Oran, 5 juillet 1962 : la fin d’un monde

par | 7 juillet 2023 | 1 com­men­taire

Le ratage com­plet de l’in­dé­pen­dance de l’Algérie trouve un écho dans les émeutes régu­lières, plus ou moins vio­lentes, des « quar­tiers » où sont entas­sées par mil­liers les popu­la­tions qui ont choi­si de quit­ter leur pays après l’in­dé­pen­dance. La France a fait tout faux et conti­nue de se four­voyer.
Il nous a sem­blé oppor­tun de publier en ce début de juillet l’a­na­lyse que nous pro­po­sait l’an­née der­nière Pierre-Émile Blairon car elle est encore plus per­ti­nente aujourd’hui.

Il semble bien que la marque de nais­sance de toutes les « révo­lu­tions » modernes soit appo­sée au fer rouge des mas­sacres per­pé­trés par des indi­vi­dus fana­ti­sés et mani­pu­lés, ou par des foules hys­té­riques tout autant influen­cées. Le mythe de fon­da­tion de ces bou­le­ver­se­ments a besoin d’un holo­causte pour que l’Histoire, tout aus­si moderne que ces révo­lu­tions, puisse en rete­nir les effets après en avoir défi­ni (som­mai­re­ment) les causes.
Juste trois exemples :
La révo­lu­tion « fran­çaise », mère de toutes celles qui ont sui­vi, a construit ses bases sur le géno­cide des Vendéens et la déca­pi­ta­tion de ses oppo­sants. Serait-ce là ce que nos poli­ti­ciens appellent « les valeurs de la République » ?
La révo­lu­tion « russe » de 1917 a mas­sa­cré tous les membres de la famille impé­riale russe (il s’agit bien d’un mas­sacre et non d’une exé­cu­tion) dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 sur ordre de Lénine.
La révo­lu­tion « algé­rienne »(1) a écrit son acte de nais­sance avec le sang des mar­tyrs ora­nais, Européens et musul­mans, lors du mas­sacre du 5 juillet 1962.

Les prémices

Nuit de Noël 1960, Oran, quar­tier Victor-Hugo ; nous habi­tons alors, ma famille et moi, mes parents, mon frère, ma sœur, un petit appar­te­ment d’une ancienne mai­son en rez-de-chaus­sée au 13, rue de Bône ; Maman et ma grande sœur s’affairent à pré­pa­rer une veillée de Noël avec quelques pâtis­se­ries dont les Oranaises ont le secret et mon frère et moi nous sup­pu­tons, en nous cha­maillant comme d’habitude, la nature des cadeaux que nous trou­ve­rons le len­de­main au pied du pin enguir­lan­dé ; la radio dif­fuse des chants de Noël en sour­dine ; sou­dai­ne­ment, bruits de pas lourds et pré­ci­pi­tés dans le jar­din à l’arrière de la mai­son : Jeannette, Juanica ! Ma mère recon­naît la voix d’une de nos voi­sines qui habite l’immeuble à côté, madame Montesinos.
Elle se pré­ci­pite à l’extérieur ; la voix de son amie paraît angois­sée : « Fermez les portes et les fenêtres, ils arrivent ! » ; et madame Montesinos repart en hale­tant, balan­çant son corps impo­sant – les madres espa­gnoles sont comme les mamas ita­liennes – sans prendre le temps de répondre aux ques­tions de ma mère : « Mais qui ? Quoi ? Madre de Dios ! »
En prê­tant l’oreille, nous par­vient au loin une rumeur sourde d’où jaillissent des youyous et des cris de frayeur. Nous com­pre­nons tout de suite. « Gracias, Angela ! », crie ma mère.
Nous pous­sons la grosse com­mode devant la porte, rem­part sans doute déri­soire ; mon père sort le fusil, ma sœur éteint la radio et les lumières ; il n’a pas fal­lu long­temps avant que nous enten­dions le choc cin­glant des coups de hache frap­pés aux portes de nos voi­sins et à nou­veau ces cris et ces youyous ; nous sommes tous à genoux, sauf mon père der­rière la porte avec le fusil ; ma mère chante du bout des lèvres un can­tique en nous ser­rant contre elle, ma sœur prie ; les coups se rap­prochent ; notre tour va venir ; nous savons dans quelle hor­reur notre vie va se ter­mi­ner ; nous nous atten­dons d’une seconde à l’autre à voir notre porte voler en éclats ; mais rien n’arrive ; la foule hys­té­rique passe en cou­rant et en hur­lant ; un Arabe, juste devant notre entrée, crie quelque chose ; la rumeur s’éloigne.
Noël 1960 ; Noël de ter­reur. Me acuer­dare de ti toda mi vida, cuan­do mi madre can­ta­ba para no llo­rar(2)… Je me sou­vien­drai de toi toute ma vie, quand ma mère chan­tait pour ne pas pleu­rer.
Nous sau­rons plus tard que l’Arabe qui criait devant la porte était employé du garage où tra­vaillait mon père et qu’il encou­ra­geait ses core­li­gion­naires à conti­nuer leur che­min. Je n’ai pas su s’il y avait eu des vic­times ou s’il ne s’agissait que d’une opé­ra­tion d’intimidation des­ti­née à faire par­tir les Européens du quar­tier ; ce que nous avons d’ailleurs fait.
C’était peut-être pour moi la deuxième fois qu’un indi­gène me sau­vait la vie ; j’avais failli être enle­vé au « Village nègre », un quar­tier dépour­vu d’Européens dans lequel je m’étais impru­dem­ment aven­tu­ré deux ans aupa­ra­vant au retour du lycée, lorsqu’un homme, musul­man comme mes ravis­seurs, s’était inter­po­sé pour me remettre en liber­té ; mes parents n’en ont jamais rien su.
Quelques mois après ce ter­rible évé­ne­ment de Noël, notre famille avait encore à subir une épreuve : reve­nant du quar­tier Gambetta, le soir, après un dîner chez des membres de notre famille, nous arri­vons dans une zone tota­le­ment pri­vée de lumière ; plu­sieurs coups de sif­flet stri­dents – nous avons com­pris trop tard qu’on nous pré­ve­nait– et un déluge de feu s’abat sur notre voi­ture : mitrailleuse 12,7 à balles tra­çantes qui anti­cipe notre aug­men­ta­tion de vitesse et tire donc devant notre véhi­cule ; mon père, au contraire, ralen­tit : com­bat­tant pen­dant 11 ans en France et jusqu’en Allemagne pen­dant la guerre en tant qu’appelé de 35 à 46 (au ser­vice de la France et des Français « métro­po­li­tains » -, c’est gra­tuit, mer­ci ! et mer­ci de votre accueil en 1962 !-), ça laisse des traces. Nous réus­sis­sons à fran­chir les bar­rages éta­blis cette fois par les com­man­dos OAS pour pro­té­ger leur retraite ; après véri­fi­ca­tion, seule­ment deux impacts de balles qui n’ont tou­ché per­sonne. Nous sau­rons ensuite qu’une caserne de gardes mobiles avait été atta­quée par l’OAS et nous pas­sions inop­por­tu­né­ment devant cette caserne juste après l’attaque.

L’horreur

« Qui sont les cou­pables ? » deman­de­ra Guillaume Zeller dans son livre Oran, 5 juillet 1962, un mas­sacre oublié(3). Oui, Zeller, le petit-fils de l’un des quatre géné­raux du putsch qui avaient ten­té le tout pour le tout pour sau­ver leur hon­neur, l’Algérie et les Pieds-Noirs.
Et Guillaume Zeller pour­suit : « Cinquante après, les causes de ce défer­le­ment meur­trier demeurent inex­pli­quées. Était-il spon­ta­né ou orches­tré ? Et s’il y a eu pré­mé­di­ta­tion, qui l’a orga­ni­sé ? Deux hypo­thèses majeures se des­sinent , une troi­sième – celle d’une pro­vo­ca­tion due à un com­man­do rési­duel de l’OAS – ayant été écar­tée par les res­pon­sables algé­riens eux-mêmes.
Le pre­mier scé­na­rio, sou­te­nu alors par le FLN, est celui d’un débor­de­ment mas­sif et incon­trô­lé pro­vo­qué par les bandes cri­mi­nelles qui règnent sur les quar­tiers de Victor-Hugo, de Lamur et sur­tout du Petit-Lac. » […] Une seconde théo­rie sup­pose que le camp Boumediene-Ben Bella aurait pré­mé­di­té les débor­de­ments cri­mi­nels de cette jour­née. »
Il y a, à mon avis, une conju­gai­son des deux hypo­thèses. Ces bandes cri­mi­nelles venaient sans doute du Petit-Lac et se sont accrues des élé­ments les plus fana­tiques de notre quar­tier de Victor-Hugo. 18 mois après leur pas­sage devant notre mai­son, ces bandes se sont ren­for­cées en nombre, en fana­tisme et en orga­ni­sa­tion et étaient donc toutes prêtes à défer­ler sur le Centre-Ville le 5 juillet 1962. Il est vrai­sem­blable qu’une telle per­sé­vé­rance ne peut-être que le fruit d’un enca­dre­ment pro­ve­nant de struc­tures plus anciennes et plus aguer­ries, comme le FLN et l’ALN.
Nous n’avons pas vécu le 5 juillet 1962 à Oran ; mes parents, forts de la sinistre expé­rience du Noël 1960, sen­tant confu­sé­ment le dan­ger, avaient déci­dé de réfu­gier notre famille à Mers-El-Kébir, plus pré­ci­sé­ment à Sainte-Clotilde, chez la sœur de mon père, quelques jours avant la date de l’indépendance.
Les récits des exac­tions com­mises contre les Pieds-Noirs ce jour-là à Oran sont une longue suite d’abominations dif­fi­ci­le­ment trans­crip­tibles, si ce n’est d’employer des mots comme énu­cléa­tion, émas­cu­la­tion, éven­tra­tion, etc., le tout ante­mor­tem. Je ne vais don­ner ici qu’un aper­çu dénué d’images vio­lentes, écrit par Gérard Rosenzweig dans Causeur du 5 juillet 2016 :

« Place d’Armes, les mani­fes­tants, après de mul­tiples égor­ge­ments, font main­te­nant des pri­son­niers. Tout ce qui montre allure euro­péenne, vête­ments, visages, lan­gage, tout est cap­tu­ré, dépouillé, roué de coups, bles­sé. Malheur au blanc et à tout ce qui s’en rap­proche. Là aus­si, des dizaines et des dizaines d’hommes, de femmes ou d’enfants touchent à leur der­nier jour. La ville n’est plus qu’une cla­meur mul­tiple de cris de mou­rants, de pogroms et de haine bru­tale.
La conta­gion est ins­tan­ta­née : en moins d’une heure le mas­sacre pousse ses méta­stases par­tout et s’organise selon d’épouvantables modes. Ici, on tue à la chaîne. Là, c’est à l’unité, à la famille. En quelques lieux, le sang a enva­hi les cani­veaux. Ailleurs, on assas­sine, on démembre, on vio­lente, on blesse pour faire plus long­temps souf­frir ; le parent meurt devant le parent pro­vi­soi­re­ment épar­gné. Douze heures trente. La place d’Armes est deve­nue main­te­nant un lieu de déten­tion et de tran­sit. Tandis qu’à cin­quante mètres, à l’abri du Cercle mili­taire et des arbres qui le dis­si­mulent, les sol­dats fran­çais ne peuvent pas ne pas entendre l’affreux concert de mort qui va durer jusqu’à dix-sept heures.
Plus connu sous le nom de « Boucher d’Oran », le géné­ral Katz nom­mé à cette fonc­tion par un autre géné­ral-pré­sident, effec­tue­ra même à cette heure-là un rapide sur­vol en héli­co­ptère. Sans rien repé­rer de par­ti­cu­lier, cer­ti­fie­ra-t-il, sinon quelques attrou­pe­ments et défi­lés de mani­fes­tants joyeux. »

On sait qu’il y avait ce jour-là à Oran 18 000 sol­dats fran­çais à qui le géné­ral Katz a inter­dit d’intervenir pour secou­rir les vic­times. Sur ordre de de Gaulle ? Seuls, quelques justes se sont dis­tin­gués comme le lieu­te­nant musul­man Rabah Khelif et le capi­taine Croguenec qui, défiant les consignes, ont sau­vé des cen­taines de Pieds-Noirs.
Le nombre de vic­times (tués et dis­pa­rus) à Oran le 5 juillet 1962 sur lequel s’accordent désor­mais tous les his­to­riens a été révé­lé par Jean-Jacques Jordi : envi­ron 700.

Quartiers Oran

Oran - 5 juillet 1961

Portrait d’Oranais :

« …Pour la plu­part d’entre eux, ils ne connaissent pas la France (sauf pour aller y mou­rir au moment des guerres), et n’y ont aucune famille. L’Algérie est donc la patrie immé­diate, la France demeu­rant la patrie rêvée. Pas d’université à Oran au contraire d’Alger. Les Oranais sont de nature simple, cer­tains diraient pri­maires ; ils sont bruyants, exu­bé­rants, directs, se pas­sionnent au-delà du rai­son­nable, s’enflamment pour un rien, Et sur­tout, ils ont une foi aveugle et abso­lue en la parole don­née […] À Oran, on n’est pas sen­sible à la casuis­tique. C’est clair et net : un contrat est un contrat, et on ne tra­hit pas un contrat. On est un homme, c’est tout et c’est beau­coup ; et l’on se fonde essen­tiel­le­ment plus sur le Droit oral, que sur le Droit écrit comme à Alger. Parler, c’est s’engager, c’est jurer. Ce jour-là, De Gaulle vient de jurer… Seul le pire des « fal­sos » (homme sans parole, hypo­crite, men­teur, qui tra­hit la parole don­née) on coupe les rela­tions avec lui, on le méprise et on le com­bat. C’est ain­si que la fata­li­té vient d’installer son décor de tra­gé­die.
Pour eux, la parole affir­mée est tou­jours une parole don­née, une parole d’honneur ; et l’on ne retire jamais une parole d’honneur. C’est ain­si que l’on peut mou­rir pour elle, comme en Espagne, en Grèce, en Italie ou en Corse. Ce jour-là, 6 juin 1958, par sa mécon­nais­sance abso­lue des peuples médi­ter­ra­néens, De Gaulle com­met une erreur poli­tique abso­lue : car ce qu’il vient de cla­mer, d’abord à Oran puis à Mostaganem (80 km plus à l’Est), devant près de trois cent mille per­sonnes consti­tue un véri­table contrat offi­ciel pas­sé entre lui et le peuple d’une ville. »

La déportation

La France n’était pas ma patrie ; nous lui avions tout don­né ; elle nous avait tout repris, et bien au-delà du compte ; j’ai consi­dé­ré que nous avions été dépor­tés plu­tôt que « rapa­triés ».
Nous sommes par­tis le 22 juillet sur un bateau, le Ville d’Oran, je crois, qui arri­ve­ra à Marseille ; nous avions dû attendre quelques jours à Sainte-Clotilde pour que mon père fasse fabri­quer un cadre en bois pour y amas­ser quelques affaires ; sur le quai d’embarquement à Mers-El-Kébir, écra­sé par le silence, le soleil et la tris­tesse, mon­tait d’un juke-box une chan­son de Johnny Hallyday : Les gens m’appellent l’idole des jeunes, pré­oc­cu­pa­tion bien insou­ciante et sau­gre­nue dans ce contexte de dévas­ta­tion et de déses­poir.
J’ai dor­mi sur le pont dans un rou­leau de corde qui sen­tait le mazout.

Au col­lège d’Orange où nous étions pen­sion­naires, mon frère et moi, les jours sombres et gla­cés – ter­rible hiver 1962- se suc­cé­daient sans le moindre répit ; j’étais en classe de qua­trième ; mon pro­fes­seur prin­ci­pal m’avait pris en grippe et ne ratait pas une occa­sion d’exercer quelque bri­made ou moque­rie à mon encontre ; il n’avait pas sup­por­té la lec­ture de mes car­nets de notes d’Algérie et la liste de mes prix sco­laires ; c’était un gaul­liste dog­ma­tique qui détes­tait les Européens d’Algérie – qu’il pre­nait sans doute pour des sau­vages incultes – et mal­trai­tait avec une bonne dose de sadisme cet élève trop rebelle.
J’avais per­du mon grand ami V., natif de l’Algérois, élève de ter­mi­nale, je crois, qui s’était sui­ci­dé cette année-là en jouant à la rou­lette russe ; il me pro­té­geait de l’hostilité des jeunes métro­po­li­tains que les auto­ri­tés gaul­listes et com­mu­nistes avaient conscien­cieu­se­ment dés­in­for­més.
Dès lors, je m’étais dés­in­té­res­sé de tout effort en classe et de tout pro­jet d’avenir.
Quelques bonnes lec­tures (Le matin des magi­ciens, livre-culte de cette époque, et les œuvres de Giono), la fré­quen­ta­tion de quelques jeunes Pieds-Noirs aus­si désem­pa­rés que moi, me rac­cro­che­ront à ma nou­velle terre et à la vie.

La fin d’un monde

Le 5 juillet 1962 à Oran allait mar­quer la fin de la colo­ni­sa­tion par­tout dans le monde.
Christian Lambert, ancien ambas­sa­deur de France en Afghanistan, au Sri Lanka et en Yougoslavie, disait ceci : « La déco­lo­ni­sa­tion impo­sée par les Démocrates amé­ri­cains et les Soviétiques, a été la cause de dizaines de mil­lions de morts, de l’apogée du com­mu­nisme dans le monde, c’est-à-dire le crime, l’incurie et la cor­rup­tion et aus­si du réveil de l’Islam inté­griste dont le vrai pro­gramme est celui d’Al Qaïda : retour à une dic­ta­ture reli­gieuse obs­cu­ran­tiste par le ter­ro­risme. »
Et de Gaulle disait cela, dans ses confi­dences à Alain Peyrefitte : « Vous croyez que le corps fran­çais peut absor­ber dix mil­lions de musul­mans, qui demain seront vingt mil­lions et après-demain qua­rante ? Si nous fai­sions l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient consi­dé­rés comme Français, com­ment les empê­che­rait-on de venir s’installer en métro­pole, alors que le niveau de vie y est tel­le­ment plus éle­vé ».
Il faut bien consta­ter que le fin stra­tège et le grand vision­naire sup­po­sés qu’était de Gaulle s’étaient bien trom­pés. Non seule­ment, l’indépendance de l’Algérie n’a pas arrê­té le flux migra­toire vers l’Europe et sur­tout vers la France, mais elle l’a consi­dé­ra­ble­ment accru, l’Algérie, comme bien d’autres pays afri­cains ayant accé­dé à l’indépendance, étant com­plè­te­ment inca­pable de s’assumer seule. Comment expli­quer autre­ment que les « Algériens », sitôt l’indépendance décla­rée, n’ont eu de cesse que de se « réfu­gier » chez le vilain colo­ni­sa­teur tant hon­ni ?
En se débar­ras­sant de l’Algérie à tout prix, et sur­tout au prix du sang des Pieds-Noirs, de Gaulle pri­vait la France de son meilleur rem­part contre le défer­le­ment nord-afri­cain et sub­sa­ha­rien sur l’Europe, celui que nous connais­sons aujourd’hui. Les Européens d’Algérie et leurs fidèles alliés indi­gènes tenaient le même rôle que les végé­taux plan­tés pour stop­per l’avancée des sables saha­riens vers le nord.
On sait dans quel marasme vivent désor­mais les anciens colo­ni­sés « algé­riens » qui n’ont pas su, depuis leur indé­pen­dance, pré­ser­ver les acquis de la colo­ni­sa­tion, ni même exploi­ter les res­sources natu­relles abon­dantes que de Gaulle leur avait trop géné­reu­se­ment offertes.
Pour nous en convaincre, il suf­fit de lire ces lignes d’un jour­na­liste arabe ora­nais, Kamel Daoud, dans Le Quotidien d’Oran du 5 mars 2018, dans un article titré : Oran, Mostaganem : on déteste ce pays.

« Encore des vil­lages, des moi­tiés de villes aux construc­tions inache­vées, des hideurs archi­tec­tu­rales, entre pagodes, bun­kers, fenêtres étroites alors que le ciel est vaste, ciments nus, immeubles éri­gés sur des terres agri­coles au nom du « social », urba­nisme de la dévas­ta­tion.
La crise algé­rienne, sa dou­leur, se voit sur ses murs, son urba­nisme catas­tro­phique, son irres­pect de la nature.
Les années 90 ont été un mas­sacre par la pierre et le ciment.
Le « social » des années 2000 a consom­mé le désastre. Au fond, nous vou­lons tous mou­rir. Camper puis plier bagage. C’est tout.
Arrivée près d’une plage à Mers El Hadjadj (Port-aux-Poules)
Plage d’une sale­té repous­sante, incon­ce­vable.
On com­prend, on a l’intuition d’une volon­té mal­saine de détruire les bords de mer, le lieu du corps et de la nature, et de le mas­quer par des mina­rets et des prières. Car il y a désor­mais une mos­quée à chaque plage. Insidieuse culpa­bi­li­sa­tion.
Égouts en plein air. Odeurs nau­séa­bondes. On conclut à une volon­té nette de détruire ce pays et de le rem­pla­cer par une sorte de noma­disme non­cha­lant.
En ville, à Mostaganem, de même qu’à Oran, la nou­velle mode : des affi­chettes sous les « feux rouges » qui vous appellent à consa­crer le temps de l’attente à la prière et au repen­tir. On rêve alors d’un pays où on appelle à ne pas jeter ses pou­belles par les vitres de sa voi­ture, où on appelle à ne pas salir et cra­cher, insul­ter et hon­nir, qua­li­fier de traître toute per­sonne dif­fé­rente et ne pas accu­ser les femmes en jupes de pro­vo­quer les séismes. On rêve de res­pect de la vie, des vies.
Non, c’est une évi­dence : on n’aime pas ce pays, on s’y venge de je ne sais quel mal intime. Tout le prouve : la pol­lu­tion, le manque de sens éco­lo­gique, l’urbanisme mons­trueux, la sale­té, les écoles où on enterre nos enfants et leurs âmes neuves pour en faire des zom­bies obsé­dés par l’au-delà.
On rêve d’un pays, pas d’une salle d’attente qui attend l’au-delà pour jouir du gazon au lieu de le nour­rir ici, sous nos pas, pour nous et nos enfants. On rêve et on retient, tel­le­ment dif­fi­ci­le­ment, ce cri du cœur : pour­quoi avoir tant com­bat­tu pour ce pays pour, à la fin, le mal­trai­ter si dure­ment ? Pourquoi avoir pous­sé nos héros à mou­rir pour trans­for­mer la terre sacrée en une pou­belle ouverte ? Pourquoi avoir rêvé de liber­té pour en arri­ver à cou­per les arbres et inon­der le pays de sachets en plastique ?

Alors, tout ça pour ça ?

Pierre-Émile Blairon

(1) J’ai enca­dré de guille­mets les trois adjec­tifs de natio­na­li­té car aucune des trois révo­lu­tions ne mérite ce qua­li­fi­ca­tif : la révo­lu­tion fran­çaise est une prise de pou­voir lors d’une émeute de voyous, mani­gan­cée par les bour­geois pari­siens, la révo­lu­tion russe est mar­xiste et la révo­lu­tion algé­rienne ne peut être algé­rienne puisque l’Algérie n’existait pas avant l’arrivée des Français de Charles X ; seules, des tri­bus nomades avec des chefs de grande noblesse comme le Bachaga Boualem et les mon­ta­gnards kabyles avaient un atta­che­ment au sol de cet espace indéfini.

(2) Noël à Oran, chan­son de François Valéry, incroya­ble­ment adap­tée à ce funeste souvenir.

Ou encore Alain Barrière :

Et puis aus­si dans le style yéyé :

(3) Guillaume Zeller, Oran, 5 juillet 1962, Un mas­sacre oublié, Éditions Tallandier, 2012

Pierre-Émile Blairon est l’au­teur d’un cer­tain nombre de livres liés à l’Histoire, notam­ment de la Provence, de Nostradamus à Giono et à la fin du Cycle :

Pierre-Émile Blairon - Iceberg

Pierre-Émile Blairon - Chronique fin cycle - Enfers parodisiaques

Pierre-Émile Blairon - La roue et le sablier - Bagages pour franchir le gué

Pierre-Émile Blairon - Le messager des dieux

Pierre-Émile Blairon - Livre Tradition primordiale

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Pierre-Émile Blairon

1 commentaire

  1. à Bône, au dépôt Marine, le soir de Noël pro­pos anti AF … La fron­tière drai­nait tous les anti­mi­li­ta­ristes, bobos, anti­mi­li­ta­ristes… un col­leur d’af­fiches de 17 ans abat­tu par un offi­cier… Ils le paie­ront, ils le paient !

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