La guerre en Ukraine empêtrée dans l’Île des serpents… à sornettes
L’armée russe a annoncé ce 30 juin son retrait de l’Île des serpents, située à 50 km des côtes ukrainiennes et roumaines de la Mer Noire. Officiellement, en guise de « signe de bonne volonté », pour ne pas gêner l’exportation de céréales à partir de l’Ukraine. Cet îlot, d’une superficie équivalant à 25 terrains de football – unité quasi officielle de mesure, sans rapport avec sa valeur géostratégique, acquiert ces jours-ci une notoriété internationale inédite, nouvel épisode d’une destinée mouvementée.
Cette île au nom aussi romanesque que celle, haïtienne, de la Tortue, autrefois repaire de pirates, est depuis toujours l’objet de mythes et de convoitises. Les couleuvres inoffensives dont elle regorgeait dans l’Antiquité grecque puis romaine, lui ont légué ce nom attaché à la légende d’Achille venu se reposer de ses guerres après sa mort à Troie. Possession ottomane puis roumaine au XIXe siècle, elle est devenue ukrainienne en 1948. Condamnée, semble-t-il, à une occupation incompatible avec les critères d’implantation d’un Club Med, ses occupants rampants, décimés par les Ukrainiens pour y installer une base militaire, ont été remplacés par d’innombrables rongeurs. Par effet de la malédiction légendaire des ressources naturelles qui attire toutes sortes de prédateurs, l’île a été, depuis, âprement revendiquée par la Roumanie sous prétexte que le statut de « Zone économique exclusive », invoqué par l’Ukraine, était sans objet … jusqu’à ce que soient révélées d’importantes réserves d’hydrocarbures offshore à proximité. Finalement, la Cour internationale de justice a attribué en 2009 à l’Ukraine la possession de l’îlot, rocher stérile mais balise utile, et a partagé les riches eaux territoriales entre les deux pays.
Derniers rebondissements, l’Île des serpents a été conquise par la Russie dès le début de son intervention militaire en Ukraine, le 24 février dernier. Si les discours sont suivis des faits, elle lui sera donc rétrocédée, sous peu, sans que l’on en connaisse encore la contrepartie ou réalise les conséquences, car en ces circonstances forcées sinon anticipées, rien n’est fortuit, ni gratuit. Par un mauvais tour du destin, l’Île des serpents finira peut-être en vulgaire station-service de la Mer Noire. Depuis, l’inoffensif reptile a été remplacé par une nouvelle espèce de serpent politico-médiatique à sornettes, symbole de la communication rhétorique officielle. En effet, les estimations militaires, les supputations stratégiques, les évaluations économiques et les spéculations politiques les plus contradictoires circulent quant à la situation réelle de la guerre en Ukraine, son évolution probable, ses issues envisageables. Il est difficile de s’en faire une idée claire tant la désinformation est pratiquée à outrance par tous les camps politiques, mouvements idéologiques et canaux médiatiques.
Heureusement, des analystes indépendants et instruits partagent en ligne des analyses décalées et convaincantes, critiques sans être forcément complotistes. Comme pour le scandale politico-sanitaire du Covid 19, qui est loin d’être terminé, le citoyen exigeant, qui sait multiplier et diversifier ses sources d’information après s’être désintoxiqué des relais d’information publique dominante, peut se faire une opinion éclairée et équilibrée sur ce dossier d’actualité. Et tenir compte de subtilités qui font toute la différence, comme cette analyse dérangeante selon laquelle le président Poutine aura au moins réussi le tour de force d’une triple mystification, faire croire au double objectif initial de :
• a. mener une opération rapide pour
• b. prendre la capitale Kiev, afin de
• c. fixer les forces ukrainiennes près de la ville de Kharkiv. « Les Ukrainiens défendent la ville. Pendant ce temps les Russes ont les mains libres dans le Donbass », estime un observateur réaliste(1).
Exerçons librement notre esprit critique pour analyser de façon équilibrée les conséquences possibles de l’intégration prochaine de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN(2), autrement plus importante que l’avenir de cet ilot surmédiatisé, dont l’abandon par la Russie est présenté par des fanfarons comme une défaite majeure. Résistons, enfin, à la tentative désespérée des médias politisés et des politiques idéologisés, de fixer notre attention sur des fake news dont ils voudraient s’arroger le monopole. Dont l’Île des serpents à sornettes est le symbole.
Jean-Michel Lavoizard
(1) https://www.rts.ch/info/monde/13135499-bernard-wicht-le-succes-de-loperation-russe-cest-davoir-reussi-a-mystifier-tout-le-monde.html
(2) https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l‑invite-e-des-matins/que-signifie-un-renforcement-de-l-otan-avec-olivier-kempf-et-jean-sylvestre-mongrenier-1958602
Les Américains se croient dans un saloon et suscitent des bagarres.
Les Russes jouent aux échecs.
Voilà pourquoi Poutine a toujours trois coups d’avance.