« 49–3 » : faits et vérités

Marc Desgorces-Roumilhac nous pro­pose une ana­lyse en trois par­ties sur l’a­gi­ta­tion actuelle liée à « la réforme des retraites » et au recours au « 49–3 ».
Voici le pre­mier volet de son triptyque :

« 49–3 » : Faits et vérités

L’emballement poli­tique, média­tique et par voie de consé­quence popu­laire, contre l’utilisation de l’article 49 ali­néa 3 de la Constitution occulte des véri­tés pre­mières. Il convient de ne pas les oublier, aus­si mau­vaise soit la réforme « Macron » des retraites. Et pires encore soient les cri­tiques, diverses et contra­dic­toires, qu’elle essuie.

Que dit précisément, dans quel contexte, ce fameux article ?

… que beau­coup citent et vili­pendent, mais que peu ont lu, et encore moins d’entre eux com­pris. L’article 49 fait par­tie du Titre V de la Constitution, inti­tu­lé « Des rap­ports entre le Parlement et le Gouvernement ». Le sachant, on sai­sit mieux que der­rière un micro ou une ban­de­role l’objet du Titre V en géné­ral et de l’article 49 en par­ti­cu­lier. Lequel traite des moda­li­tés pra­tiques de la res­pon­sa­bi­li­té du Gouvernement devant le Parlement, Sénat comme Assemblée Nationale. Et au sein duquel l’alinéa 3 pré­voit une dis­po­si­tion spé­ci­fique : « Le Premier ministre peut, après déli­bé­ra­tion du Conseil des ministres, enga­ger la res­pon­sa­bi­li­té du Gouvernement devant l’Assemblée natio­nale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est consi­dé­ré comme adop­té, sauf si une motion de cen­sure, dépo­sée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les condi­tions pré­vues à l’a­li­néa pré­cé­dent ».

D’où s’impose un petit rap­pel juri­dique et poli­tique : si les consti­tu­tio­na­listes de 1958 ont intro­duit dans le texte des dis­po­si­tions comme l’ar­ticle 16 ou l’a­li­néa 3 de l’ar­ticle 49, c’est pré­ci­sé­ment pour que deviennent gérables ins­ti­tu­tion­nel­le­ment des situa­tions qui jus­qu’a­lors ne l’étaient pas. Souvenons-nous de l’ins­ta­bi­li­té gou­ver­ne­men­tale, affec­tant gra­ve­ment la nation fran­çaise, du blo­cage de l’ac­tion publique, de l’im­puis­sance du pou­voir exé­cu­tif, du cirque lamen­table du légis­la­tif, sous la IVe répu­blique. Le régime des par­tis avait ame­né le pays au bord du gouffre en moins de 12 années. D’ailleurs, il y a beau­coup de simi­li­tudes avec la situa­tion de ces der­niers jours (par exemple Guignol à répé­ti­tion à l’Assemblée natio­nale), essen­tiel­le­ment parce que la Constitution de la Ve répu­blique a été déna­tu­rée et par­tiel­le­ment rava­lée au niveau de la pré­cé­dente. En par­ti­cu­lier par le rem­pla­ce­ment du sep­ten­nat par un quin­quen­nat, par le cou­plage chro­no­lo­gique élec­tions pré­si­den­tielles et légis­la­tives, mais aus­si par l’é­lec­tion du chef de l’État au suf­frage uni­ver­sel (qui ne fai­sait pas par­tie du dis­po­si­tif consti­tu­tion­nel en 1958) et par une inter­dic­tion sans dis­cer­ne­ment des cumuls de man­dats ou encore par une régio­na­li­sa­tion-décen­tra­li­sa­tion hasar­deuse. Sans comp­ter nombre d’autres coups de canifs dans l’esprit et dans la lettre de la loi suprême française.

Alors on peut tout repro­cher, fond comme forme, ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes, au pré­sident actuel et à son gou­ver­ne­ment, sauf d’a­voir dans le cas pré­cis appli­qué à la lettre la Constitution. Que n’eût-on dit s’ils ne l’a­vaient pas fait ? Ce n’est pas la pre­mière fois, loin de là depuis 65 ans, qu’un gou­ver­ne­ment engage sa res­pon­sa­bi­li­té sur un pro­jet de loi, faute d’a­voir la cer­ti­tude de trou­ver une majo­ri­té par­le­men­taire pour le voter.
• Sur un plan ins­ti­tu­tion­nel, non seule­ment ce n’est ni scan­da­leux ni même sur­pre­nant, mais encore c’est par­fai­te­ment nor­mal.
• Sur un plan poli­tique, c’est plus déli­cat à jus­ti­fier, appa­rem­ment. Toutefois, si les par­ti­sans de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive qui poussent aujourd’­hui des cris d’or­fraie étaient un peu logiques avec eux-mêmes jus­qu’au bout, ils se ren­draient compte que non seule­ment il n’y a pas – on vient de le voir à 9 voix d’écart, mais serait-ce à une seule voix près le résul­tat s’imposerait à l’identique – une majo­ri­té abso­lue pour ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment, mais il y a encore moins de majo­ri­té, même rela­tive, pour créer une alliance sus­cep­tible de gou­ver­ner autre­ment qu’en pous­sant un dos­sier après un autre. Ce qui ne consti­tue­rait pas une poli­tique géné­rale, sur laquelle pré­ci­sé­ment la Constitution veut que le Gouvernement s’engage devant la repré­sen­ta­tion natio­nale. Sinon nous aurions plus de pro­po­si­tions de lois que de pro­jets de lois, ce qui n’est mani­fes­te­ment pas le cas. Parce que la Constitution donne la main à l’exé­cu­tif par rap­port au légis­la­tif, c’est un fait, vou­lu par les rédac­teurs de la Constitution de la Ve répu­blique en 1958, en pleine crise para­ly­tique de la IVe répu­blique agonisante.

On lit ou écoute ces der­nières heures des Diafoirus du droit consti­tu­tion­nel, ou des tenan­ciers de bou­tiques élec­to­rales – sou­hai­tant déve­lop­per encore plus leurs petites et grandes affaires avec le moins pos­sible de risques et sur­tout avec notre argent, l’argent public – on entend ces gens, plus tous ceux qui vou­draient entrer sur ce mar­ché, déter­rer régu­liè­re­ment le cadavre du scru­tin pro­por­tion­nel. Jusqu’à la pro­por­tion­nelle inté­grale, disent les plus inté­gristes. C’est-à-dire en véri­té à reve­nir à tous les incon­vé­nients de la IVe répu­blique, conju­gués avec ceux de la Ve. Alors que nous voyons à l’é­vi­dence que c’est pré­ci­sé­ment l’af­fai­blis­se­ment du scru­tin majo­ri­taire qui est la prin­ci­pale cause des maux qui nous rat­trapent comme une ven­geance de l’Histoire. Que le ciel nous pré­serve des sou­haits de ces irres­pon­sables nos­tal­giques de périodes que la France n’a plus les moyens de s’offrir ni de souffrir !

Au-delà du débat sur la légi­time uti­li­sa­tion de l’article 49.3, on peut natu­rel­le­ment se poser des ques­tions sur la per­ti­nence du régime répu­bli­cain pour une nation plus que mil­lé­naire, sur l’efficacité et la jus­tice de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, sur les bien­faits du suf­frage uni­ver­sel pour le Peuple, etc. Mais « ceci est une autre his­toire », Rudyard Kipling, Robert Stevenson et Jules Verne, aucun n’ayant fait Sciences Po au demeu­rant, le savaient avant nous…

Marc Desgorces-Roumilhac, 24 mars 2023

Demain, la suite de notre trip­tyque : Conseils aux droi­tards se rêvant en révolutionnaires

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Marc Desgorces-Roumilhac

2 Commentaires 

  1. Bonne ana­lyse mais la retraite reste un sujet mineur com­pa­ré au chô­mage, aux défi­cits (caisses mala­die + vieillesse + chô­mage + défi­cit com­merce exté­rieur). La ges­tion ris­quée de la dette de la France par l’é­mis­sion d’OAT (obli­ga­tions assi­mi­lables du Trésor) par l’a­gence France Trésor.
    Pour s’en convaincre il suf­fit de regar­der le site de l’Assemblée Nationale com­mis­sion des finances du 15.01.2020 pour prendre la mesure de notre dette et sa ges­tion par l’a­gence France Trésor.

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    • Vous avez rai­son, en ce sens que les dés­équi­libres des régimes de base des retraites ne sont pas aus­si dra­ma­tiques que ceux d’autres branches de la sécu­ri­té sociale. Et sur­tout que ceux de la dette sou­ve­raine et du com­merce exté­rieur de la France. Mais tous ces indi­ca­teurs sont liés entre eux, ils reflètent une ges­tion catas­tro­phique des affaires publiques. Il existe des causes com­munes à tous ces défi­cits : aban­don de la règle d’or de l’é­qui­libre bud­gé­taire, ces­sa­tion du refi­nan­ce­ment de la Banque de France auprès du Trésor Public, sup­pres­sion des droits de douane pro­tec­teurs pour les indus­tries natio­nales, perte du droit de battre mon­naie par l’État fran­çais, immi­gra­tion mas­sive et non qua­li­fiée, déva­lo­ri­sa­tion des reve­nus du tra­vail par rap­port à ceux de l’as­sis­ta­nat, etc.

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