Au Niger, la diplomatie est sacrifiée à la politique étrangère

par | 5 sep­tembre 2023 | 6 Commentaires 

Le tor­chon brûle(1) entre l’État fran­çais et le régime nigé­rien en place depuis le 26 juillet der­nier. À dis­tin­guer des rési­dents fran­çais, non visés personnellement.

On sait les argu­ments juri­diques tou­jours inter­pré­tables, tant le droit inter­na­tio­nal n’est pas une science exacte mais à géo­mé­trie variable. C’est ce qu’illustre le rap­port de force autour de la recon­nais­sance contes­tée et de la pré­sence refu­sée, à Niamey, de l’ambassadeur de France. Il oppose une affir­ma­tion sou­ve­rai­niste de fait, nigé­rienne, à une poli­tique étran­gère de prin­cipe, française.

La stratégie du bluff, degré zéro de la diplomatie

Comme annon­cé dans cette tri­bune(2), l’injonction adres­sée par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale aux auteurs du putsch a fait pschitt.

Macron-Pschitt

Car le bluff n’est un pro­cé­dé effi­cace de diplo­ma­tie que s’il s’appuie sur une volon­té et des moyens de coer­ci­tion cré­dibles. Or, en Afrique, toute solu­tion aux pro­blèmes les plus graves repose sur une inter­ac­tion humaine conti­nue et nor­mée, mise en scène par des acteurs accep­tés (pactes, média­tions, alliances, etc.)(3).

C’est le sens his­to­rique des lettres de créance, cré­dits de confiance accor­dés à des diplo­mates – qui ne sont pas de simples boites aux lettres – jugés aptes, par leur expé­rience et leur per­son­na­li­té, leurs connais­sances et leurs qua­li­tés, à main­te­nir un canal de dis­cus­sion quel que soit le degré de tension.

Or, cette tra­di­tion fran­çaise ancienne de la diplo­ma­tie est remise en cause. Généralisée et nor­ma­li­sée au XVIIe siècle sous l’influence de l’émissaire François de Callières, elle visait à gérer l’augmentation du volume et l’accélération du rythme des rela­tions entre les nations. Davantage connu et ensei­gné à l’étranger qu’en France, son ouvrage de réfé­rence De la manière de négo­cier avec les sou­ve­rains(4), d’une grande actua­li­té, mise moins sur des tech­niques que sur des qua­li­tés humaines (expé­rience, culture, humi­li­té, savoir-vivre, écoute, per­sua­sion, civi­li­té). Cette tra­di­tion est mena­cée par la poli­ti­sa­tion à l’extrême.

Le « déni de réa­li­té » des élites fran­çaises est déci­dé­ment l’un des maux fran­çais qui coûte le plus cher à la France.

Pour tromper l’adversaire, encore faut-il ne pas se tromper sur soi-même

Il y a cent ans, à la veille du déclen­che­ment de la pre­mière guerre mon­diale qui a mar­qué un tour­nant majeur dans l’ordre du monde moderne, l’un des intel­lec­tuels les plus vision­naires du XXe siècle s’adressait ain­si aux poli­ti­ciens gau­chistes et idéo­logues paci­fistes : « Vous nous affir­mez que l’âme des chan­cel­le­ries contem­po­raines, sur­tout alle­mandes, est le bluff , − et vous ne sen­tez pas que vous aus­si bluf­fez, pour par­ler votre langue, et que votre bluff obli­ge­ra votre par­te­naire à des bluffs redou­blés. C’est à quoi il vous fau­dra bien peut-être répondre. » (Charles Maurras, Kiel et Tanger, 1914)(5).

C’est un peu comme ces rêves pénibles où l’on ne par­vient pas à réa­li­ser une tâche simple, urgente et néces­saire, comme englué dans une forme irré­sis­tible d’impuissance alors qu’on contri­bue à sa propre perte sans résoudre le pro­blème des autres, aggra­vant le pro­blème au lieu de contri­buer à sa solu­tion. Cette fuite en avant poli­tique sui­ci­daire, pénible et lan­ci­nante, évoque le poème d’Aragon « Le vaste monde » :

Où faut-il qu’on aille
Pour chan­ger de paille
Si l’on est le feu
À moins qu’il ne faille
Si l’on est la paille
Fuir avec le feu
La paille est si tendre
Mais vou­loir l’é­tendre Étendra le feu
Qu’on tente d’é­treindre
Or il faut l’éteindre

Le feu de paille politique a supplanté le temps long diplomatique

En effet, une poli­tique étran­gère fébrile a pris le relais. Le logi­ciel macro­nien de décons­truc­tion, algo­rithme tech­no­cra­tique, casse un code de plus, celui de la diplo­ma­tie tra­di­tion­nelle fon­dée sur des rela­tions humaines de qua­li­té. Suite logique de la sup­pres­sion du Corps diplo­ma­tique en avril 2022(6), il per­met désor­mais de nom­mer n’importe quel haut fonc­tion­naire selon l’envie du moment et l’air du temps – aujourd’hui le let­tré anti natio­nal Pap Ndiaye(7) ; demain, une acti­viste blo­gueuse pro­pul­sée à un rang minis­té­riel. « Il faut être fiers d’être des ama­teurs »(8), aime flat­ter Macron…

Pour autant, la poli­tique étran­gère de la France, per­çue en Afrique comme confuse et intru­sive tout en étant maso­chiste et impuis­sante, ne mai­tri­se­ra ni ne faci­li­te­ra pas les tran­si­tions poli­tiques en Afrique fran­co­phone. Elle ne ser­vi­ra pas non plus les inté­rêts de la France. Incohérente et irra­tion­nelle (les moyens concrets ne per­mettent pas de réa­li­ser les fins annon­cées), elle pré­tend décons­truire les socié­tés tra­di­tion­nelles en condi­tion­nant une aide finan­cière décrois­sante à leur ali­gne­ment sur la poli­tique étran­gère des États-Unis, dont elle est deve­nue le porte-dra­peau euro­péen, et aux idéo­lo­gies pro­gres­sistes cali­for­niennes que rejettent les popu­la­tions afri­caines conservatrices.

Un diplo­mate afri­ca­niste che­vron­né sou­ligne en pri­vé, que « le fait de décla­rer un ambas­sa­deur per­so­na non gra­ta, comme au Mali ou au Burkina, est une option qui sauve à tous la face, en ce qu’elle per­met de mettre sur le compte d’une per­sonne des dif­fi­cul­tés qui sont en réa­li­té celles des États. » Ici, le gou­ver­ne­ment auto­pro­cla­mé nigé­rien n’a pas fait réfé­rence à l’article 9 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les rela­tions diplo­ma­tiques(9). Il ne fait que réagir au refus de l’ambassadeur de France, ordon­né par Paris, de répondre à une convo­ca­tion du nou­veau régime en invo­quant son illé­gi­ti­mi­té, ce qui inter­rompt la com­mu­ni­ca­tion. Dans la culture locale, ce refus est consi­dé­ré comme une offense grave et injustifiée.

Pour sau­ver les appa­rences sinon la face, il ne reste à la France qu’à recon­naitre de fait, comme inter­lo­cu­teur valable, le nou­veau régime du Niger lar­ge­ment plé­bis­ci­té par sa popu­la­tion. Comme elle le fait ailleurs et depuis long­temps avec des inter­lo­cu­teurs peu conformes aux stan­dards droits-de‑l’hommistes dont elle se pare. Sous peine de graves inci­dents spon­ta­nés ou orches­trés, et d’une expul­sion du per­son­nel diplo­ma­tique et mili­taire. Les pays afri­cains peuvent plus faci­le­ment se pas­ser de la France, que l’inverse. En atten­dant, l’ambassadeur pri­vé de visa pour rai­son poli­tique, peut vivre et tra­vailler quelque temps avec ses réserves dans les locaux de l’ambassade de France encore pro­té­gée par l’immunité… diplomatique.

Jean-Michel Lavoizard

Charles Maurras - Kiel et Tanger

Q

Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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Jean-Michel Lavoizard

[NDLR] Notre illus­tra­tion à la une : le Quai d’Orsay

6 Commentaires 

  1. A Pastorelli :
    Bah ! le Gay d’Orsay fuit, evite de rendre des comptes aux Françaises et aux Français ! Il fuit même la « consul­ta­tion » des élus de la Nation. Je ne suis pas un spé­cia­liste (dans ce contexte de sous-infor­­ma­­tion) il n’est pas dif­fi­cile de VOIR et CONSTATER que la volon­té que pour­rait expri­mer le Peuple à la base serait éloi­gnée et très com­pro­mise, que de nom­breuses bar­rières ont été mises en place pour tenir la popu­lasse et la repré­sen­ta­tion natio­nale très éloi­gnées des prises de déci­sions politiques/​sociales les concer­nant !
    Au fait c’est quand les pro­chaines élec­tions…?
    Les oppor­tu­nistes politicards(es) vou­draient un réfé­ren­dum por­tant sur l’im­mi­gra­tion ! Très oppor­tun, n’est-ce pas !!! Le débat est enga­gé… Que deviennent les inté­rêts de la France ????? Bof, les inté­rêts des arri­vistes D’ABORD !!!!

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  2. Encore une ana­lyse per­ti­nente de Jean-Michel Lavoizard qui nous démontre, avec sa connais­sance pro­fonde de l’Afrique, qu’une fois de plus (une fois de trop ?) ce gou­ver­ne­ment de paco­tille et tous ses sup­plé­tifs uni­que­ment assoif­fés de Pouvoir et d’argent sont à côté de la plaque.
    Ce ne serait pas grave si cela n’en­ga­geait qu’eux !
    Mais il (ils) nous emporte(nt) dans sa(leur) chute.
    Certains ont com­pris depuis peu et com­mencent à le dire. Ils écoutent enfin ceux qui le disent depuis long­temps.
    La France aura quit­té L’AFRIQUE À TRÈS COURT TERME.
    Il ne s’a­git pas de se réjouir ou d’en pleu­rer, il s’a­git d’être prag­ma­tique et de pro­fi­ter de ce temps qui nous sera don­né pour REFONDER une autre rela­tion.
    Entre temps nos amis Africains auront appris le Russe et le Chinois !
    C’est notre faute, UNIQUEMENT la nôtre !
    Cela c’est joué sur les 10 der­nières années.
    Le temps est venu, la Françafrique n’est plus.
    La France peut se débar­ras­ser du car­can des réseaux, de la culpa­bi­li­té mal­saine entre­te­nue par les pro­fi­teurs et de cet insup­por­table pater­na­lisme don­neur de leçons envers une Afrique qu’elle ne com­prend plus.
    Bienvenue à la créa­tion de rela­tions saines et éclai­rées de pied à pied, d’é­gal à égal où un deal est un deal et les leviers qui créent les com­pro­mis existent réel­le­ment (pour les par­ties enga­gées).
    En com­men­çant par un mes­sage clair :
    L’Afrique ! Tu ne nous veux plus chez toi ?
    Nous par­tons ! et avons doré­na­vant la liber­té de te dire que nous ne te vou­lons plus chez nous !
    Ce qui éta­bli­ra nos rela­tions futures seront des fon­de­ments plus clairs et équi­tables pour tous.
    Vivement demain !

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    • Tout à fait d’accord avec Mandrake !
      J’ajoute que le Maghreb fait par­tie de l’Afrique.
      A ce titre SUPPRESSION IMMÉDIATE DE L’ACCORD DE MARRAKECH qui nous oblige à accueillir plus de Maghrébins tous les ans.

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    • Oui, vous avez rai­son ! Vous écri­vez : « En com­men­çant par un mes­sage clair :
      L’Afrique ! Tu ne nous veux plus chez toi ?
      Nous par­tons ! et avons doré­na­vant la liber­té de te dire que nous ne te vou­lons plus chez nous !

      Ce qui éta­bli­ra nos rela­tions futures seront des fon­de­ments plus clairs et équi­tables pour tous. »
      Mais c’est évident ! Comment les Africains peuvent-ils conti­nuer à vivre en France puis­qu’ils n’en veulent plus ?
      Les « migrants » — comme leur nom l’in­dique du reste fort bien — doivent doré­na­vant MIGRER en Russie ou en Chine. Ils s’y sen­ti­ront mieux, n’est-ce pas !

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  3. Malheur au pays dont le Prince est un enfant.…

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  4. Cela ne s’ap­pelle plus le « Quai d’Orsay », mais le « Gay d’Orsay »

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