Réquisitoire malien contre les autorités françaises : l’effet boomerang d’une politique d’ingérence

par | 27 sep­tembre 2022 | 5 Commentaires 

Ce 24 sep­tembre, le Premier ministre par inté­rim du Mali, Abdoulaye Maïga, a pro­non­cé un dis­cours mar­quant au siège des Nations Unies, dénon­çant la triple ingé­rence dans ses affaires inté­rieures par l’ONU, par l’État fran­çais et par la Communauté éco­no­mique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). « Le Secrétaire géné­ral des Nations unies n’est pas un chef d’État, ni les membres de la CEDEAO des fonc­tion­naires », a‑t-il rap­pe­lé [vidéo ci-dessous].

Pour rap­pel, le 18 août 2020, un groupe de mili­taires diri­gé par le colo­nel Assimi Goïta, actuel chef de l’État et pré­sident du gou­ver­ne­ment de tran­si­tion, avait mis fin à sept ans de cor­rup­tion et de népo­tisme ins­ti­tu­tion­na­li­sés du régime d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Avec un sou­tien mas­sif de la popu­la­tion malienne, mais sans pré­avis ni « auto­ri­sa­tion » de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale.

Le réqui­si­toire est vigou­reux : « Les auto­ri­tés fran­çaises, pro­fon­dé­ment anti­fran­çaises pour avoir renié les valeurs morales uni­ver­selles et tra­hi le lourd héri­tage huma­niste des phi­lo­sophes des Lumières, se sont trans­for­mées en une junte au ser­vice de l’obs­cu­ran­tisme », lance Abdoulaye Maïga. Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étran­gères fran­çais, a répon­du, sur un ton peu assu­ré, par les habi­tuels élé­ments de lan­gage. « Le régime [malien], auteur d’un double coup d’État, s’en prend un jour au Danemark, un autre jour à la Côte d’Ivoire, et tou­jours à la France, réplique la ministre. Pour ten­ter de faire oublier qu’il navigue à vue, d’échec en échec, atte­lé à un groupe de mer­ce­naires russes. Pourtant, en jan­vier 2013, c’est bien la France, par son inter­ven­tion, qui a per­mis que Bamako ne connaisse pas le sort de Mossoul un an plus tard. »

Toutes pro­por­tions gar­dées, puisqu’il est ques­tion du groupe russe Wagner, les pres­sions et les sanc­tions exer­cées à l’encontre du Mali évoquent celles, contre-pro­duc­tives, exer­cées contre la Russie depuis six mois. La même guerre de l’information s’y déroule, qui a valu à des médias fran­çais sub­ven­tion­nés (France 24, RFI) d’être expul­sés du Mali, en mars der­nier, accu­sés d’a­voir exa­gé­ré­ment ser­vi le dis­cours poli­tique hos­tile au régime de transition.

Le Mali a un atout face à la France : il agit en tant que sou­ve­rain dans son pays, alors que la France inter­vient depuis l’étranger comme redres­seur de torts. Certes, l’échéance élec­to­rale au Mali, ini­tia­le­ment fixée à début 2022, a été repor­tée à mars 2024. Elle était irréa­liste au vu de la com­plexi­té socio-poli­tique du Mali et elle a été for­te­ment gênée par les pres­sions et les sanc­tions étran­gères. Car le péché ori­gi­nel de ce pou­voir res­te­ra tou­jours de s’être affran­chi du consen­te­ment de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, dont la posi­tion consiste habi­tuel­le­ment à pri­vi­lé­gier « à tout prix » la sta­bi­li­té, quitte à sou­te­nir des diri­geants nui­sibles mais obéissants.

Or, les popu­la­tions afri­caines n’aspirent pas à la sta­bi­li­té quand celle-ci signi­fie l’immobilité sociale et l’accaparement, par une mino­ri­té, des richesses du pays au détri­ment de son déve­lop­pe­ment. La paix n’est pas l’absence de guerre, et le fos­sé entre les « élites » et les popu­la­tions ne cesse de s’aggraver. Elles attendent de leurs diri­geants qu’ils redis­tri­buent une part décente des res­sources natio­nales et des aides inter­na­tio­nales (« après détour­ne­ments », comme on dirait « après impôts ») et qu’ils leur assurent un coût de la vie sup­por­table, l’accès à des soins médi­caux et à une édu­ca­tion dignes de ce nom, sec­teurs sinis­trés en Afrique quoique per­fu­sés d’argent international.

L’État fran­çais n’est ni cré­dible, ni audible, en Afrique. Il se com­porte en don­neur de leçons de démo­cra­tie et de sou­ve­rai­ne­té natio­nale. Pour preuve, le dis­cours du Président Macron, le 20 sep­tembre der­nier, à l’ONU, lors d’un appel vibrant et schi­zo­phrène « au res­pect des sou­ve­rai­ne­tés natio­nales », alors qu’il brade conti­nû­ment celle du pays dont il a la charge, au pro­fit d’une Europe ali­gnée sans réserve sur les États-Unis.

Dans ces condi­tions, on peut dou­ter de la capa­ci­té à étouf­fer les révoltes popu­laires de la future « force anti-putsch »(1) annon­cée récem­ment par le pré­sident en exer­cice de la CEDEAO, pro­jet exo­tique et inédit, sou­te­nu poli­ti­que­ment par Macron – et finan­ciè­re­ment par la France.

Jean-Michel Lavoizard

(1) Lire : Projet de force anti-putsch en Afrique : une avan­cée démo­cra­tique ? du 4 août 2022

Addendum de Jean-Michel Lavoizard :

Je pré­cise que ma cri­tique construc­tive de la poli­tique afri­caine de l’État fran­çais actuel, alors que je reste pro­fon­dé­ment atta­ché à la France, à sa civi­li­sa­tion, à sa culture et à son his­toire, ne rejoint en rien les pro­pos vis­cé­ra­le­ment anti-fran­çais de cette per­sonne, moti­vés par des rai­sons per­son­nelles qui ne concernent et n’intéressent qu’elle. Je ne recom­mande à per­sonne de consul­ter ses dis­cours aux­quels je ne m’associe pas du tout, ni sur le fond ni sur la forme.


Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

Les articles du même auteur

Jean-Michel Lavoizard

5 Commentaires 

  1. Vivement que ces peuples goûtent à l’humanisme et à la démo­cra­tie russes et chi­noises, ils auront en exemple : l’Algérie riche en pétrole mais pour­rie par le fond communiste.

    Répondre
  2. Pour qui ai vécu en Afrique vous dirai que pour les diri­geants de ces pays, c’est moi d’a­bord, ma famille, ma tri­bu et le reste du pays… qu’il se débrouille avec l’aide des ONG.

    Répondre
  3. TOUS LES PEUPLES DE CETTE TERRE N’ASPIRENT QU’À UNE CHOSE : VIVRE EN PAIX ! BORDEL

    Répondre
  4. J’aimerais qu’on m’ex­plique c’est qui exac­te­ment « la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » dont on nous rabat conti­nuel­le­ment les oreilles !!???

    Répondre
  5. A vision­ner sur pro­fes­sion gen­darme : » Best of news Afrique Géopolitique » , du 11 mars 2022, Nathalie Yamb. source rumble.

    Répondre

Envoyer le commentaire

Votre adresse e‑mail ne sera pas publiée. Les champs obli­ga­toires sont indi­qués avec *

Je sou­haite être notifié(e) par mes­sa­ge­rie des nou­veaux com­men­taires publiés sur cet article.