Au Niger, le rejet de l’ultimatum aux putschistes est un nouvel affront à la France

par | 10 août 2023 | 2 Commentaires 

Jean-Michel Lavoizard nous pro­pose une vision de ter­rain de l’ef­fer­ves­cence afri­caine actuelle.

Suite au ren­ver­se­ment le 26 juillet der­nier du Président de la République du Niger, Mohamed Bazoum, la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adres­sé quatre jours plus tard un ulti­ma­tum aux put­schistes mili­taires. Il a expi­ré ce 6 août, sans autre réac­tion
que la fer­me­ture pré­ven­tive « jusqu’à nou­vel ordre » de l’espace aérien natio­nal(1).

On pour­rait croire que cette fer­me­té affi­chée, sou­te­nue par le ministre des Affaires étran­gères de la France, fera de ce putsch sin­gu­lier le der­nier d’une longue et ancienne série de ren­ver­se­ments poli­tiques au Niger. On peut en douter.

Car, cette fois-ci, le rejet de cet « ultime ulti­ma­tum » pour­rait son­ner le glas de l” « ultime illu­sion » de l’autorité et de la cré­di­bi­li­té des ins­ti­tu­tions afri­caines, divi­sées et impuis­santes face à des popu­la­tions exas­pé­rées par la défaillance et la pré­da­tion de régimes cor­rom­pus(2). Rejetée, la France conti­nue pour­tant de faire preuve d’activisme poli­tique. Par idéal démo­cra­tique pré­tex­té, soli­da­ri­té poli­tique légi­ti­mée, impé­ra­tif de sécu­ri­té col­lec­tive invo­qué, mais aus­si, par inté­rêt éco­no­mique inavoué. Car, au Niger, ulti­ma­tum rime avec ura­nium, exploi­té par la socié­té fran­çaise Orano, nou­veau nom d’Areva.

A l’échelle régio­nale, si cor­ré­la­tion n’est pas cau­sa­li­té dans des contextes dif­fé­rents, un lien évident existe avec les ren­ver­se­ments mili­taires et popu­laires sur­ve­nus au Mali(3) (août 2020, mai 2021), en Guinée Conakry(4) (sept 2021) et au Burkina Faso(5) (sept 2022). Les ten­ta­tives d’étouffement par sanc­tions éco­no­miques et iso­le­ment poli­tique de ces mou­ve­ments popu­laires, dont le prin­ci­pal tort est d’avoir ren­ver­sé par la force des régimes inca­pables d’assurer leur part réga­lienne du contrat social (sécu­ri­té, san­té, édu­ca­tion, déve­lop­pe­ment éco­no­mique), sont inef­fi­caces et contreproductives.

Nul besoin d’y voir l’œuvre occulte de puis­sances étran­gères(6). Ce n’est pas « la faute à Wagner »(7) quand bien même quelques dra­peaux russes ont été aper­çus ici ou là. La Macronie par­vient très bien à se tirer elle-même « une balle dans le pied » par une poli­tique afri­caine maso­chiste et confuse(8), impuis­sante et arro­gante(9), qui fait le jeu de la Chine, de la Russie, de la Turquie et de faux alliés comme les États-Unis et des pays euro­péens. Le deuxième Forum Russie Afrique, qui s’est tenu à Saint-Petersbourg fin juillet, a autant per­mis à la Russie de ren­for­cer sa
posi­tion en Afrique, que le ‘Forum Afrique France’ d’oct. 2021(10) et le Sommet de la Francophonie de novembre 2022(11) ont affai­bli la puis­sance et l’influence de la France.

L’ultimatum est une exi­gence que l’on met en demeure d’ac­cep­ter, sans pos­si­bi­li­té de dis­cu­ter. Encore faut-il en avoir les moyens, car le bluff ne suf­fit pas et les pré­cé­dents confortent les auda­cieux. Plusieurs pays proches dont le géant Nigeria, le Burkina et le Mali, ont déjà reje­té le prin­cipe de leur par­ti­ci­pa­tion à une inter­ven­tion armée. La réunion de crise de la CEDEAO pré­vue ce 10 août pour­rait exa­cer­ber les pro­fondes diver­gences entre ses membres et enter­rer le pro­jet d’une force régio­nale significative.

On avait sou­li­gné ici(12) il y a un an, le carac­tère inédit et sur­réa­liste d’un pro­jet de « Force anti-Putsch » annon­cé en fan­fare par le pré­sident
en exer­cice de la CEDEAO à l’occasion de la visite de Macron en Afrique de l’Ouest. « Cette enti­té va per­mettre à tout le monde de com­prendre que nous sommes au XXIe siècle et qu’il est inad­mis­sible et inac­cep­table de faire des coups d’État », avait-il décla­ré. Le vibrion­nant pré­sident fran­çais avait alors hasar­dé que « c’est un ins­tru­ment extrê­me­ment effi­cace pour lut­ter contre les désta­bi­li­sa­tions qu’on a vu flé­chir dans la région où des groupes mili­taires ont exploi­té, par­fois, l’affaiblissement de l’État pour prendre le pou­voir. Voilà ce qui est atten­du de la CEDEAO. » Des paroles sans suite faute de per­ti­nence et de réa­lisme, qui font sen­sa­tion dans les médias mais n’impressionnent per­sonne sur le terrain.

Le magnat de l’automobile Henri Ford disait « Ne cher­chez pas la faute, cher­chez le remède », voyant dans l’échec une oppor­tu­ni­té pour recom­men­cer plus intel­li­gem­ment. Les diri­geants afri­cains et leurs sou­tiens étran­gers feraient bien, au contraire, de s’intéresser
enfin aux fautes et aux causes, car les Printemps afri­cains avancent(13).

Jean-Michel Lavoizard

  1. Coup d’État au Niger : le pays ferme son espace aérien « face à la menace d’in­ter­ven­tion qui se précise »
  2. Élections sous forte ten­sion en Afrique : la dés­illu­sion démocratique
  3. Transition poli­tique au Mali : des forces inégales et oppo­sées sont à l’œuvre
  4. Renversement de pou­voir en Guinée, un nou­vel épi­sode des Printemps africains
  5. Tournées fran­çaise et russe en Afrique, un bal­let peu diplo­ma­tique aux enjeux stratégiques
  6. Réquisitoire malien contre les auto­ri­tés fran­çaises : l’effet boo­me­rang d’une poli­tique d’ingérence
  7. Implosion poli­tique du G5 Sahel, explo­sion colé­rique contre la France : la faute à Wagner ?
  8. À Abidjan, Catherine Colonna dénonce le sen­ti­ment anti­fran­çais en Afrique. Et en France ?
  9. Afrique : l’impératif caté­go­rique, une méthode de gou­ver­nance auto­ri­ta­riste qui progresse
  10. Sommet entre la France et l’Afrique, une nou­velle charge auto­des­truc­trice de la France
  11. Au 18e som­met de la Francophonie, une fois de plus, la France se renie
  12. Projet de force anti-putsch en Afrique : une avan­cée démocratique ?
  13. Putsch au Burkina Faso : au-delà du rejet de la France, les prin­temps afri­cains avancent

Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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Jean-Michel Lavoizard

2 Commentaires 

  1. Ce dra­peau à « croix gam­mée » est lamen­table ! Décidément sans Hitler, on n’au­rait rien de sérieux à dire d’autre que ces rac­cour­cis imbé­ciles tota­le­ment hors contexte his­to­rique ? Un Hitler au Pouvoir en France aurait donc per­mis l’ins­tal­la­tion de vingt mil­lions d’ex­tra-euro­péens (à la louche) ou encore le wokisme ? La pro­pa­gande LGBTQ+ ? Le mariage pour tous (homos mâles ou femelles), etc etc… J’en doute ! Il serait temps d’ar­rê­ter les conne­ries avec la *reduc­tio ad hithe­rum* et le fas­cisme à toutes les sauces les plus vaseuses. Voir des cri­mi­nels abru­tis en Ukraine por­ter des tatouages « nazis » ne signi­fie pas le retour du « nazisme » en Europe, juste des idiots utiles au ser­vice des US. Mais plus sérieu­se­ment de com­prendre que le pro­cès de Nuremberg a condam­né nos vel­léi­tés de res­ter *maîtres chez nous*. Pas besoin d’être « néo-nazi » pour être « indé­pen­dan­tiste » fran­çais. Mais comme tout oppo­sant au régime est un nazi qui s’i­gnore, la dis­cus­sion est interdite.

    « La condam­na­tion du par­ti natio­­nal-socia­­liste va beau­coup plus loin qu’elle n’en a l’air. Elle atteint, en réa­li­té, toutes les formes solides, toutes les formes géo­lo­giques de la vie poli­tique. Toute nation, tout par­ti qui se sou­viennent du sol, de la tra­di­tion, du métier, de la race sont sus­pects.
    Quiconque se réclame du pre­mier occu­pant et atteste des choses aus­si évi­dentes que la pro­prié­té de la cité, offense une morale uni­ver­selle qui nie le droit des peuples à rédi­ger leurs lois.
    Ce n’est pas les Allemands seule­ment, c’est nous tous qui sommes dépos­sé­dés. Nul n’a plus le droit de s’as­soir dans son champ et de dire : « Cette terre est à moi ». Nul n’a plus le droit de se lever dans la cité et de dire : « Nous sommes les anciens, nous avons bâti les mai­sons de cette ville, que celui qui ne veut pas obéir aux lois sorte de chez moi
     ». Maurice Bardèche (Nuremberg ou la terre pro­mise – 1948)

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  2. Et bien voi­là, on y arrive : la démons­tra­tion de l’in­com­pé­tence totale, et de l’ar­ro­gance du micron qui nous dirige (rap­pe­lez vous le coup « de la clim » en 2017 envers un Président afri­cain ami). Nous allons être sor­tis de ce grand conti­nent, seuls les Russes et Chinois (Américains peut-être pour un temps ?) y tire­ront les mar­rons du feu.

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