la porte, rem­part sans doute déri­soire ; mon père sort le fusil, ma sœur éteint la radio et les lumières ; il n’a pas fal­lu long­temps avant que nous enten­dions le choc cin­glant des coups de hache frap­pés aux portes de nos voi­sins et à nou­veau ces cris et ces youyous ; nous sommes tous à genoux, sauf mon père der­rière la porte avec le fusil ; ma mère chante du bout des lèvres un can­tique en nous ser­rant contre elle, ma sœur prie ; les coups se rap­prochent ; notre tour va venir ; nous savons dans quelle hor­reur notre vie va se ter­mi­ner ; nous nous atten­dons d’une seconde à l’autre à voir notre porte voler en éclats ; mais rien n’arrive ; la foule hys­té­rique passe en cou­rant et en hur­lant ; un Arabe, juste devant notre entrée, crie quelque chose ; la rumeur s’éloigne.
Noël 1960 ; Noël de ter­reur. Me acuer­dare de ti toda mi vida, cuan­do mi madre can­ta­ba para no llo­rar(2)… Je me sou­vien­drai de toi toute ma vie, quand ma mère chan­tait pour ne pas pleu­rer.
Nous sau­rons plus tard que l’Arabe qui criait devant la porte était employé du garage où tra­vaillait mon père et qu’il encou­ra­geait ses core­li­gion­naires à conti­nuer leur che­min. Je n’ai pas su s’il y avait eu des vic­times ou s’il ne s’agissait que d’une opé­ra­tion d’intimidation des­ti­née à faire par­tir les Européens du quar­tier ; ce que nous avons d’ailleurs fait.
C’était peut-être pour moi la deuxième fois qu’un indi­gène me sau­vait la vie ; j’avais failli être enle­vé au « Village nègre », un quar­tier dépour­vu d’Européens dans lequel je m’étais impru­dem­ment aven­tu­ré deux ans aupa­ra­vant au retour du lycée, lorsqu’un homme, musul­man comme mes ravis­seurs, s’était inter­po­sé pour me remettre en liber­té ; mes parents n’en ont jamais rien su.
Quelques mois après ce ter­rible évé­ne­ment de Noël, notre famille avait encore à subir une épreuve : reve­nant du quar­tier Gambetta, le soir, après un dîner chez des membres de notre famille, nous arri­vons dans une zone tota­le­ment pri­vée de lumière ; plu­sieurs coups de sif­flet stri­dents – nous avons com­pris trop tard qu’on nous pré­ve­nait– et un déluge de feu s’abat sur notre voi­ture : mitrailleuse 12,7 à balles tra­çantes qui anti­cipe notre aug­men­ta­tion de vitesse et tire donc devant notre véhi­cule ; mon père, au contraire, ralen­tit : com­bat­tant pen­dant 11 ans en France et jusqu’en Allemagne pen­dant la guerre en tant qu’appelé de 35 à 46 (au ser­vice de la France et des Français « métro­po­li­tains » -, c’est gra­tuit, mer­ci ! et mer­ci de votre accueil en 1962 !-), ça laisse des traces. Nous réus­sis­sons à fran­chir les bar­rages éta­blis cette fois par les com­man­dos OAS pour pro­té­ger leur retraite ; après véri­fi­ca­tion, seule­ment deux impacts de balles qui n’ont tou­ché per­sonne. Nous sau­rons ensuite qu’une caserne de gardes mobiles avait été atta­quée par l’OAS et nous pas­sions inop­por­tu­né­ment devant cette caserne juste après l’attaque.

L’horreur

« Qui sont les cou­pables ? » deman­de­ra Guillaume Zeller dans son livre Oran, 5 juillet 1962, un mas­sacre oublié(3). Oui, Zeller, le petit-fils de l’un des quatre géné­raux du putsch qui avaient ten­té le tout pour le tout pour sau­ver leur hon­neur, l’Algérie et les Pieds-Noirs.
Et Guillaume Zeller pour­suit : « Cinquante après, les causes de ce défer­le­ment meur­trier demeurent inex­pli­quées. Était-il spon­ta­né ou orches­tré ? Et s’il y a eu pré­mé­di­ta­tion, qui l’a orga­ni­sé ? Deux hypo­thèses majeures se des­sinent , une troi­sième – celle d’une pro­vo­ca­tion due à un com­man­do rési­duel de l’OAS – ayant été écar­tée par les res­pon­sables algé­riens eux-mêmes.
Le pre­mier scé­na­rio, sou­te­nu alors par le FLN, est celui d’un débor­de­ment mas­sif et incon­trô­lé pro­vo­qué par les bandes cri­mi­nelles qui règnent sur les quar­tiers de Victor-Hugo, de Lamur et sur­tout du Petit-Lac. » […] Une seconde théo­rie sup­pose que le camp Boumediene-Ben Bella aurait pré­mé­di­té les débor­de­ments cri­mi­nels de cette jour­née. »
Il y a, à mon avis, une conju­gai­son des deux hypo­thèses. Ces bandes cri­mi­nelles venaient sans doute du Petit-Lac et se sont accrues des élé­ments les plus fana­tiques de notre quar­tier de Victor-Hugo. 18 mois après leur pas­sage devant notre mai­son, ces bandes se sont ren­for­cées en nombre, en fana­tisme et en orga­ni­sa­tion et étaient donc toutes prêtes à défer­ler sur le Centre-Ville le 5 juillet 1962. Il est vrai­sem­blable qu’une telle per­sé­vé­rance ne peut-être que le fruit d’un enca­dre­ment pro­ve­nant de struc­tures plus anciennes et plus aguer­ries, comme le FLN et l’ALN.
Nous n’avons pas vécu le 5 juillet 1962 à Oran ; mes parents, forts de la sinistre expé­rience du Noël 1960, sen­tant confu­sé­ment le dan­ger, avaient déci­dé de réfu­gier notre famille à Mers-El-Kébir, plus pré­ci­sé­ment à Sainte-Clotilde, chez la sœur de mon père, quelques jours avant la date de l’indépendance.
Les récits des exac­tions com­mises contre les Pieds-Noirs ce jour-là à Oran sont une longue suite d’abominations dif­fi­ci­le­ment trans­crip­tibles, si ce n’est d’employer des mots comme énu­cléa­tion, émas­cu­la­tion, éven­tra­tion, etc., le tout ante­mor­tem. Je ne vais don­ner ici qu’un aper­çu dénué d’images vio­lentes, écrit par Gérard Rosenzweig dans Causeur du 5 juillet 2016 :

« Place d’Armes, les mani­fes­tants, après de mul­tiples égor­ge­ments, font main­te­nant des pri­son­niers. Tout ce qui montre allure euro­péenne, vête­ments, visages, lan­gage, tout est cap­tu­ré, dépouillé, roué de coups, bles­sé. Malheur au blanc et à tout ce qui s’en rap­proche. Là aus­si, des dizaines et des dizaines d’hommes, de femmes ou d’enfants touchent à leur der­nier jour. La ville n’est plus qu’une cla­meur mul­tiple de cris de mou­rants, de pogroms et de haine bru­tale.
La conta­gion est ins­tan­ta­née : en moins d’une heure le mas­sacre pousse ses méta­stases par­tout et s’organise selon d’épouvantables modes. Ici, on tue à la chaîne. Là, c’est à l’unité, à la famille. En quelques lieux, le sang a enva­hi les cani­veaux. Ailleurs, on assas­sine, on démembre, on vio­lente, on blesse pour faire plus long­temps souf­frir ; le parent meurt devant le parent pro­vi­soi­re­ment épar­gné. Douze heures trente. La place d’Armes est deve­nue main­te­nant un lieu de déten­tion et de tran­sit. Tandis qu’à cin­quante mètres, à l’abri du Cercle mili­taire et des arbres qui le dis­si­mulent, les sol­dats fran­çais ne peuvent pas ne pas entendre l’affreux concert de mort qui va durer jusqu’à dix-sept heures.
Plus connu sous le nom de « Boucher d’Oran », le géné­ral Katz nom­mé à cette fonc­tion par un autre géné­ral-pré­sident, effec­tue­ra même à cette heure-là un rapide sur­vol en héli­co­ptère. Sans rien repé­rer de par­ti­cu­lier, cer­ti­fie­ra-t-il, sinon quelques attrou­pe­ments et défi­lés de mani­fes­tants joyeux. »

On sait qu’il y avait ce jour-là à Oran 18 000 sol­dats fran­çais à qui le géné­ral Katz a inter­dit d’intervenir pour secou­rir les vic­times. Sur ordre de de Gaulle ? Seuls, quelques justes se sont dis­tin­gués comme le lieu­te­nant musul­man Rabah Khelif et le capi­taine Croguenec qui, défiant les consignes, ont sau­vé des cen­taines de Pieds-Noirs.
Le nombre de vic­times (tués et dis­pa­rus) à Oran le 5 juillet 1962 sur lequel s’accordent désor­mais tous les his­to­riens a été révé­lé par Jean-Jacques Jordi : envi­ron 700.

Quartiers Oran

Oran - 5 juillet 1961

Portrait d’Oranais :

« …Pour la plu­part d’entre eux, ils ne connaissent pas la France (sauf pour aller y mou­rir au moment des guerres), et n’y ont aucune famille. L’Algérie est donc la patrie immé­diate, la France demeu­rant la patrie rêvée. Pas d’université à Oran au contraire d’Alger. Les Oranais sont de nature simple, cer­tains diraient pri­maires ; ils sont bruyants, exu­bé­rants, directs, se pas­sionnent au-delà du rai­son­nable, s’enflamment pour un rien, Et sur­tout, ils ont une foi aveugle et abso­lue en la parole don­née […] À Oran, on n’est pas sen­sible à la casuis­tique. C’est clair et net : un contrat est un contrat, et on ne tra­hit pas un contrat. On est un homme, c’est tout et c’est beau­coup ; et l’on se fonde essen­tiel­le­ment plus sur le Droit oral, que sur le Droit écrit comme à Alger. Parler, c’est s’engager, c’est jurer. Ce jour-là, De Gaulle vient de jurer… Seul le pire des « fal­sos » (homme sans parole, hypo­crite, men­teur, qui tra­hit la parole don­née) on coupe les rela­tions avec lui, on le méprise et on le com­bat. C’est ain­si que la fata­li­té vient d’installer son décor de tra­gé­die.
Pour eux, la parole affir­mée est tou­jours une parole don­née, une parole d’honneur ; et l’on ne retire jamais une parole d’honneur. C’est ain­si que l’on peut mou­rir pour elle, comme en Espagne, en Grèce, en Italie ou en Corse. Ce jour-là, 6 juin 1958, par sa mécon­nais­sance abso­lue des peuples médi­ter­ra­néens, De Gaulle com­met une erreur poli­tique abso­lue : car ce qu’il vient de cla­mer, d’abord à Oran puis à Mostaganem (80 km plus à l’Est), devant près de trois cent mille per­sonnes consti­tue un véri­table contrat offi­ciel pas­sé entre lui et le peuple d’une ville. »

La déportation

La France n’était pas ma patrie ; nous lui avions tout don­né ; elle nous avait tout repris, et bien au-delà du compte ; j’ai consi­dé­ré que nous avions été dépor­tés plu­tôt que « rapa­triés ».
Nous sommes par­tis le 22 juillet sur un bateau, le Ville d’Oran, je crois, qui arri­ve­ra à Marseille ; nous avions dû attendre quelques jours à Sainte-Clotilde pour que mon père fasse fabri­quer un cadre en bois pour y amas­ser quelques affaires ; sur le quai d’embarquement à Mers-El-Kébir, écra­sé par le silence, le soleil et la tris­tesse, mon­tait d’un juke-box une chan­son de Johnny Hallyday : Les gens m’appellent l’idole des jeunes, pré­oc­cu­pa­tion bien insou­ciante et sau­gre­nue dans ce contexte de dévas­ta­tion et de déses­poir.
J’ai dor­mi sur le pont dans un rou­leau de corde qui sen­tait le mazout.

Au col­lège d’Orange où nous étions pen­sion­naires, mon frère et moi, les jours sombres et gla­cés – ter­rible hiver 1962- se suc­cé­daient sans le moindre répit ; j’étais en classe de qua­trième ; mon pro­fes­seur prin­ci­pal m’avait pris en grippe et ne ratait pas une occa­sion d’exercer quelque bri­made ou moque­rie à mon encontre ; il n’avait pas sup­por­té la lec­ture de mes car­nets de notes d’Algérie et la liste de mes prix sco­laires ; c’était un gaul­liste dog­ma­tique qui détes­tait les Européens d’Algérie – qu’il pre­nait sans doute pour des sau­vages incultes – et mal­trai­tait avec une bonne dose de sadisme cet élève trop rebelle.
J’avais per­du mon grand ami V., natif de l’Algérois, élève de ter­mi­nale, je crois, qui s’était sui­ci­dé cette année-là en jouant à la rou­lette russe ; il me pro­té­geait de l’hostilité des jeunes métro­po­li­tains que les auto­ri­tés gaul­listes et com­mu­nistes avaient conscien­cieu­se­ment dés­in­for­més.
Dès lors, je m’étais dés­in­té­res­sé de tout effort en classe et de tout pro­jet d’avenir.
Quelques bonnes lec­tures (Le matin des magi­ciens, livre-culte de cette époque, et les œuvres de Giono), la fré­quen­ta­tion de quelques jeunes Pieds-Noirs aus­si désem­pa­rés que moi, me rac­cro­che­ront à ma nou­velle terre et à la vie.

La fin d’un monde

Le 5 juillet 1962 à Oran allait mar­quer la fin de la colo­ni­sa­tion par­tout dans le monde.
Christian Lambert, ancien ambas­sa­deur de France en Afghanistan, au Sri Lanka et en Yougoslavie, disait ceci : « La déco­lo­ni­sa­tion impo­sée par les Démocrates amé­ri­cains et les Soviétiques, a été la cause de dizaines de mil­lions de morts, de l’apogée du com­mu­nisme dans le monde, c’est-à-dire le crime, l’incurie et la cor­rup­tion et aus­si du réveil de l’Islam inté­griste dont le vrai pro­gramme est celui d’Al Qaïda : retour à une dic­ta­ture reli­gieuse obs­cu­ran­tiste par le ter­ro­risme. »
Et de Gaulle disait cela, dans ses confi­dences à Alain Peyrefitte : « Vous croyez que le corps fran­çais peut absor­ber dix mil­lions de musul­mans, qui demain seront vingt mil­lions et après-demain qua­rante ? Si nous fai­sions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient consi­dé­rés comme Français, com­ment les empê­che­rait-on de venir s’installer en métro­pole, alors que le niveau de vie y est tel­le­ment plus éle­vé ».
Il faut bien consta­ter que le fin stra­tège et le grand vision­naire sup­po­sés qu’était de Gaulle s’étaient bien trom­pés. Non seule­ment, l’indépendance de l’Algérie n’a pas arrê­té le flux migra­toire vers l’Europe et sur­tout vers la France, mais elle l’a consi­dé­ra­ble­ment accru, l’Algérie, comme bien d’autres pays afri­cains ayant accé­dé à l’indépendance, étant com­plè­te­ment inca­pable de s’assumer seule. Comment expli­quer autre­ment que les « Algériens », sitôt l’indépendance décla­rée, n’ont eu de cesse que de se « réfu­gier » chez le vilain colo­ni­sa­teur tant hon­ni ?
En se débar­ras­sant de l’Algérie à tout prix, et sur­tout au prix du sang des Pieds-Noirs, de Gaulle pri­vait la France de son meilleur rem­part contre le défer­le­ment nord-afri­cain et sub­sa­ha­rien sur l’Europe, celui que nous connais­sons aujourd’hui. Les Européens d’Algérie et leurs fidèles alliés indi­gènes tenaient le même rôle que les végé­taux plan­tés pour stop­per l’avancée des sables saha­riens vers le nord.
On sait dans quel marasme vivent désor­mais les anciens colo­ni­sés « algé­riens » qui n’ont pas su, depuis leur indé­pen­dance, pré­ser­ver les acquis de la colo­ni­sa­tion, ni même exploi­ter les res­sources natu­relles abon­dantes que de Gaulle leur avait trop géné­reu­se­ment offertes.
Pour nous en convaincre, il suf­fit de lire ces lignes d’un jour­na­liste arabe ora­nais, Kamel Daoud, dans Le Quotidien d’Oran du 5 mars 2018, dans un article titré : Oran, Mostaganem : on déteste ce pays.

« Encore des vil­lages, des moi­tiés de villes aux construc­tions inache­vées, des hideurs archi­tec­tu­rales, entre pagodes, bun­kers, fenêtres étroites alors que le ciel est vaste, ciments nus, immeubles éri­gés sur des terres agri­coles au nom du « social », urba­nisme de la dévas­ta­tion.
La crise algé­rienne, sa dou­leur, se voit sur ses murs, son urba­nisme catas­tro­phique, son irres­pect de la nature.
Les années 90 ont été un mas­sacre par la pierre et le ciment.
Le « social » des années 2000 a consom­mé le désastre. Au fond, nous vou­lons tous mou­rir. Camper puis plier bagage. C’est tout.
Arrivée près d’une plage à Mers El Hadjadj (Port-aux-Poules)
Plage d’une sale­té repous­sante, incon­ce­vable.
On com­prend, on a l’intuition d’une volon­té mal­saine de détruire les bords de mer, le lieu du corps et de la nature, et de le mas­quer par des mina­rets et des prières. Car il y a désor­mais une mos­quée à chaque plage. Insidieuse culpa­bi­li­sa­tion.
Égouts en plein air. Odeurs nau­séa­bondes. On conclut à une volon­té nette de détruire ce pays et de le rem­pla­cer par une sorte de noma­disme non­cha­lant.
En ville, à Mostaganem, de même qu’à Oran, la nou­velle mode : des affi­chettes sous les « feux rouges » qui vous appellent à consa­crer le temps de l’attente à la prière et au repen­tir. On rêve alors d’un pays où on appelle à ne pas jeter ses pou­belles par les vitres de sa voi­ture, où on appelle à ne pas salir et cra­cher, insul­ter et hon­nir, qua­li­fier de traître toute per­sonne dif­fé­rente et ne pas accu­ser les femmes en jupes de pro­vo­quer les séismes. On rêve de res­pect de la vie, des vies.
Non, c’est une évi­dence : on n’aime pas ce pays, on s’y venge de je ne sais quel mal intime. Tout le prouve : la pol­lu­tion, le manque de sens éco­lo­gique, l’urbanisme mons­trueux, la sale­té, les écoles où on enterre nos enfants et leurs âmes neuves pour en faire des zom­bies obsé­dés par l’au-delà.
On rêve d’un pays, pas d’une salle d’attente qui attend l’au-delà pour jouir du gazon au lieu de le nour­rir ici, sous nos pas, pour nous et nos enfants. On rêve et on retient, tel­le­ment dif­fi­ci­le­ment, ce cri du cœur : pour­quoi avoir tant com­bat­tu pour ce pays pour, à la fin, le mal­trai­ter si dure­ment ? Pourquoi avoir pous­sé nos héros à mou­rir pour trans­for­mer la terre sacrée en une pou­belle ouverte ? Pourquoi avoir rêvé de liber­té pour en arri­ver à cou­per les arbres et inon­der le pays de sachets en plastique ?

Alors, tout ça pour ça ?

Pierre-Émile Blairon

(1) J’ai enca­dré de guille­mets les trois adjec­tifs de natio­na­li­té car aucune des trois révo­lu­tions ne mérite ce qua­li­fi­ca­tif : la révo­lu­tion fran­çaise est une prise de pou­voir lors d’une émeute de voyous, mani­gan­cée par les bour­geois pari­siens, la révo­lu­tion russe est mar­xiste et la révo­lu­tion algé­rienne ne peut être algé­rienne puisque l’Algérie n’existait pas avant l’arrivée des Français de Charles X ; seules, des tri­bus nomades avec des chefs de grande noblesse comme le Bachaga Boualem et les mon­ta­gnards kabyles avaient un atta­che­ment au sol de cet espace indéfini.

(2) Noël à Oran, chan­son de François Valéry, incroya­ble­ment adap­tée à ce funeste souvenir.

Ou encore Alain Barrière :

Et puis aus­si dans le style yéyé :

(3) Guillaume Zeller, Oran, 5 juillet 1962, Un mas­sacre oublié, Éditions Tallandier, 2012

Pierre-Émile Blairon est l’au­teur d’un cer­tain nombre de livres liés à l’Histoire, notam­ment de la Provence, de Nostradamus à Giono et à la fin du Cycle :

Pierre-Émile Blairon - Iceberg

Pierre-Émile Blairon - Chronique fin cycle - Enfers parodisiaques

Pierre-Émile Blairon - La roue et le sablier - Bagages pour franchir le gué

Pierre-Émile Blairon - Le messager des dieux

Pierre-Émile Blairon - Livre Tradition primordiale

Les articles du même auteur

Pierre-Émile Blairon

1 commentaire

  1. 5 JUILLET 1962 : L’APOCALYPSE APRÈS 132 ANNEÉS DE LABEUR, lA VALISE OU LE CERCUEIL, QUE SONT DEVENUS 1.200.000 DE PIEDS NOIRS, 140.000 TROUPES SUPPLÉTIVES (HARKIS & MOGHAZNIS), 500.000 SOLDATS DE L’ARMÉE FRANÇAISE TRAHIS PAR LA GRANDE ZORAH, D’APRES MACRON, LA COLONISATION DE L’ALGÉRIE FUT UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ, ALORS QUE LE PEUPLE PIED NOIR DE L’ALGÉRIE FRANCAISE A BÂTI ET CONSTRUIT À LA FORCE DE SES BRAS ET LA SUEUR DE SES FRONTS, CE QUI ALLAIT DEVENIR L’ALGÉRIE FRANCAISE !!!

    Répondre

Envoyer le commentaire

Votre adresse e‑mail ne sera pas publiée. Les champs obli­ga­toires sont indi­qués avec *