
Panem et circenses…
L’expression est tirée du vers 81 de la Satire X du poète satirique latin Juvénal, qui lui donne un sens péjoratif. Elle dénonce le fait que les Romains se préoccupaient plus de leur estomac et de leurs loisirs, du fait de la distribution de pain (imagé) et de l’organisation de jeux dans le but de s’attirer la bienveillance du peuple (politique d’évergétisme(1)).
Je me permets ici de reprendre les termes de la célèbre citation, qui en d’autres temps faisait légion, mais qui d’après moi est d’actualité : « Ces Romains si jaloux, si fiers (…) qui jadis commandaient aux rois et aux nations (…) et régnaient du Capitole aux deux bouts de la terre, esclaves maintenant de plaisirs corrupteurs, que leur faut-il ? Du pain et les jeux du cirque. »
Aujourd’hui les Niçois sont plus de 12 000 admirateurs de ce ballon rond, qui se sont rassemblés dans la « Fan zone » de la place Masséna du centre Nice. Ils s’étaient réunis plus rapidement que lors des dernières manifs des Gilets Jaunes battant pavés de Garibaldi à Thiers. La ferveur à son comble pressentait des liesses et des embrassades sans masques protecteurs de microbes, remisés au fin fond des musées de l’oubli. Ils furent plus prompts à venir admirer via des écrans géants leurs 22 millionnaires pousseurs de baballes que de descendre dans leurs rues, défendre leurs acquis mis à mal par un Système qu’eux-mêmes ont certainement contribué à maintenir en place par leurs manques de discernement électoralistes.
Nous n’avons rien inventé ! Avant que la baballe ne roule sur ce gazon vert, coupé fin et arrosé même en période de grande sécheresse, dans chaque chaumière la fronde résonnait par les bruits de couloir pour que demain ne soit plus jamais comme hier, que le prix du carburant ne devienne pas celui du caviar. Mais rien, ni personne, ne donne les moyens pour que cela change, au contraire, ils en redemandent.
Nous restons toujours sur cet héritage que nos ancêtres nous ont légué, à savoir que les jeux endorment les peuples de toutes religions et participent à leur asservissement par les despotes. Quoi de mieux pour des monarques sans couronne que d’organiser une joute, un tournoi, un jeu de baballes, un grand prix de tutures, et de fasciner les foules par de mirobolants gains qui, le soir, venant bercent l’ouvrier, smicard.
Je ne suis pas contre le fait qu’il doit y avoir des distractions voire des jeux divers et d’été, mais de là à inonder tous les espaces vitaux de notre société pour qu’il n’y ait pas une seule once de notre esprit qui ne occupée par le jeu, qui est devenu un jeu d’argent.
Pas un jeune ne peut aujourd’hui se passer de son smartphone connecté à un de ces jeux. Pas un match ne reste sans mise. Pas un pilote qu’il soit motard ou de F1 qui ne rêve de renommée et de couronne en or. Ces stars archi-sponsorisées nous offrent pourtant le spectacle au goût amer de leurs réussites bling-bling que nous n’aurons jamais.
Alors, adieu pain, beurre et huile trop chers ! Oubliez les hausses répétées de nos besoins vitaux tels qu’essence, gaz, électricité. Fini les mouvements pour défendre un pouvoir d’achat qui ne sera qu’un pouvoir de survie. Laissez à la maison les oraisons et palabres rancunières envers ceux qui nous ont mis dans cette galère. Vous avez vos « Fan Zones », vos écrans géants, vos maillots aux couleurs de vos idoles qui, elles, s’en battent les… mains (comme Ponce Pilate en d’autres temps). Vous êtes heureux, n’est-ce pas ?
Le monde est une niche où le sol n’est fait que de sable blanc, l’autruche devrait devenir l’emblème mondial, des fois que nos amis martiens venaient à vouloir nous rendre visite. Ils sauraient à quoi s’en tenir…
Phylippe Marécaux
(1) Le néologisme « évergétisme » a été créé par un historien du XXe siècle à partir d’une expression grecque (« qui veut le bien ») pour qualifier une pratique caractéristique du monde gréco-romain : dans ces cités antiques qui ignoraient l’impôt sur le revenu, les particuliers les plus riches avaient le devoir moral de faire des dons à la cité pour organiser des jeux, construire des monuments, lever des armées ou soulager les pauvres… Même les plus réticents devaient s’y conformer pour ne pas être montrés du doigt [source herodote.net].
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