La légitime défense au cœur du malaise des policiers

Nous avons ren­con­tré Cédric D., poli­cier en poste à Nice. Il nous explique pour­quoi la loi qui est en pré­pa­ra­tion actuel­le­ment au Parlement sur la légi­time défense est cru­ciale pour l’a­ve­nir de notre police nationale.

Nice Provence Info : Bonjour mon­sieur D. Pourquoi le débat sur la légi­time défense prend-il une telle ampleur au sein de la police ?
Cédric D. : Bonjour. Essayons de mettre les évé­ne­ments en pers­pec­tive. Commençons par le mou­ve­ment social des poli­ciers qui s’est dérou­lé sur près de 3 semaines en octobre 2016 et qui est par­ti de Nice. Puis il s’est éten­du sur tout le ter­ri­toire. Ce mou­ve­ment a sur­pris tout autant notre hié­rar­chie que nos deux syn­di­cats majeurs Unité et Alliance. Ce qui démontre à quel point nos res­pon­sables hié­rar­chiques et syn­di­caux sont tota­le­ment décon­nec­tés de la réa­li­té du ter­rain car la révolte gronde en fait depuis plu­sieurs années.
Nice Provence Info : Plusieurs années ?
Cédric D. : Oui, il faut remon­ter à la pre­mière expres­sion de notre mécon­ten­te­ment en 2012. Le mou­ve­ment avait alors démar­ré à Lyon et il est à l’o­ri­gine de la créa­tion d’une struc­ture asso­cia­tive, hors par­tis poli­tiques et hors syn­di­cats, le CLIP, le Collectif Libre et Indépendant de la Police. Mais hélas ce pre­mier mou­ve­ment fut « récu­pé­ré » et n’a pas per­mis d’en­tendre le malaise pro­fond qui sour­dait chez les poli­ciers de ter­rain. L’escamotage de cette pre­mière alerte est un énorme gâchis car il a fal­lu attendre plu­sieurs drames sup­plé­men­taires pour que le mécon­ten­te­ment res­sorte de l’ombre. L’étincelle qui a lan­cé notre mou­ve­ment d’oc­tobre 2016 est l’at­taque en règle aux cock­tails Molotov contre une voi­ture séri­gra­phiée de la Police à Viry-Châtillon le 8 octobre. Deux de nos col­lègues furent très griè­ve­ment brû­lés et ont dû subir plu­sieurs greffes de peau. Là, c’en était trop. Tous les col­lègues ont com­pris que ce qui était arri­vé à Viry-Châtillon pour­rait arri­ver demain par­tout en France. Chaque agent a com­pris qu’il pou­vait demain être défi­gu­ré à vie par des délin­quants qui n’ont plus aucune crainte des poli­ciers.
Dans le même temps nous consta­tions que les syn­di­cats ne pre­naient pas en compte cette peur au ventre que nous avons tous les jours lorsque nous par­tons en tour­née ou en opé­ra­tion. Car oui, nous avons peur. La peur est du côté de la police face à une délin­quance impu­nie et réci­di­viste.
Alors nous avons relan­cé à Nice un col­lec­tif sur le modèle du CLIP. C’est comme cela que le mou­ve­ment a démar­ré. Il s’est ampli­fié car les réponses de notre hié­rar­chie étaient com­plè­te­ment inau­dibles : le 18 octobre le direc­teur géné­ral de la Police Jean-Marc Falcone, notre grand patron au niveau natio­nal, répond à notre mal-être vis­cé­ral par des répri­mandes et des menaces de sanc­tion ! Il voyait une mani­fes­ta­tion poli­tique ins­pi­rée par le Front National alors que nous expri­mions spon­ta­né­ment une exas­pé­ra­tion pro­fonde au delà des par­tis poli­tiques et des syn­di­cats que nul ne vou­lait entendre. C’est était trop.
Nous avons alors déci­dé de nous faire entendre par des mani­fes­ta­tions pas­sives qui se sont tenues par­tout en France pen­dant 30 jours consé­cu­tifs. Ce qui exi­geait de gros efforts de notre part car nous mani­fes­tions en dehors des heures de ser­vice.
Nice Provence Info : Avez-vous été sur­pris par l’ac­cueil très favo­rable de la part des Français qui ont pour­tant tou­jours des comptes à rendre avec la Police ?
Cédric D. : En fait pas vrai­ment. Nous avons indé­nia­ble­ment béné­fi­cié d’un fort sou­tien de la part de nos conci­toyens. Les Français se sentent eux aus­si de plus en plus mena­cés par une insé­cu­ri­té gran­dis­sante. Ils ont alors com­pris que les pre­mières vic­times de ce cli­mat d’in­sé­cu­ri­té sont des poli­ciers. Nous avons uti­li­sé tous les moyens d’in­for­ma­tion, notam­ment les réseaux sociaux, pour pré­sen­ter notre quo­ti­dien et nos reven­di­ca­tions pour en sor­tir.
Nice Provence Info : Alors jus­te­ment, ces reven­di­ca­tions, quelles sont-elles ?
Cédric D. : Avant cela je vou­drais dire que nous avons énor­mé­ment tra­vaillé en interne pen­dant et après notre mou­ve­ment. Les divers mou­ve­ments locaux se sont concer­tés, tou­jours en dehors des hié­rar­chies fonc­tion­nelles et syn­di­cales. Les asso­cia­tions et les col­lec­tifs se sont réunis à Lyon les 7 et 8 jan­vier 2017. Cet évé­ne­ment majeur est pas­sé com­plè­te­ment inaper­çu des grands médias qui sont sou­mis à la cen­sure infor­melle gou­ver­ne­men­tale. Nous avons adop­té à l’u­na­ni­mi­té des pré­sents des recom­man­da­tions pré­cises.
Nice Provence Info : Venons-en !
Cédric D. : Si vous per­met­tez, encore une fois, je sou­haite pla­cer ces évé­ne­ments en pers­pec­tive. Au cœur de notre mal-être, on trouve l’im­pu­ni­té des délin­quants. Pour y remé­dier nous pré­co­ni­sons notam­ment :
• une refonte de la légi­times défense
• une réelle refonte judi­caire
• l’a­no­ny­mat
• la refonte de la poli­tique du com­man­de­ment, de même que
• une vraie poli­tique d’in­ter­ven­tion de recru­te­ment et de for­ma­tion.
Vous voyez que nos reven­di­ca­tions ne touchent pas tant à nos salaires mais plu­tôt à l’en­vi­ron­ne­ment géné­ral de l’exer­cice de notre métier, garant de la paix répu­bli­caine. D’autant que les 250 mil­lions d’eu­ros annon­cés en catas­trophe par notre ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, ne sont qu’un effet d’an­nonce en jouant sur les bud­gets de plu­sieurs années. Et ce ne sont pas quelques mil­lions, fussent-ils effec­ti­ve­ment alloués, qui par­vien­dront à ce que la peur change de camp.
Et nous reve­nons tou­jours à la légi­time défense.
Nice Provence Info : On y arrive…
Cédric D. : Il faut savoir que les poli­ciers, dès leur for­ma­tion en école, apprennent en fait à ne pas tirer. Par suite tout poli­cier est téta­ni­sé à l’i­dée de se ser­vir de son arme car il encourt plus de pour­suites judi­ciaires et de sanc­tions que le délin­quant réci­di­viste. Nos col­lègues gra­ve­ment brû­lés à Viry-Chantillon paie­ront dans leur chair toute leur vie cette han­tise. Ils se sont lais­sé brû­ler car ils n’o­saient pas se ser­vir de leur arme !
Nous sou­hai­tons donc une refonte de la légis­la­tion et de la for­ma­tion.
Nos dépu­tés exa­mi­ne­ront entre le 24 et le 26 jan­vier un pro­jet de loi dont une par­tie concerne notam­ment la légi­time défense. Nous sou­hai­tons que notre posi­tion soit connue par les repré­sen­tants du Peuple aux­quels nous avons adres­sé une longue décla­ra­tion afin de leur signi­fier que le pro­jet, tel qu’il est pré­sen­té, ne nous satis­fait pas.
Nice Provence Info : Pourquoi ?
Cédric D. : Plusieurs rai­sons bien pré­cises. Tout d’a­bord ce texte ne fait que reprendre le cadre légis­la­tif actuel, dévoyé par la juris­pru­dence. Il faut donc agir au niveau de la magis­tra­ture et mettre fin à une véri­table schi­zo­phré­nie qui s’est empa­rée de cette ins­ti­tu­tion au cours des 20 der­nières années qui consi­dère à pré­sent le délin­quant comme a prio­ri vic­time et le gar­dien de la paix comme a prio­ri cou­pable.
Au delà de l’ac­tion néces­saire sur la magis­tra­ture, le pro­jet de texte reste arc-bou­té sur la stricte pro­por­tion­na­li­té et la syn­chro­ni­ci­té, ce qui pose pro­blème.
Si un délin­quant vous attaque au cou­teau, il fau­drait lui répli­quer au cou­teau. S’il vous donne un coup de pied, il fau­drait alors lui don­ner un coup de pied. Que faire alors lorsque nous rece­vons des par­paings sur la figure qui nous sont lan­cés depuis le toit des immeubles et qui sont des­ti­nés à tuer ? Renvoyer les par­paings ?
Le texte oblige le poli­cier à lan­cer des som­ma­tions avant l’u­sage de son arme. Pourquoi pas dans cer­tains cas, en effet. Mais cela ne peut pas être une règle géné­rale. Les poli­ciers lan­ce­ront-ils des som­ma­tions à des véhi­cules qui foncent sur eux ? En outre les poli­ciers craignent une contes­ta­tion sys­té­ma­tique des som­ma­tions alors que les délin­quants nient presque tou­jours la véri­té.
Un autre point impor­tant n’est pas pré­sent dans ce pro­jet de texte, c’est la « légi­time défense en uni­té consti­tuée ». Cette notion est inexis­tante en droit fran­çais ce qui repré­sente un vide impor­tant à l’heure où diverses uni­tés de main­tien de l’ordre sont ame­nées à opé­rer simul­ta­né­ment lors d’é­meutes de type « Autonomes » ou « Black Blocks » par exemple.
Nous sou­hai­tons que le cadre du recours à la légi­time défense de la Police soit cal­quée sur celui de la Gendarmerie. Par suite nous deman­dons alors que la juri­dic­tion ame­née à sta­tuer sur l’u­sage de la légi­time défense soit spé­cia­li­sée, avec des magis­trats for­més pour connaître de l’ac­tion spé­ci­fique des forces de l’ordre dont le rôle est spé­ci­fique puis­qu’elles risquent leur vie pour le main­tien de la paix. Tout comme les miliaires du reste.
Nice Provence Info : Serez-vous enten­dus par les dépu­tés de la Nation ?
Cédric D. : Nous ne deman­dons rien d’ex­cep­tion­nel puisque nos reven­di­ca­tions sont ins­pi­rées de ce qui se fait d’ores et déjà dans plu­sieurs pays euro­péens. Nous nous sommes notam­ment ins­pi­rés de la loi sur la Police de l’État du Bade-Würtenberg en Allemagne, de la loi fédé­rale belge, du Code Pénal suisse ou encore de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Nous pen­sons être enten­dus du peuple de France à défaut de l’être de notre hié­rar­chie. Les élus du peuple devraient entendre notre cri de détresse lors de l’é­tude du pro­jet de loi.
Nice Provence Info : Merci.

[D’après les pro­pos recueillis par Georges Gourdin]

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