Révolte de palais au Gabon : tout changer pour que rien ne change

par | 2 sep­tembre 2023 | Aucun com­men­taire

Jean-Michel Lavoizard exerce depuis plu­sieurs années une acti­vi­té d’in­tel­li­gence éco­no­mique en Afrique. Il nous gra­ti­fie régu­liè­re­ment de son ana­lyse « de ter­rain » sur la situa­tion de ce conti­nent. Jean-Michel Lavoizard nous pro­pose aujourd’­hui une vision très per­ti­nente sur le « Coup d’État » récent au Gabon.

L’élection présidentielle de ce 26 août au Gabon a donné lieu à une grande confusion

Alors que de pre­miers résul­tats concor­dants don­naient pour vain­queur avec au moins 60% des voix le prin­ci­pal oppo­sant au Président sor­tant Ali Bongo, une chape de plomb s’est abat­tue sur le réseau inter­net natio­nal(1) et les médias étran­gers en par­ti­cu­lier fran­çais, iso­lant le pays du reste du monde durant envi­ron 24 heures.

La plu­part des obser­va­teurs étran­gers anti­ci­paient une vic­toire for­cée d’Ali Bongo, tant le sys­tème élec­to­ral sem­blait ver­rouillé de l’intérieur. C’était négli­ger l’importance de signaux faibles qui se sont ampli­fiés depuis la pré­cé­dente élec­tion pré­si­den­tielle, contro­ver­sée. En 2016, le prin­ci­pal oppo­sant, Jean Ping, alors lar­ge­ment recon­nu vain­queur, avait dû céder la place à son beau-frère au terme d’émeutes popu­laires répri­mées dans le sang.

Or, ces trans­for­ma­tions internes, igno­rées ou sous-esti­mées par un obser­va­teur éloi­gné des réa­li­tés locales, ont abou­ti à une situa­tion inat­ten­due, que l’expérience et l’accès à de l’information fiable per­mettent d’expliquer.

Que se passe-t-il en réalité ?

Selon un scé­na­rio ins­pi­ré des ren­ver­se­ments de pou­voir ces trois der­nières années au Mali, en Guinée Conakry, au Burkina Faso et au Niger(2), une révolte popu­laire spon­ta­née aurait pu impo­ser le rival recon­nu vain­queur, M. Albert Ondo Ossa, can­di­dat unique des prin­ci­paux par­tis d’op­po­si­tion réunis au sein de la coa­li­tion ‘Alternance 2023’. Toutefois, ce pro­fes­seur d’économie, ancien ministre de l’Enseignement supé­rieur sans enver­gure ni expé­rience poli­tique, mis en avant par une oppo­si­tion divi­sée, ne dis­po­sait pas de troupes ni de sou­tien finan­cier. Reprenant la for­mule célèbre : « Combien de divi­sions ?», les put­schistes ont fait le pari gagnant de l’inaction légen­daire de la com­mu­nau­té afri­caine et inter­na­tio­nale, dont les récri­mi­na­tions impuis­santes de la France s’apparentent, ici comme ailleurs, à du bluff qui la décré­di­bi­lise tou­jours plus en Afrique.

Or, c’est un tout autre scé­na­rio qui se confirme, celui d’une simple révolte de palais au sein du « Clan Bongo » de l’ethnie Teke, pour se main­te­nir au pou­voir face à l’ethnie démo­gra­phi­que­ment majo­ri­taire des Fang, dont est issu M. Ondo Ossa. C’est pour­quoi un groupe de mili­taires diri­gés par le géné­ral com­man­dant la Garde natio­nale, Brice Oligui Nguema, a annu­lé le scru­tin, dis­sout l’en­semble des ins­ti­tu­tions et créé le ‘Comité pour la tran­si­tion et la res­tau­ra­tion des ins­ti­tu­tions’ (CTRI). Ceci afin de devan­cer un éven­tuel sou­lè­ve­ment popu­laire légi­ti­miste, qui aurait pro­vo­qué une véri­table révo­lu­tion eth­nique, davan­tage que poli­tique. Tout en met­tant fin à la « dynas­tie Bongo » dont le fils héri­tier, usé par des pro­blèmes de san­té, était por­té à bout de bras par son entou­rage fami­lial accro­ché aux avan­tages maté­riels du pouvoir.

Ainsi, ce renversement n’est pas le résultat d’une influence de l’État français, ni d’une manigance de la « Françafrique »

Si ce terme, obso­lète, est tou­jours fan­tas­mé par des cercles pseu­do afri­ca­nistes dépas­sés, l’État fran­çais n’a cer­tai­ne­ment pas ten­té de main­te­nir au pou­voir Ali Bongo, comme le pré­tend gros­siè­re­ment l’histrion Mélenchon(3) à des fins de poli­tique inté­rieure. Ce serait d’ailleurs lui don­ner un pou­voir qu’il n’a plus, et ne veut plus.

Ali Bongo que tout le monde appe­lait « le PDG », en réfé­rence au Parti Démocratique Gabonais autant qu’à son atti­tude de pro­prié­taire éco­no­mique de son pays, aurait pu quit­ter le pou­voir la tête haute – ou presque. Son achar­ne­ment, une fois de trop, lui vaut d’être des­ti­tué comme un roi déchu, reje­té par les siens. Une fois de plus, les per­dants de ces luttes de pou­voir entre « élites » poli­tiques et socio-éco­no­miques sont les popu­la­tions locales, dans un pays qui béné­fi­cie depuis des décen­nies d’une rente pétro­lière miro­bo­lante si peu redis­tri­buée à ses deux mil­lions d’habitants.

En guise d’élection démo­cra­tique illu­soire sur fond de débat poli­tique inexis­tant, on assiste ain­si à une double confis­ca­tion de pou­voir par les sécu­ro­crates du clan eth­nique Teke :
• celui du can­di­dat pré­su­mé vain­queur, issu d’une eth­nie rivale ;
• celui d’un chef de clan usé, jugé désor­mais inca­pable de défendre les inté­rêts par­ti­cu­liers des siens.
Autrement dit, en réfé­rence à la célèbre réplique, il s’agit de « tout chan­ger pour que rien ne change(4). » Jusqu’au ren­ver­se­ment suivant…

Jean-Michel Lavoizard

« Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Cette réplique est attri­buée à Tancrède Falconeri, le per­son­nage qu’interprète Alain Delon dans « Le Guépard » de Luchino Visconti.

Q

Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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