Putsch au Burkina Faso : au-delà du rejet de la France, les printemps africains avancent

par | 14 octobre 2022 | 4 Commentaires 

Jean-Michel Lavoizard conti­nue de nous éclai­rer sur le conti­nent afri­cain qu’il connait par­ti­cu­liè­re­ment bien :

Ce 30 sep­tembre, le capi­taine bur­ki­na­bé Ibrahim Traoré a pris de force le pou­voir pré­si­den­tiel occu­pé depuis neuf mois par le lieu­te­nant-colo­nel Paul-Henri Damiba. Ce putsch, peu san­glant, a été accom­pa­gné de scènes de liesse popu­laire et de pillage par des cen­taines de jeunes civils sans armes à feu, dont cer­tains ont sac­ca­gé rageu­se­ment des locaux emblé­ma­tiques fran­çais, consu­laires et cultu­rels.

Le fait déclen­cheur a été, trois jours aupa­ra­vant, le pillage et la des­truc­tion, par des groupes armés ter­ro­ristes, d’un convoi, pour­tant escor­té par l’armée dans une zone contrô­lée par des isla­mistes, d’une cen­taine de poids lourds en route vers le nord du pays. L’attaque a cau­sé une cin­quan­taine de vic­times et une grave pénu­rie de ravi­taille­ment, fra­gi­li­sant un peu plus les popu­la­tions rurales.

Vu d’Afrique, on assiste à l’enchainement iné­luc­table de « prin­temps afri­cains » qui se suc­cèdent depuis une décen­nie dans les pays fran­co­phones, sou­lè­ve­ments popu­laires dont les causes (mau­vaise gou­ver­nance, déses­pé­rance, ingé­rences) et leurs consé­quences (insé­cu­ri­té, pré­ca­ri­té, révoltes) sont évi­dentes. Aucun pays n’est à l’abri.

Des jour­na­listes fran­çais et affi­liés ont beau jeu de dénon­cer aus­si­tôt une stra­té­gie de désta­bi­li­sa­tion orches­trée par des puis­sances étran­gères concur­rentes, en l’occurrence russe. « C’est la faute à Wagner », comme Gavroche, tom­bé par terre, disait : « C’est la faute à Voltaire ». Le minis­tère de l’Europe et des Affaires étran­gères, prin­cipe de pré­cau­tion oblige dans une guerre inter­na­tio­nale de l’information qui s’é­tend par pro­cu­ra­tion au conti­nent afri­cain, s’est empres­sé de démen­tir toute impli­ca­tion dans les évé­ne­ments en cours, sans grand effet.

Or, le rejet de la France n’est pas la cause pro­fonde de ces « évé­ne­ments » mais le cata­ly­seur d’une immense frus­tra­tion et d’une sourde colère envers des diri­geants défaillants et pré­da­teurs sou­te­nus par la France, ou per­çus comme tels. Ce serait exa­gé­rer l’importance, décrois­sante, et l’influence, décli­nante, de la France comme puis­sance poli­tique et éco­no­mique. Celle-ci ne brille plus guère que dans les col­loques mon­dains inter­na­tio­naux et dans des « som­mets Afrique-France » auto­fla­gel­la­teurs dont les acteurs sont des intel­lec­tuels expa­triés et des cadres boboï­sés, membres déra­ci­nés des dia­spo­ras afri­caines, blo­gueurs com­bat­tants du champ de bataille numé­rique, qui ne repré­sentent qu’eux.

En réa­li­té, les rai­sons pro­fondes de ces séismes sont avant tout endo­gènes. À l’instar du Mali (Ibrahim Keïta ren­ver­sé en août 2020) et de la Guinée-Conakry (Alpha Condé ren­ver­sé en sep­tembre 2021), une rup­ture a eu lieu au Burkina en octobre 2014, quand Blaise Compaoré, homme des puis­sants réseaux afri­cains et fran­ça­fri­cains, a été ren­ver­sé (exfil­tré par la France) par des insur­gés incon­trô­lés par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. Si les deux pré­si­dents sui­vants, indé­pen­dants, ont été ren­ver­sés à leur tour, c’est faute de capa­ci­té à amé­lio­rer la situa­tion. On peut donc s’attendre à ce que les rébel­lions mili­taires et les sou­lè­ve­ments popu­laires se répètent au Burkina et ailleurs tant que la gou­ver­nance publique ne s’améliorera pas ; tant qu’une part décente des res­sources natio­nales ne sera pas équi­ta­ble­ment redis­tri­buée, avec un coût de la vie quo­ti­dienne sup­por­table ; tant que la popu­la­tion n’aura pas accès à une édu­ca­tion et à un sys­tème de san­té de qua­li­té mini­male ; tant que la sécu­ri­té ne sera pas assu­rée face à des groupes armés reli­gieux et cra­pu­leux qui gagnent du terrain.

Une délé­ga­tion de la Communauté éco­no­mique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été dépê­chée, dès ce 3 octobre, à Ouagadougou pour don­ner l’impression qu’elle joue un rôle actif et sta­bi­li­sa­teur, dans un pro­ces­sus qu’elle a ini­tia­le­ment condam­né avant de prendre acte d’une situa­tion qui la dépas­sait. Elle ferait bien de tenir compte de ces attentes légi­times qui relèvent de la gou­ver­nance. Au lieu de dépen­ser du temps et de l’argent à mettre sur pied une force régio­nale anti-putsch dont on peut dou­ter de l’efficacité pré­ven­tive, qui détourne les res­sources néces­saires à la lutte contre l’islamisme conquérant.

L’État fran­çais, quant à lui, bouc émis­saire facile, doit apprendre, s’il veut être res­pec­té, à se com­por­ter en Afrique comme n’importe quel autre pays étran­ger, sans ingé­rence poli­tique ni idéo­lo­gique, à armes égales économiques.


Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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Jean-Michel Lavoizard

4 Commentaires 

  1. Pourquoi tous ces anciens colo­ni­sés qui haïssent la France n’ont qu’un seul objectif :
    venir dans ce pays colo­nia­liste.
    Je n’ai tou­jours pas com­pris pour­quoi leur pays n’a pas chan­gé depuis la colo­ni­sa­tion. Lorsque j’y suis retour­né dans ce pays après 60 ans, la seule dif­fé­rence c’é­tait le por­table pour tout le monde et les motos chinoises.

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    • Bernard,
      Peut-être un élé­ment de réponse pour votre ana­lyse.
      Il se pour­rait qu’en­tre­te­nir cette situa­tion plus que floue pèse dans l’é­qua­tion du béné­fice /​risque !
      En effet, avec une nata­li­té galo­pante, les pays afri­cains ont un inté­rêt à lais­ser ouvert le canal de la migra­tion
      • d’une part pour ali­men­ter la boucle finan­cière du pays consi­dé­ré avec les mil­lions de ver­se­ments envoyés par la « dia­spo­ra » vers un pays dont le niveau de vie est très bas en rap­port du pays occi­den­tal d’ac­cueil, et
      • d’autre part cela per­met l’é­loi­gne­ment des trou­blions et autres délinquants.

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    • La réponse à votre ques­tion est dans le texte : mau­vaise gou­ver­nance, déses­pé­rance sociale, insé­cu­ri­té phy­sique, misère éco­no­mique, mou­roir médi­cal. La France offre gra­cieu­se­ment et sans condi­tion des ser­vices qui n’existent pas chez eux faute de volon­té et non de moyens, tout en étant per­çue comme le sou­tien des régimes afri­cains défaillants. Tant que la France et la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale n’exer­ce­ront pas de pres­sion sur les diri­geants afri­cains par de la condi­tion­na­li­té en amont puis de véri­tables contrôles de l’u­sage de l’argent public sur toutes formes d’aide et de par­te­na­riat, ce qui n’est actuel­le­ment pas le cas pour des rai­sons idéo­lo­giques fal­la­cieuses de res­pect de la sou­ve­rai­ne­té et de non-ingé­­rence dans les affaires inté­rieures des États (le fameux « pas de morale en période de crise », du DG de l’AFD Rémi Rioux), ces diri­geants défaillants et pré­da­teurs conti­nue­ront de dépe­cer leurs pays et de spo­lier leurs popu­la­tions. Mais elles com­mencent à se réveiller et à se révol­ter, sans deman­der la per­mis­sion des tuteurs ins­ti­tu­tion­nels de ces régimes.

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    • En balan­çant les indé­pen­dances sans pré­pa­ra­tion empa­thique aux pays afri­cains, les mon­dia­listes ont ren­for­cé leur puis­sance d’ex­ploi­ta­tion en ins­tau­rant plus de misère. Je suis fils de colons, j’ai pu res­ter jus­qu’en 88, et suis heu­reux que le peuple afri­cain se réveille plus rapi­de­ment et for­te­ment que les endor­mis occi­den­taux, et cela grâce à la fra­ter­ni­té soli­daire que j’ai la joie et la fra­ter­ni­té d’a­voir contrac­tée pen­dant 34 ans à leur contact. Salutations à mes frères de cœur et de dignité.

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