Révolte de palais au Gabon : tout changer pour que rien ne change
Jean-Michel Lavoizard exerce depuis plusieurs années une activité d’intelligence économique en Afrique. Il nous gratifie régulièrement de son analyse « de terrain » sur la situation de ce continent. Jean-Michel Lavoizard nous propose aujourd’hui une vision très pertinente sur le « Coup d’État » récent au Gabon.
L’élection présidentielle de ce 26 août au Gabon a donné lieu à une grande confusion
Alors que de premiers résultats concordants donnaient pour vainqueur avec au moins 60% des voix le principal opposant au Président sortant Ali Bongo, une chape de plomb s’est abattue sur le réseau internet national(1) et les médias étrangers en particulier français, isolant le pays du reste du monde durant environ 24 heures.
La plupart des observateurs étrangers anticipaient une victoire forcée d’Ali Bongo, tant le système électoral semblait verrouillé de l’intérieur. C’était négliger l’importance de signaux faibles qui se sont amplifiés depuis la précédente élection présidentielle, controversée. En 2016, le principal opposant, Jean Ping, alors largement reconnu vainqueur, avait dû céder la place à son beau-frère au terme d’émeutes populaires réprimées dans le sang.
Or, ces transformations internes, ignorées ou sous-estimées par un observateur éloigné des réalités locales, ont abouti à une situation inattendue, que l’expérience et l’accès à de l’information fiable permettent d’expliquer.
Que se passe-t-il en réalité ?
Selon un scénario inspiré des renversements de pouvoir ces trois dernières années au Mali, en Guinée Conakry, au Burkina Faso et au Niger(2), une révolte populaire spontanée aurait pu imposer le rival reconnu vainqueur, M. Albert Ondo Ossa, candidat unique des principaux partis d’opposition réunis au sein de la coalition ‘Alternance 2023’. Toutefois, ce professeur d’économie, ancien ministre de l’Enseignement supérieur sans envergure ni expérience politique, mis en avant par une opposition divisée, ne disposait pas de troupes ni de soutien financier. Reprenant la formule célèbre : « Combien de divisions ?», les putschistes ont fait le pari gagnant de l’inaction légendaire de la communauté africaine et internationale, dont les récriminations impuissantes de la France s’apparentent, ici comme ailleurs, à du bluff qui la décrédibilise toujours plus en Afrique.
Or, c’est un tout autre scénario qui se confirme, celui d’une simple révolte de palais au sein du « Clan Bongo » de l’ethnie Teke, pour se maintenir au pouvoir face à l’ethnie démographiquement majoritaire des Fang, dont est issu M. Ondo Ossa. C’est pourquoi un groupe de militaires dirigés par le général commandant la Garde nationale, Brice Oligui Nguema, a annulé le scrutin, dissout l’ensemble des institutions et créé le ‘Comité pour la transition et la restauration des institutions’ (CTRI). Ceci afin de devancer un éventuel soulèvement populaire légitimiste, qui aurait provoqué une véritable révolution ethnique, davantage que politique. Tout en mettant fin à la « dynastie Bongo » dont le fils héritier, usé par des problèmes de santé, était porté à bout de bras par son entourage familial accroché aux avantages matériels du pouvoir.
Ainsi, ce renversement n’est pas le résultat d’une influence de l’État français, ni d’une manigance de la « Françafrique »
Si ce terme, obsolète, est toujours fantasmé par des cercles pseudo africanistes dépassés, l’État français n’a certainement pas tenté de maintenir au pouvoir Ali Bongo, comme le prétend grossièrement l’histrion Mélenchon(3) à des fins de politique intérieure. Ce serait d’ailleurs lui donner un pouvoir qu’il n’a plus, et ne veut plus.
Ali Bongo que tout le monde appelait « le PDG », en référence au Parti Démocratique Gabonais autant qu’à son attitude de propriétaire économique de son pays, aurait pu quitter le pouvoir la tête haute – ou presque. Son acharnement, une fois de trop, lui vaut d’être destitué comme un roi déchu, rejeté par les siens. Une fois de plus, les perdants de ces luttes de pouvoir entre « élites » politiques et socio-économiques sont les populations locales, dans un pays qui bénéficie depuis des décennies d’une rente pétrolière mirobolante si peu redistribuée à ses deux millions d’habitants.
En guise d’élection démocratique illusoire sur fond de débat politique inexistant, on assiste ainsi à une double confiscation de pouvoir par les sécurocrates du clan ethnique Teke :
• celui du candidat présumé vainqueur, issu d’une ethnie rivale ;
• celui d’un chef de clan usé, jugé désormais incapable de défendre les intérêts particuliers des siens.
Autrement dit, en référence à la célèbre réplique, il s’agit de « tout changer pour que rien ne change(4). » Jusqu’au renversement suivant…
Jean-Michel Lavoizard
« Il faut que tout change pour que rien ne change ».
Cette réplique est attribuée à Tancrède Falconeri, le personnage qu’interprète Alain Delon dans « Le Guépard » de Luchino Visconti.
Jean-Michel Lavoizard est le dirigeant-fondateur de la société ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie également sur Boulevard Voltaire.
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