Demi-finale de la Coupe du Monde de football : la défaite du Maroc n’est pas celle de l’Afrique, ni la victoire du Nord contre le Sud

par | 15 décembre 2022 | Aucun com­men­taire

Au len­de­main d’une demi-finale atten­due de la Coupe du Monde de foot­ball, la défaite (par 2 buts à 0) de l’équipe du Maroc n’est pas plus celle de l’Afrique que la vic­toire des « pays du Nord », d’Europe, sur les « pays du Sud ».

On ne s’étendra pas ici sur les allé­ga­tions sou­te­nues de cor­rup­tion dans le pro­ces­sus d’organisation des cham­pion­nats inter­na­tio­naux de foot­ball, y com­pris de cette Coupe du Monde exo­tique et contro­ver­sée au Qatar, que ren­forcent les scan­dales actuels de conflits d’intérêts, de tra­fic d’influence et d’enrichissement illi­cite au sein de l’Union euro­péenne. La série Netflix bien docu­men­tée « FIFA : Ballon rond et cor­rup­tion », éclai­rante sur le règne crois­sant de l’argent sans odeur dans le milieu du foot­ball pro­fes­sion­nel depuis cin­quante ans, suf­fit à dégou­ter tout public exi­geant sur les valeurs sup­po­sées saines du sport.

Autre ten­dance, depuis l’Afrique on entend avec las­si­tude les nom­breux et bruyants com­men­taires média poli­ti­sés et idéo­lo­gi­sés en pro­ve­nance de la France sur cette Coupe du Monde.

Les « déco­lo­niaux » fran­çais, Français de souche rené­gats ou d’adoption ingrats, vou­draient impo­ser dans ce feuille­ton mon­dia­li­sé, le sce­na­rio d’une revanche ima­gi­naire. La ven­geance fan­tas­mée des pays du Sud (noirs et métis­sés) où ils ne vivent pas, contre ceux du Nord (Blancs) où ils ne s’intègrent pas ; des oppri­més qu’ils n’ont jamais été, contre d’anciens diri­geants dont ils ne retiennent que les excès ; des vic­times d’un pas­sé qu’ils invoquent indu­ment, contre leurs exploi­teurs dont ils convoquent injus­te­ment les des­cen­dants au tri­bu­nal mémo­riel. Les Français éclai­rés d’aujourd’hui inten­te­raient-ils un pro­cès contre l’Italie, au titre de dom­mages infli­gés par l’Empire romain dont les bien­faits de la colo­ni­sa­tion ont lar­ge­ment contri­bué au développement ?

Cette ten­ta­tive idéo­lo­gique de récu­pé­ra­tion et de mani­pu­la­tion s’appuie sur une vision sim­pliste, anhis­to­rique et décontextualisée.

En effet, cette vision assi­mile le Maroc, pays du Maghreb, à l’Afrique. Or, le conti­nent afri­cain se défi­nit avant tout par sa diver­si­té poli­tique, eth­nique et cultu­relle. Le pro­jet de pan-afri­ca­nisme reste plom­bé par des ambi­tions rivales, natio­nales et cla­niques. Le roi Mohammed VI a fait sienne cette phrase de son père, Hassan II. « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui res­pire par ses feuilles en Europe. »(1). Or, depuis le ralen­tis­se­ment de la crois­sance éco­no­mique en Europe, le Maroc mène une cam­pagne très active de diplo­ma­tie poli­tique et d’investissement éco­no­mique sur le conti­nent afri­cain, pour rejoindre la CEDEAO (Communauté Économique des Pays d’Afrique de l’Ouest), tout en main­te­nant des liens par­ti­cu­liers avec les pays du pour­tour médi­ter­ra­néen et une rela­tion spé­ciale avec les États-Unis (le Maroc est le pre­mier pays à avoir recon­nu les États-Unis)(2). Cette ambi­tion domi­nante d’un puis­sant pays ara­bo-musul­man, sou­vent admi­ré et res­pec­té en Afrique, sus­cite tou­te­fois une cer­taine crainte de domi­na­tion auprès des popu­la­tions d’Afrique noire, occi­den­tale et centrale.

Lors de cette demi-finale, tan­dis que l’équipe du Maroc (com­po­sée exclu­si­ve­ment de Marocains de souche) était una­ni­me­ment sou­te­nue par les pays musul­mans d’Afrique, du Golfe et d’ailleurs, de nom­breux Africains d’Afrique noire sou­te­naient ouver­te­ment l’équipe de France, pour la rai­son poli­tique évo­quée et du fait de sa com­po­si­tion eth­nique très métis­sée, dans laquelle ils se reconnaissaient.

Jean Ziegler livre - Haine OccidentDans « La haine de l’Occident », essai publié en 2008, Jean Ziegler, ancien dépu­té socia­liste de Genève et rap­por­teur spé­cial des Nations Unies pour le Droit à l’alimentation, confon­dait les termes « Occident, Nord, Blancs » pour cibler et jus­ti­fier la « méfiance vis­cé­rale » des pays de l’hémisphère sud face à leur arro­gance et à leur aveu­gle­ment, et « l’exigence de répa­ra­tions » de leurs « crimes his­to­riques ». Soixante ans après les indé­pen­dances, cette rhé­to­rique per­sis­tante et dépas­sée entre Nord et Sud exo­nère toute res­pon­sa­bi­li­té des diri­geants et des peuples afri­cains dans leur sous-déve­lop­pe­ment chro­nique. On retien­dra et sou­tien­dra plu­tôt cet appel final et salu­taire de Jean Ziegler : « C’est dans leurs cultures autoch­tones, leurs iden­ti­tés col­lec­tives, leurs tra­di­tions ances­trales, que les peuples du Sud pui­se­ront le cou­rage d’être libres. »

En atten­dant, on espère voir avant tout du sport de qua­li­té dans la finale pro­chaine d’une Coupe du Monde déci­dé­ment très politisée.

Jean-Michel Lavoizard

(1) https://www.lesechos.fr/2010/07/comment-le-maroc-veut-seduire-ses-freres-africains-1086721
(2) Le Maroc (Empire ché­ri­fien) a été le pre­mier au niveau inter­na­tio­nal à recon­naître l’in­dé­pen­dance des États-Unis le 20 décembre 1777, ce qui s’est tra­duit des années plus tard, en 1787, par un trai­té d’a­mi­tié, tou­jours en vigueur aujourd’hui. 


Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.

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