L’Hebdo Varois semaine 08–2016
Comment diviser avec le pire, tout en cherchant à réunir avec les meilleures intentions.
Certes personne n’imagine que Myriam El Khomri a été nommée ministre du travail pour ses connaissances ou ses compétences. Eloignée du monde de l’entreprise, tant dans sa vie professionnelle que par ses choix idéologiques, elle ne compense même pas par une longue pratique du terrain politique – cette sorte de réalité par procuration des gens d’appareil – sa jeunesse et son absence de vécu personnel. D’ailleurs tout juste nommée, elle s’est pris les pieds dans le tapis d’une question de Jean-Jacques Bourdin sur BFM et RMC. On ne peut pourtant pas dire qu’il s’agissait d’une colle difficile ou d’un piège du niveau du Grand O de Sciences-Po…
Il n’empêche, elle est placée là pour faire le job. C’est-à-dire faire passer cette réforme de la législation du travail dont on parle souvent, mais qu’on n’entreprend jamais. La ministre ne l’a pas inspirée, c’est au-delà de ses possibilités. Mais en haut lieu on compte sur elle pour la porter. De toute façon, tout ou presque était écrit avant son entrée au gouvernement. Des 44 propositions de Jean-Denis Combrexelle –ancien directeur du Travail reconnu et apprécié pour sa pertinence– au rapport Badinter, le chemin était balisé depuis quelques mois déjà.
Pourtant, à peine dévoilés les axes essentiels de la réforme qui viendra au parlement en mars 2016 prochain, une chose est sûre d’emblée : il n’y aura pas de consensus, sauf dans le principe de critique du texte et de la philosophie qui le soutient. La gauche commence à se déchirer, y compris à l’intérieur des forces censées appuyer le gouvernement. Jean-Christophe Cambadélis, Premier secrétaire du PS, a exprimé ses réticences en disant qu’il aurait du mal à voter le texte en l’état. Prise de date pour négocier des amendements, sûrement. Mais aussi désaccord politique profond, car il a ajouté que cette réforme « ne montre pas son équilibre entre une flexibilité et une sécurité ». Or cette fantasmagorique flexi-sécurité à la française constitue le principal argument de vente de la réforme… Le député socialiste Christian Paul a renchéri. L’ancien ministre socialiste Benoît Hamon, se faisant le porte-parole des organisations syndicales, a annoncé une fronde d’envergure. Les syndicats se sont exprimés en propre, la CFDT en tête, dans le même sens. L’extrême-gauche, gouvernementale ou groupusculaire, voit rouge.
À droite guère d’appuis en compensation. Il ya bien eu Yves Nicolin, député LR et secrétaire national des Républicains en charge des PME-TPE pour estimer que les propositions de réforme du code du travail vont dans le bon sens. Mais pour ajouter illico qu’il attend des garanties du gouvernement quant aux mesures concrètes. Eric Woerth s’est contenté d’une énigmatique satisfaction que son parti ait été entendu. À droite de la droite, Nicolas Dupont-Aignan pour Debout la France, et Marine Le Pen au nom du Front National, se sont cru obligés de renchérir dans le social. L’un dénonçant l’atteinte au modèle social français, l’autre y voyant la régression pour tous.
http://www.frontnational.com/2016/02/projet-de-loi-el-khomri-la-regression-pour-tous/
Certes les syndicats patronaux affichent un accueil favorable, mais prudent. Pierre Gattaz pour le MEDEF paraît le plus positif. Mais François Asselin pour la CGPME a déjà appelé le gouvernement à aller jusqu’au bout. Les patrons de petites entreprises, surtout les TPME, demeurent beaucoup plus réservés.
Trop complexe et illisible
Il est vrai que la législation du travail, en l’état actuel du droit, de la jurisprudence et des pratiques administratives, constitue un boulet anticoncurrentiel pour la France. Qui laisse les entreprises en permanence dans le risque, sans visibilité. Et qui pour autant n’apporte pas de garanties effectives aux salariés qui en auraient le plus besoin. Avec 4 500 articles – et 3 700 pages dans son édition rouge la plus connue – le Code du Travail sédimenté à travers les âges représente un monument de complexité. Illisible pour les non-initiés. Source d’insécurité juridique permanente pour les employeurs, qui cumulent la double peine avec le loto perdant des conseils de prud’hommes. Or l’emploi ne dépend pas, ou peu, des mesures de politique générale du gouvernement. Il est beaucoup plus fonction du comportement économique des employeurs. Lesquels ont besoin de clarté, de simplicité et de constance dans le cadre au sein duquel ils évoluent. Ce devrait précisément être le rôle du pouvoir politique que de mettre en place, et veiller à maintenir, un ensemble de règles économiques et sociales équilibré et favorisant la compétitivité des entreprises françaises.
L’essentiel du projet de réforme est très loin de bouleverser les rapports de travail
La levée de boucliers de certains, les doutes des autres, sont-ils justifiés par l’ampleur du projet de réforme ? Ce serait faire trop de cas d’une série de mesures dont l’essentiel réside en quelques points : primauté dans l’ordre juridique des accords d’entreprise dans l’aménagement du temps de travail, plafonnement des indemnités de licenciement pouvant être accordées par les conseillers prud’homaux, précisions sur les critères du licenciement économique, possibilité pour les syndicats ayant négocié un accord minoritaire d’entreprise de demander à l’employeur d’organiser un référendum pour le valider. Des améliorations potentielles de la vie juridique et sociale en entreprise peut-être, la révolution dans la vie des salariés au travail sûrement pas.
Le caractère très limité de cette réforme, c’est la chronique d’un événement annoncé. Du moins pour les observateurs les plus avisés. Dès le mois de septembre 2015, le pouvoir avait mobilisé la presse pour qu’elle répercute son message. Celui-ci était simple, reproduit par Le Monde, journal officiel servile, sur quatre colonnes à la une : « Le gouvernement exclut tout big bang sur le droit du travail ». Tout était dit. Bien sûr on assurait en coulisse « vouloir une réforme d’ampleur, mais qui n’angoisse pas ». En réalité, la ligne était à la prudence. Elle se constate, six mois plus tard, dans la modestie des sujets abordés et des mesures envisagées par le projet de réforme. D’ailleurs, pour tenter à l’avance de rassurer son aile gauche, ainsi que la droite de la droite, et pourquoi pas de faire basculer quelques parlementaires de la droite, Robert Badinter avait en service commandé, lors de la remise de son rapport le mois dernier en janvier 2016, déclaré comme objectif principal vouloir remettre les droits des salariés au cœur du droit du travail. Précautions oratoires qui, apparemment, n’ont pas suffi à désarmer à l’avance les critiques.
Quelques dangers, toutefois pour les salariés et les entreprises
Les vrais risques de cette réforme ne résident pas dans une dérégulation ultralibérale que l’on se plaît, très à gauche comme très à droite, à dénoncer. Au passage seront sanctuarisés le principe général des 35 heures, le SMIC et le CDI – contrat à durée indéterminée – comme contrat de droit commun. Ceci évitera à la ministre de trop parler des CDD – contrats à durée déterminée – qu’elle ne maîtrise pas, sans que l’on voie bien en quoi ces trois dispositifs apportent quoi que ce soit de garantie positive et concrète aux salariés. On constate en revanche tous les jours les blocages qu’ils créent pour les employeurs, et les freins à l’emploi qu’ils représentent en conséquence.
Plus dangereuse potentiellement est la dérive à laquelle on espère que les parlementaires tordront le cou : le communautarisme musulman en entreprise. Robert Badinter a clairement écrit que le salarié devrait pouvoir manifester ses convictions religieuses sur le lieu de travail. Et que l’employeur ne serait fondé à y apporter des restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux, ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et encore si elles sont proportionnées au but recherché. Traduction pour les lecteurs ne connaissant pas bien la novlangue socialiste ni habitués aux textes des attendus des jugements : nous serons dans le domaine éminemment subjectif de l’appréciation, donc du conflit d’interprétation, qui mènera tout droit devant les tribunaux. De première instance en appel, puis in fine devant la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, cette juridisation supplémentaire de la vie au travail aboutira en deux-trois ans au port ostentatoire de signes distinctifs religieux, à la possibilité d’accoutrements étrangers à la tradition française de s’habiller au travail, à la validation de réclamations spécifiques en matière de congés, repas, ou autres, et pourquoi pas à l’obligation de mettre à disposition des locaux qui ne seront autres en réalité que des salles de prières. Si le législateur n’y prend pas garde, ce serait la fin de la neutralité à l’intérieur de l’entreprise. L’extension de la pollution sociétale dans le monde du travail, sur des lieux et à des moments jusqu’ici un peu préservés. En tout cas mieux que par l’Etat dans le domaine public, qui faillit de plus en plus à assumer l’obligation de laïcité. Tâche qu’il s’est imprudemment assignée lui-même en 1905.
Marc FRANÇOIS, Toulon, 21 février 2016