Au Niger, la France est le dindon d’une farce géopolitique

par | 9 décembre 2023 | 2 Commentaires 

À l’approche des fes­ti­vi­tés de fin d’année, la France rem­porte le prix géo­po­li­tique du « din­don de la farce ». En effet, les médias publics rap­portent aujourd’hui que les États-Unis ren­forcent leur rela­tion avec la junte qui a ren­ver­sé, le 26 juillet der­nier, le Président du Niger alors en exer­cice, Mohamed Bazoum.

La chaine publique Radio France Internationale(1) (RFI) sou­ligne laco­ni­que­ment l’apparente contra­dic­tion selon laquelle « Malgré leur condam­na­tion du coup d’État per­pé­tré fin juillet, les Américains avaient envoyé une diplo­mate en poste à Niamey. Kathleen FitzGibbon était arri­vée dans le pays mi-août. […] Samedi 2 décembre, elle a fran­chi une nou­velle étape en remet­tant les copies figu­rées de ses lettres de créance aux auto­ri­tés. Un geste appré­cié par la junte. » Faut-il être aveugle, incom­pé­tent ou de mau­vaise foi, ou les trois, pour s’étonner de l’évolution d’une situa­tion si mal gérée par la France, lar­ge­ment res­pon­sable de ses causes et de ses conséquences ?

En sep­tembre 2022, dans cette tri­bune(2), alors que le Premier Ministre par inté­rim du Mali, lors d’un dis­cours mar­quant au siège des Nations Unies, avait reto­qué pour son ingé­rence le Ministre des Affaires étran­gères fran­çais, nous avions consta­té que le Mali a un atout face à la France : il agit en tant que sou­ve­rain dans son pays, alors que la France inter­vient depuis l’étranger comme redres­seur de torts. Que les popu­la­tions afri­caines n’aspirent pas à la sta­bi­li­té quand celle-ci n’est qu’immobilisme social et acca­pa­re­ment, par une mino­ri­té pro­té­gée, des richesses du pays au détri­ment de son déve­lop­pe­ment. La paix n’est pas l’absence de guerre, et le fos­sé entre les « élites » et les popu­la­tions ne ces­sait de s’aggraver. Celles-ci attendent de leurs diri­geants qu’ils redis­tri­buent une part décente des res­sources natio­nales et des aides inter­na­tio­nales (« après détour­ne­ments », comme on dirait « après impôts ») et qu’ils leur assurent un coût de la vie sup­por­table, l’accès à des soins médi­caux et à une édu­ca­tion dignes de ce nom, sec­teurs sinis­trés en Afrique quoique per­fu­sés d’argent international.

Le mois sui­vant, au len­de­main d’un putsch au Burkina Faso, nous avions témoi­gné ici(3) que, vu d’Afrique, on assiste à l’enchainement iné­luc­table de « prin­temps afri­cains » qui se suc­cèdent depuis une décen­nie dans les pays fran­co­phones, sou­lè­ve­ments popu­laires dont les causes (mau­vaise gou­ver­nance, déses­pé­rance, ingé­rences) et leurs consé­quences (insé­cu­ri­té, pré­ca­ri­té, révoltes) sont évi­dentes. Aucun pays n’était désor­mais à l’abri. Et que le rejet de la France n’est pas la cause pro­fonde de ces « évé­ne­ments », mais le cata­ly­seur d’une immense frus­tra­tion et d’une sourde colère envers des diri­geants défaillants et pré­da­teurs sou­te­nus par elle, ou per­çus comme tels. Ce serait d’ailleurs exa­gé­rer l’importance, décrois­sante, et l’influence, décli­nante, de la France comme puis­sance poli­tique et économique.

Dès le len­de­main de la prise de pou­voir au Niger par les put­schistes, le 26 juillet der­nier, nous avions anti­ci­pé avec rai­son que « l’ultime ulti­ma­tum » de la France(4) aux put­schistes ne serait pas sui­vi d’effet. Lâchée par ses alliés afri­cains, pour­tant pre­miers inté­res­sés, son bluff sans suite faute de volon­té ni de moyens, n’a fait que la dis­cré­di­ter un peu plus sur la scène inter­na­tio­nale. Le psy­cho­drame affli­geant qui a sui­vi l’entêtement de l’État fran­çais, où la diplo­ma­tie de long terme a été sacri­fiée à une poli­tique étran­gère(5) fébrile et contre­pro­duc­tive, s’est ache­vé avec l’expulsion humi­liante, dans des condi­tions impo­sées, des troupes fran­çaises, sous pro­tec­tion pré­ven­tive, depuis Abidjan, du pres­ti­gieux 2e Régiment Étranger de Parachutistes (2e REP). Quarante ans après la bataille de Kolwezi, la pilule est amère et cette retraite fran­çaise par aban­don poli­tique lais­se­ra des traces dou­lou­reuses dans l’armée.

Ainsi, la France est le din­don d’une mau­vaise farce géo­po­li­tique, lâchée par ses alliés afri­cains et ber­née par les États-Unis, son pire allié en Afrique. La leçon de Dien Bien Phu a été oubliée. L’œuvre macro­nienne de décons­truc­tion de la France sur son sol, et de déclas­se­ment à l’extérieur par des élites hors-sol, est En Marche for­cée. Comme ailleurs, le Niger n’est plus qu’un ter­rain d’affrontement indi­rect entre trois puis­sances inter­na­tio­nales : les États-Unis domi­nants, la Chine omni­pré­sente et la Russie, déjà pré­sente et conquérante.

Jean-Michel Lavoizard

Les États-Unis main­tiennent leurs rela­tions diplo­ma­tiques avec le Niger [source]

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Réquisitoire malien contre les auto­ri­tés fran­çaises : l’effet boo­me­rang d’une poli­tique d’ingérence [source]

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Putsch au Burkina Faso : au-delà du rejet de la France, les prin­temps afri­cains avancent [source]

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Au Niger, le rejet de l’ultimatum aux put­schistes est un nou­vel affront à la France [source]
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Au Niger, la diplo­ma­tie est sacri­fiée à la poli­tique étran­gère [source]

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Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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Jean-Michel Lavoizard

2 Commentaires 

  1. Nul n’est pro­phète en son pays.

    L’aveuglement de notre classe diri­geante est de la pire espèce qui soit car il résulte de points de vue idéo­lo­giques mille fois affir­més depuis plus de 40 ans. En outre, ces points de vue s’a­dos­saient à un dis­cours mora­li­sa­teur leur don­nant l’ap­pa­rence d’une véri­té indis­cu­table. Dès lors, ces posi­tions ne peuvent plus être des opi­nions, éven­tuel­le­ment amen­dables, mais une sorte de reli­gion que l’on ne peut abju­rer. Dans ces condi­tions, il n’y a pas d’é­vo­lu­tions pos­sibles ni même d’in­flexions. Nos diri­geants et tous les fai­seurs d’o­pi­nions sont pri­son­niers de leur doxa, n’en peuvent chan­ger sauf à se dis­cré­di­ter et à perdre Pouvoir et influence. Peut-être sommes nous proches de ce moment dont on peut craindre que ses consé­quences soient ter­ribles et plongent le pays dans une agi­ta­tion furieuse.

    Par cer­tains aspects (refus de la réa­li­té, incom­pé­tence de la classe diri­geante, mécon­nais­sance de l’o­pi­nion des Français), cette situa­tion res­semble à celle de 1789. Sans par­ler de la situa­tion bud­gé­taire qua­si­ment inso­luble aujourd’­hui comme hier.

    Comme vous le voyez, je plonge dans le pessimisme.

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  2. Je ne suis pas fran­çais mais j’apprécie que l’on aime son pays. Et je sens beau­coup d’amour dans ces écrits.
    Espérons que les élites fran­çaises se réveillent et com­prennent l’intérêt de rede­ve­nir la puis­sance afri­caine qu’elle fut antan. Ce sera bon pour les Africains, meilleur en tout cas que de se faire dépe­cer par des Chinois ou plu­mer par des Américains.

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