L’Empire du Milieu au milieu de la tourmente
Le rêve mondialiste s’écroule en Chine
« Un habitant sur cinq de la planète est chinois. L’avenir est chinois. Je fais apprendre le chinois à mes enfants car, demain, dans les entreprises, parler chinois sera obligatoire pour être performant dans la mondialisation du commerce ». Je résume ici ce qu’on disait dans les médias et les milieux « branchés » et surtout « prospectifs » des affaires.
C’était l’époque du best-seller d’Alain Peyrefitte « Quand la Chine s’éveillera… », sous-titré « … le monde tremblera ».
Côté mode dans le vent, j’ai entendu, un proche me dire : « Nous connaissons un jeune couple qui s’est installé à Shangaï pour avoir des amis chinois, car la Chine c’est une culture millénaire qui fonce à toute vitesse dans la modernité ». J’ai éprouvé de la pitié pour ce jeune couple, ignorant tout de notre patrimoine civilisationnel français, qui rêvait d’un monde fantasmatique où une sagesse aux yeux bridés se ferait virtuose du numérique.
Les ruches affairistes ne juraient que par les vertigineux profits réalisés par l’organisation mondialisée du commerce appuyée par sur une finance elle aussi mondialisée. Le grand dragon jaune plantait ses griffes sur tous les continents et l’Europe s’émerveillait de recevoir des bataillons d’étudiants chinois affamés d’appréhender notre culture et notamment toutes nos techniques pour ensuite les copier dans l’(ex)Empire du Milieu. Qu’importe si la dictature communiste tenait le pays d’une main de fer. La Chine bombait le torse face à un « vieux continent » sournoisement travaillé par l’Open Society du milliardaire George Soros dont le titre résume parfaitement le programme : la société qui vient doit-être « ouverte ». Et même « nomade » affirme le prophète Attali. L’Occident apprenant consciencieusement le catéchisme de la repentance tandis que l’Extrême-Orient ne cachait plus ses velléités expansionnistes en achetant partout où il le pouvait des ports, des aérodromes, des vignobles et surtout des terres agricoles. La Chine, avec ses seuls techniciens et matérieux, construisaient des voies de chemin de fer en Afrique et dessinait une nouvelle route de la soie.
En vérité, la nouvelle Chine du troisième millénaire présentait un visage déconcertant
Officiellement toujours communiste, avec ses déploiements de drapeaux rouges et l’effigie de Mao à tous les coins de rue, elle s’est convertie au capitalisme et a mis un point d’honneur à réaliser des performances dans l’économie de marché :
Et c’est ici qu’il faut s’interroger sur ce qui est arrivé à cette nation ayant réussi l’effarant exploit d’accoupler les deux régimes qui furent violemment antagonistes au XXe siècle. De surcroît deux régimes uniquement fondés sur une dialectique matérialiste : une production massive, uniformisée et de piètre qualité dont le trop plein doit être déversé sur le monde entier désarmé par une concurrence déloyale. Lors d’une discussion récente avec un jeune et brillant(issime) ingénieur en informatique, ce denier est demeuré stupéfait en m’entendant lui dire que, durant des millénaires, les civilisations n’eurent pas pour préoccupation principale l’économie. Certes, ce registre a toujours existé comme une nécessité assurant leur subsistance aux individus. Toutefois, dominant les cités, les temples ne rassemblaient pas des traders. Le Parthénon n’était pas Wall Street ni Chartres la City. Et tout le monde sait qu’un certain Galiléen a chassé les marchands hors du temple.
Mais le citoyen moderne a été formaté pour considérer que l’économie est l’obligatoire pivot d’une société. Le marxiste comme le capitaliste fondent leur vision du monde sur la productivité ; qu’elle soit sous contrôle d’État ou livrée à la libre concurrence. Leurs mondes rivaux réduisent en fait tous les deux l’Homme à une entité unidimensionnelle, sans culture, sans Histoire, réduit à un producteur-consommateur, l’homo economicus.
En assimilant les deux, avec pour conséquence une population que préoccupe uniquement (ou presque) la possession de biens matériels, la Chine communisto-capitaliste se devait d’éradiquer son identité la plus authentique. En effet, la notion d’ « Empire du Milieu » n’était pas une formule pompeuse rimant avec creuse. Le nom en idéogrammes est tellement parlant qu’on en arrive à se poser la question suivante : compte tenu de la signification symbolique des signes utilisés comment une telle dénomination a‑t-elle été occultée par tout un peuple ? Exception faite certainement d’érudits dont la survie dépendait de leur obligation d’ignorer toute interprétation spirituelle. Voici ce nom :
L’idéogramme à main gauche stylise une flèche plantée au milieu d’une cible (dans la Chine ancienne les cibles étaient carrées). La notion exprimée est celle de « milieu » avec, on s’en doute, celle de « justesse » et donc de « précision ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’ascèse que nécessite le tir à l’arc et, bien avant l’intégration au Zen japonais de cette discipline, on sait, comme le rapporte l’éminent sinologue français Marcel Granet(1), qu’à la cour impériale viser une cible impliquait non seulement une réelle adresse pour atteindre le centre mais encore nécessitait de faire preuve d’une élégance corporelle dans le maniement de cette arme de jet. La notion de « milieu » connote ici des qualités se transposant dans un domaine éthique. La composante qualitative est indubitablement présente dans ce qui vient d’être dit. Appartenir à ce que sous-entend ce « milieu » exige une maîtrise et une « justesse » dans le comportement qui n’est pas sans rappeler la notion grecque de Dikè(2), terme que l’on traduit par « justice », celle qu’exigent les Olympiens ; et ce, en opposition à l’Hubris caractérisant la démesure, autrement dit ce qui transgresse un équilibre harmonieux. « L’Homme mesure de toute chose » disait le Grec Protagoras.
Le second idéogramme est en réalité un assemblage de deux figures. D’abord le carré stylisant un territoire positionné selon les quatre horizons des points cardinaux et on constate immédiatement la parenté avec la cible proprement dite. L’idéogramme que contient ce carré signifie le jade,pierre de perfection souvent en rapport avec le ciel(3). À ce propos, le maître du panthéon chinois est appelé l’ « Auguste de jade ». La couleur du jade serait celle d’une terre verte (féconde, garante d’abondance, en un mot « paradisiaque »)(4) mais « spiritualisée » par la signification de ce minéral que privilégie le ciel.
Ces brèves explications montrent que, pour l’ancienne Chine, appartenir à l’Empire du Milieu nécessitait la compréhension de données d’ordre moral et même spirituel requérant un comportement approprié, sinon de chaque individu, du moins de ceux à qui l’on confiait des responsabilités, à commencer par les lettrés.
René Guénon, dans l’un de ses ouvrages essentiels, paru en 1945, Le Règne de la Quantité, expliquait fort pertinemment que la quantification des choses ne pouvait se faire qu’au détriment du facteur qualitatif et, d’une façon générale, allait fatalement s’accentuer durant les temps qui allaient venir.
Dans les années 60, un peu plus de deux milliards d’individus peuplaient le monde. À ce jour, ils sont plus de sept milliards, bientôt huit. La Chine a un milliard et demi d’habitants et arrive en tête de toutes les nations. Ce pays, où Le Règne de la Quantité s’affiche par une effarante surpopulation, s’est donc doté d’un régime conjoignant les deux types de sociétés – marxiste et capitaliste – les plus significativement matérialistes.
Les anciens sages taoïstes n’auraient pas manqué de voir dans le coronavirus la résultante dramatique d’un reniement collectif de ce que signifiait le nom de la Chine
La destruction systématique par le maoïsme de toute l’ancienne culture chinoise, fondée sur une perception spirituelle de l’existence, s’est poursuivie avec une occidentalisation des consciences et son corollaire la participation sans réserve à la société marchande. Et nous découvrons que feu l’Empire du Milieu a été reconverti en une gigantesque usine produisant tout ce qui constitue le quotidien sociétal : des vêtements aux voitures et des téléphones aux médicaments. La Chine s’est vendue à la mondialisation et même, en acceptant de jouer à fond la carte d’un plan planétaire de répartition de travail, a permis de valider un projet de société globale d’où, bientôt, les spécificités nationales et régionales seraient impitoyablement éradiquées.
Le « péril jaune », épouvante de nos grands-parents, ne s’est pas produit comme cauchemardé, avec hordes asiates troquant chevaux et lances pour des blindés hérissés de canons et de mitrailleuses. Ce péril s’est concrétisé autrement : le cinquième de la population terrestre s’est mis au service de la mondialisation.
Mais voilà qu’un virus inopiné est venu chambouler ce Nouvel Ordre Mondial concocté par des instances dirigeantes qui se retrouvent officiellement à Davos et secrètement Dieu sait où.
Virus inopiné ? Pas tout à fait…
… puisqu’un important laboratoire de Wuhan, lieu initial de l’épidémie, travaillait précisément sur cet agent pathogène. Est-ce à dire qu’on en connaissait la redoutable nuisance et qu’en haut-lieu la décision fut prise de tenter de le neutraliser ? Toujours est-il que ledit virus s’est vraisemblablement échappé des éprouvettes du laboratoire.
Il y a exactement un siècle, la grippe dite « espagnole » était partie de Chine. Sinistre anniversaire. Depuis quelques semaines, en Europe, des voix commencent timidement à se faire entendre et remettent en question la société mondialisée. On parle de rapatrier des usines tandis que grandit le spectre de se trouver privés de médicaments en grande partie produits en Chine, comme chacun le sait maintenant. La mondialisation a aussi du plomb dans l’aile – jeu de mots inévitable ! – avec la crainte de se déplacer en avion. L’ère de L’Homme nomade, rêvée par Attali et d’autres penseurs universalistes, promue par tous les organes de propagande, est menacée par un ennemi microscopique.
Quant au vivre ensemble avec la communauté asiatique, il faudra repasser : les restaurants du genre Délices de Pékin sont désertés. En outre, pendant quelque temps, les habitués des stades se contenteront de suivre les matchs sur leur petit écran tandis que leur équipe jouera devant des gradins vides. Peut-être qu’en phase 3 d’une épidémie aux ambitions de pandémie, l’âge des foules sera révolu. Le mondialisme sera mort d’une catastrophe mondiale et, d’ores et déjà, il est urgent de privilégier le localisme et de se dire que le retour à la nation et à ses régions serait une solution de bon sens. Et même, osons le dire, de sauvetage de la civilisation.
Walther
(1) Dans son ouvrage intitulé Danses et Légendes de la Chine ancienne, Éditions Presse Universitaires de France.
(2) Cf. Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Éditions Maspero, Paris, 1965, chapitre 1.
(3) Il est fort probable que la couleur vert-pâle du jade ait été mise en rapport avec la teinte du ciel, au matin et le soir, près de l’horizon. En effet, si l’on concentre son attention sur ce secteur céleste, aux heures indiquées, on s’apercevra que l’azur laisse transparaître une teinte d’un vert très pâle, comme si le vert de la végétation terrestre se transmuait subtilement en azur.
(4) La signification symbolique de la « verte Eire », avec ses quatre contés répartis selon les points cardinaux et comportant un « royaume de Midhe » (terme signifiant « Milieu »).
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