Remigration en Afrique ? Les non-dits d’une belle histoire

par | 23 jan­vier 2023 | Aucun com­men­taire

On pou­vait s’at­tente à ce que Jean-Michel Lavoizard réagisse à la série de docu­men­taires que la chaîne Arte dif­fuse en ce moment (illus­tra­tion ci-dessus).

La chaîne Arte dif­fuse une série de docu­men­taires réa­li­sés par des cinéastes issus de seize pays d’Afrique, sur le thème de la migration.

La bande-annonce de Génération Africa – Récits plu­riels sur la jeu­nesse d’un conti­nent pré­sente La migra­tion afri­caine vue par les Africains.

L’un de ces récits – Sénégal : retour au bled – traite du départ volon­taire de jeunes Français d’origine séné­ga­laise pour s’installer dans « leur pays d’origine ». Parmi « vingt-cinq visions dif­fé­rentes pour chan­ger le récit sur la migra­tion », cet épi­sode entre­tient une confu­sion cou­rante entre des réa­li­tés dif­fé­rentes. Il sou­lève des ques­tions pres­santes sur le rôle et l’intérêt de la France dans ces mou­ve­ments migratoires.

La confu­sion des mots entraî­nant celle du sens, les termes « dia­spo­ra », « retour », « migra­tion »,« remi­gra­tion » et « repa­tria­tion » sont uti­li­sés sans être clai­re­ment défi­nis. Au risque d’amalgamer des situa­tions de natures tota­le­ment dis­tinctes, de brouiller la com­pré­hen­sion des flux migra­toires et d’en gêner la maîtrise.

Dakar Sénégal

Dakar, capi­tale du Sénégal

L’expression exo­tique « retour au bled » prête à sou­rire, tant on ima­gine mal les jeunes adultes concer­nés, visi­ble­ment issus de la classe moyenne urbaine fran­çaise, « ten­ter leur chance au bled » ailleurs que dans les quar­tiers confor­tables de la capi­tale, Dakar, pour réa­li­ser leur rêve entre­pre­neu­rial. Cette caté­go­rie repré­sente une infime mino­ri­té numé­rique de la dia­spo­ra afri­caine. Privilégiée et enga­gée, elle s’exprime bruyam­ment dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les col­loques pour se plaindre et reven­di­quer des faveurs au nom d’une pré­ten­due dette colo­niale. Dans l’esprit du « Sommet Afrique France » du 8 octobre 2021, spec­tacle affli­geant d’incantations poli­tiques et de contre-véri­tés his­to­riques, de jéré­miades idéo­lo­giques et de logor­rhées rhé­to­riques pour pro­mou­voir « un nou­veau nar­ra­tif ».

La série d’Arte évoque « une myriade de récits à la por­tée uni­ver­selle sur le thème de la migra­tion, tra­ver­sés par les aspi­ra­tions et les rêves de la jeu­nesse du conti­nent ». Or, les Africains nés en France depuis les indé­pen­dances des années 1960, qui y ont étu­dié et gran­di et sont venus s’installer ces dix der­nières années dans les pays de leurs ancêtres pour pro­fi­ter de condi­tions plus favo­rables, prennent vite la mesure des dif­fi­cul­tés qui les attendent. L’un recon­naît que « quand je suis arri­vé, je ne connais­sais pas les codes ». En réa­li­té, ces jeunes béné­fi­ciaires d’un envi­ron­ne­ment socio-édu­ca­tif et sani­taire de qua­li­té, et de solides for­ma­tions en France, se heurtent vite aux pro­fondes dif­fé­rences cultu­relles et sont dis­cri­mi­nés comme « Blancs » pour leur façon de pen­ser et de se com­por­ter. « L’installation com­porte son lot de galères, confron­tés aux dif­fi­cul­tés des locaux […] c’est vrai qu’on a quit­té un confort qui est la France, mais c’est pas pour rien », dit une femme entre­pre­neur. C’est ain­si qu’on voit aus­si retour­ner en France une par­tie des « repa­triés », déçus et découragés.

Dans ces condi­tions, pour­quoi pro­cla­mer « reve­nir au pays » qu’ils n’ont jamais connu, pré­tendre « déve­lop­per son propre pays » où ils n’ont jamais vécu, cri­ti­quer et renier ain­si la France, qui leur a tant appor­té ? Dans leur pro­jet de repa­tria­tion, quelle est leur patrie qu’ils sont appe­lée à défendre au besoin ? L’aspiration légi­time à s’installer dans un pays étran­ger, comme pour tout expa­trié fran­çais, n’implique pas de renier son iden­ti­té ni sa culture, dont nous sommes tous les ambas­sa­deurs rede­vables. Leur appel « Osez aller beau­coup plus loin que les limites qu’on veut nous fixer en Europe » se heurte au prin­cipe de réa­li­té. De nos jours, la vie sociale et pro­fes­sion­nelle en France n’est facile pour per­sonne, Français de souche ou d’adoption ; ce n’est pas une rai­son pour la tra­hir. Le solde pour la France de cette migra­tion de diplô­més est d’ailleurs négatif.

Ainsi, le conte de fées de la « migra­tion heu­reuse » ne repose pas sur des faits. Si l’intention d’Arte était de faire croire au début d’une inver­sion salu­taire des flux immi­gra­toires en France, c’est raté. Par ailleurs, on appré­cie­rait aus­si que, par excep­tion, une chaîne fran­çaise réa­lise une série sur « La migra­tion afri­caine vue par les Français non afri­cains. » On peut tou­jours rêver…

Jean-Michel Lavoizard


Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

Les articles du même auteur

Jean-Michel Lavoizard

Aucun commentaire

Envoyer le commentaire

Votre adresse e‑mail ne sera pas publiée. Les champs obli­ga­toires sont indi­qués avec *

Je sou­haite être notifié(e) par mes­sa­ge­rie des nou­veaux com­men­taires publiés sur cet article.