Comment faire disparaître radicalement le patrimoine français ?

par | 27 décembre 2022 | Aucun com­men­taire

… et tous ces vieux vil­lages qui puent le monde tra­di­tion­nel et la bouse de vache ? Rien de plus simple ! Pas de bombes, pas de chars d’assaut : l’économie d’énergie ! Fallait y pen­ser ! C’est à la mode et ça ne tue personne !

Dystopies

« Dommage que ça ne tue per­sonne, d’ailleurs… ça aurait fait d’une pierre deux coups ! », se sont dit les frères Big Brother et Big Pharma, obsé­quieu­se­ment relayés par les organes de presse, et d’ajouter : « Depuis le temps qu’on s’échine à essayer de réduire cette popu­la­tion de gueux ! Nous avons pour­tant employé tous les moyens. La pan­dé­mie : ça n’a pas mar­ché, ils ont tra­vaillé comme des cochons, les labo­ran­tins de Wu-Fu, résul­tat : pas mieux qu’une bonne grippe de der­rière les fagots, comme ils disent chez les ploucs. Le vac­cin, oui, ça fonc­tionne, il y a beau­coup de morts et d’éclopés, mais ça n’est pas suf­fi­sant, il nous reste des mil­liards de doses à écou­ler. La guerre, c’est bien, ça fait tour­ner les usines, mais il y en a cer­tains qui ne sont pas d’accord et qui n’arrêtent pas de nous mettre des bâtons dans les roues ; là, nous nous sommes car­ré­ment fait rou­ler dans la farine ».
C’est alors que, au moment même où tout ce beau monde mon­dia­liste était dans le désar­roi total, le lob­by des BTP (Bâtiments et Travaux Publics), une struc­ture éco­no­mique qui existe dans un vieux pays, la France, d’un vieux conti­nent, l’Europe, eut l’idée de leur pro­po­ser la bonne affaire, une lueur d’espoir pour ne pas som­brer dans la neu­ras­thé­nie : « Si on ne peut pas se débar­ras­ser des habi­tants, on pour­ra tou­jours éra­di­quer tous ces agglo­mé­rats hideux et moi­sis de mai­sons déla­brées ou, au moins, les cacher à notre vue en atten­dant de les rem­pla­cer par des grandes tours pour y loger nos futurs esclaves, comme l’avait si bien ima­gi­né ce bon Le Corbusier pour détruire Paris.« 
Ce petit pas­sage d’introduction amu­sant (?), en forme de conte moderne (de Noël ?), était bien sûr une dys­to­pie. Qu’est-ce qu’une dys­to­pie ? C’est un récit de fic­tion qui décrit un monde où l’utopie, du genre « tout le monde, il est beau, tout le monde, il est gen­til », loin de se réa­li­ser, a accou­ché d’un monde catas­tro­phique. 1984, de George Orwell, ou Le Meilleur des Mondes, d’Aldous Huxley, sont des dys­to­pies. Tout comme la répu­blique, la démo­cra­tie… ou l’architecture de Le Corbusier.

Le Corbusier - Plan Voisin

En 1922, l’architecte Le Corbusier, pré­fi­gu­ra­tion des trans­hu­ma­nistes, avait ima­gi­né de raser tous les bâti­ments anciens sur la rive droite de la Seine à Paris (sauf les églises) pour y construire 18 gratte-ciel qui loge­raient entre 500 000 et 700 000 habi­tants. Projet bien­heu­reu­se­ment avorté

Deux lois mortifères et un règlement stupide : le « diagnostic de performance énergétique »

La véri­té, c’est que c’est Ségolène Royal, alors ministre de l’écologie(1), qui a ini­tié ce pro­ces­sus des­truc­teur en fai­sant adop­ter un décret (du 30 mai 2016) qui obli­ge­ra les pro­prié­taires des mai­sons (anciennes ou pas) à iso­ler leurs bâti­ments par l’extérieur, une absur­di­té que Le Canard Enchaîné du 17 août 2016 fut l’un des pre­miers à dénoncer :

Le Canard Enchaîné du 17 août 2016

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Ce décret a été confor­té par deux lois qui vont dans le droit fil des mesures contrai­gnantes liées au pos­sible « passe éner­gé­tique » qui vien­drait rem­pla­cer, ou, pire, dou­bler, le « passe médi­cal » dont rêvent tous les dic­ta­teurs de la pla­nète. On peut lire dans un article paru dans Les der­nières nou­velles d’Alsace : « Faut-il asseoir la tran­si­tion éner­gé­tique sur un champ de ruines, celui de notre patri­moine ? Malgré d’inventives ini­tia­tives indi­vi­duelles, la mai­son à colom­bages perd du ter­rain, en Alsace : chaque année, elles seraient plus de 300 à finir en petit bois. Le phé­no­mène n’est pas près de s’inverser depuis la pro­mul­ga­tion de deux lois aux amers effets secon­daires : la loi cli­mat et rési­lience (2021), qui éta­blit le prin­cipe du zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette et la loi éner­gie cli­mat (2019), qui vise l’interdiction pro­gres­sive à la loca­tion de pas­soires ther­miques, pour favo­ri­ser des réno­va­tions ther­miques à mener tam­bour bat­tant, puisque l’État leur assigne un carac­tère d’urgence cli­ma­tique. Deux lois ver­tueuses en appa­rence, mais qui font peser sur le bâti ancien une pres­sion inédite et mor­ti­fère : l’une en accé­lé­rant la den­si­fi­ca­tion des centres des com­munes, ce qui se fera par­fois en rati­boi­sant l’ancien, et l’autre en prô­nant une réno­va­tion qui ne tient pas compte des carac­té­ris­tiques bio­cli­ma­tiques du bâti ancien et qui abou­ti­ra à sa ruine. Les maté­riaux natu­rels ont en effet besoin de res­pi­rer, ce que ne per­met pas l’utilisation de poly­sty­rène expan­sé avec lequel on recouvre de plus en plus sou­vent les colom­bages… Depuis cet été, des voix s’élèvent pour dénon­cer cette catas­trophe qui s’annonce, à savoir que le bois « pour­risse » der­rière sa nou­velle coque étanche. »

DNA-Renovation-thermique

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À ces deux lois vient s’ajouter une mesure plus ancienne (2016) : le « Diagnostic de Performance Énergétique » (DPE), obli­ga­toire lui aus­si lors de la vente ou de la loca­tion d’un bâti­ment ; ces diag­nos­tics ont vu éclore quan­ti­té d’entreprises qui flai­raient l’affaire juteuse, toutes aus­si incom­pé­tentes les unes que les autres, qui conduisent les pro­prié­taires à effec­tuer des tra­vaux inutiles et coû­teux (voir les asso­cia­tions de défense des consom­ma­teurs, dont la revue Que Choisir d’octobre 2022, dont extrait ci-dessous).

UFC Que Choisir - Scandale DPEQue Choisir a éva­lué une seconde fois le nou­veau diag­nos­tic de per­for­mances éner­gé­tiques (DPE), néces­saire lors d’une tran­sac­tion immo­bi­lière. Ce DPE consi­dère désor­mais la pire des deux sous-notes entre la consom­ma­tion éner­gé­tique et l’émission de CO2. Pour l’étudier, les asso­cia­tions locales de l’UFC-Que Choisir ont sélec­tion­né 7 mai­sons avec des bâtis, des périodes de construc­tion et des modes de chauf­fage dif­fé­rents. Chaque pro­prié­taire a appe­lé 3 réseaux et 2 diag­nos­ti­queurs immo­bi­liers indé­pen­dants. Le bilan est catas­tro­phique, avec des clas­se­ments très dif­fé­rents allant de A à G pour un même loge­ment. Des « conseils » d’équipements en chauf­fage inexacts ont même été pro­po­sés. Une telle dif­fé­rence reflète l’incompétence de cer­tains pro­fes­sion­nels dont le mau­vais tra­vail a des consé­quences : un clas­se­ment bas peut entraî­ner une décote lors de la vente d’un bien et bien­tôt empê­cher sa loca­tion (pour les loge­ments clas­sés F et G). Il s’agit d’un véri­table scandale !

Les associations de défense du patrimoine sont vent debout contre ces mesures

Le 2 novembre 2022, la séna­trice Sabine Drexler aler­tait le gou­ver­ne­ment sur les consé­quences dra­ma­tiques de cet ensemble de mesures sur le patri­moine fran­çais qui ne pour­rait y survivre.

Le 18 novembre 2022, il y a donc un mois, le G7, regrou­pe­ment des prin­ci­pales asso­cia­tions de défense du patri­moine bâti, sous la conduite de Maisons pay­sannes de France, envoyait une lettre ouverte (comme un SOS ou une bou­teille à la mer) à leurs ministres de tutelle : ministre de la Transition éco­lo­gique et de la Cohésion des ter­ri­toires et ministre de la Transition éner­gé­tique (amu­sant, non, ces minis­tères de « tran­si­tion », ce qui veut dire qu’ils ne sont là que pro­vi­soi­re­ment, en atten­dant le Great Reset ou les passes éco­lo­gique et éner­gé­tique ? Et que veut dire « cohé­sion des ter­ri­toires » si ce n’est : uniformisation ?)

Maisons paysannes France - Soigner façade Maisons paysannes France - Isolation

Voici deux extraits de cette lettre ; nous sou­rie­rons mali­cieu­se­ment à la petite phrase : « Nous n’imaginons pas un seul ins­tant qu’il s’agisse d’un choix volon­taire », comme si les rédac­teurs de la loi auraient pu « oublier » que la France exis­tait avant 1948 :
« Étonnamment, la loi cli­mat & rési­lience ne men­tionne pas le bâti ancien (d’avant 1948) qui ne peut pour­tant pas être confon­du avec celui d’avant 1975 – dit des “30 glo­rieuses” – ni ran­gé dans la caté­go­rie des “pas­soires ther­miques”. Ce bâti ancien, qui consti­tue l’un des atouts de l’esthétique et de l’attractivité de nos villes et de nos cam­pagnes, appelle certes des tra­vaux pour amé­lio­rer sa per­for­mance éner­gé­tique, mais dans le res­pect de ses maté­riaux et de l’écosystème qu’il consti­tue. Si ces tra­vaux ne res­pectent pas ce qu’il est – un bâti bio­cli­ma­tique par nature – et le confondent avec ce qu’il n’est pas – une pas­soire ther­mique – loin de l’inscrire dans la durée, ils vont le condam­ner irré­mé­dia­ble­ment. Nous n’imaginons pas un seul ins­tant qu’il s’agisse d’un choix volon­taire. C’est donc une omis­sion de la part des rédac­teurs de la loi, qu’il est urgent et vital de cor­ri­ger. […]
« La dis­pa­ri­tion pro­gram­mée de nos menui­se­ries anciennes, des croi­sées et des portes – illus­tra­tions des savoir-faire du menui­sier, du sculp­teur, du ser­ru­rier ou du ver­rier – au pro­fit de modèles stan­dar­di­sés, géné­ra­le­ment en PVC, n’est pas accep­table. L’âme cen­te­naire de nos mai­sons ne doit pas être effa­cée par des pro­duc­tions de l’industrie qui n’ont rien de durable. L’isolation par l’extérieur qui détruit toute orne­men­ta­tion en saillie des façades pour y arri­mer des dalles sou­vent en poly­sty­rène, ramène l’architecture à un simple gaba­rit et la met en péril. Que pen­ser d’une iso­la­tion par l’intérieur sub­sti­tuant au second œuvre ancien et à ses décors, des boîtes en pla­co­plâtre ? Nous nous oppo­sons à cette extinc­tion patri­mo­niale de masse, à cette néga­tion de l’architecture offerte à tous, anni­hi­lant les diver­si­tés régio­nales, les sta­tuts, les époques ou les styles de ces bâti­ments. Ce nivel­le­ment indus­triel, consis­tant sou­vent à plas­ti­fier nos loge­ments, loin de sau­ver la pla­nète, nous déshu­ma­nise et prive les Français de leur héri­tage arti­sa­nal et artis­tique le plus immé­diat. Pour tous les acteurs, il est urgent de mettre en œuvre une poli­tique cohé­rente de for­ma­tion tech­nique et patri­mo­niale qui, comme le confirment cer­tains médias, fait visi­ble­ment défaut aujourd’hui. Nos asso­cia­tions sont contac­tées par de nom­breux pro­prié­taires désem­pa­rés à la lec­ture des résul­tats du nou­veau DPE, deve­nu oppo­sable et qui débouche dans la plu­part des cas sur une pré­co­ni­sa­tion d’isolation par l’extérieur, avec des maté­riaux et des tech­niques qui font fi de la valeur patri­mo­niale des façades et des logiques de fonc­tion­ne­ment de leurs maté­riaux, tous sen­sibles à l’humidité et pers­pi­rants. Devant la catas­trophe annon­cée, nous atti­rons votre atten­tion sur ces carences d’une loi qui, appli­quée dans l’urgence, risque d’avoir des consé­quences néfastes sur le bâti ancien… »

La France, premier pays touristique au monde

Et, comme en France moderne, tout finit par des chiffres (en France tra­di­tion­nelle, c’était des chan­sons, chaque époque a ses prio­ri­tés), en voi­ci quelques-uns qui prouvent abon­dam­ment que ce gou­ver­ne­ment n’en a rien à faire des Français, de la France, de son ave­nir, et encore moins de son his­toire, de son legs patri­mo­nial ou de son rayon­ne­ment dans le monde.
Chiffres dis­po­nibles de 2019 : la France est la pre­mière des­ti­na­tion tou­ris­tique mon­diale : 90 mil­lions de tou­ristes inter­na­tio­naux en 2019, et la troi­sième des­ti­na­tion pour les recettes engran­gées par ce tou­risme. Ces tou­ristes ont dépen­sé en France 170 mil­liards d’euros pour cette année-là.
En terme d’activité pro­fes­sion­nelle, le tou­risme emploie 2 mil­lions de sala­riés directs et indi­rects et consti­tue 7 % du PIB fran­çais.
Pourquoi les tou­ristes viennent-ils si nom­breux en France ? Parce que si la France n’est peut-être pas le plus beau pays du monde (en tout cas, peu s’en faut), il est à coup sûr celui qui offre la plus grande diver­si­té, à la fois de pay­sages, de monu­ments, d’architectures locales admi­ra­ble­ment et conscien­cieu­se­ment pré­ser­vées (ces vil­lages et ces petites villes de culture har­mo­nieu­se­ment des­si­nés au fil des siècles et où il fait si bon flâ­ner), de gas­tro­no­mies et de cultures régio­nales enra­ci­nées, de patri­moine artis­tique et his­to­rique (que la Révolution n’a pas réus­si à tota­le­ment éra­di­quer), il béné­fi­cie d’un cli­mat tem­pé­ré qui fait qu’il est pos­sible de visi­ter le pays à peu près tout le long de l’année selon les régions, d’un enso­leille­ment maxi­mum dans ses régions du sud, et enfin, il dis­pose de struc­tures d’accueil (hôtel­le­rie et res­tau­ra­tion) qui offrent un large choix à la por­tée de tous les bud­gets.
Croyez-vous que ces tou­ristes seront encore là lorsque toute cette richesse patri­mo­niale aura été sac­ca­gée ? Pensez-vous qu’ils se dépla­ce­ront pour visi­ter des quar­tiers sinistres peu­plées de tours, pour tra­ver­ser des zones indus­trielles sans fin, ou pour croi­ser des vil­lages asep­ti­sés com­po­sés de mai­sons toutes aus­si sem­blables les unes que les autres ?
La qua­li­té de vie n’est pas une ques­tion de richesse maté­rielle, et même ces « élites » mon­dia­listes, avec tout l’argent dont elles dis­posent (qu’elles auront volé aux Peuples), quand elles sor­ti­ront de leurs bun­kers, seront alors obli­gées de vivre dans un monde où toute beau­té aura été effacée.

Pierre-Émile Blairon

(1) Avant de prendre un peu de plomb dans la tête depuis ses der­niers revi­re­ments, ce qui nous per­met de saluer ici sa « bra­vi­tude ».


Pierre-Émile Blairon est l’au­teur d’un cer­tain nombre de livres liés à l’Histoire, notam­ment de la Provence, de Nostradamus à Giono et à la fin du Cycle :

Pierre-Émile Blairon - Iceberg

Pierre-Émile Blairon - Chronique fin cycle - Enfers parodisiaques

Pierre-Émile Blairon - La roue et le sablier - Bagages pour franchir le gué

Pierre-Émile Blairon - Le messager des dieux

Pierre-Émile Blairon - Livre Tradition primordiale

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Pierre-Émile Blairon

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