La Chine, victime d’un « occident de parcours »
Au cœur de la Chine véritable
Depuis l’épidémie de Wu-Han, le rôle de la Chine est une constante de l’actualité. Le monde s’interroge sur ses responsabilités à l’origine du virus et sur la vigoureuse réactivité sanitaire dont ses dirigeants firent preuve, mais aussi sur sa place grandissante dans l’économie mondiale, ses ambitions spatiales (d’abord la Lune avec le robot Lapin de Jade et maintenant un engin aux approches de Mars), sa compétitivité face à l’Amérique ou, comme le prétendent certains analystes, sa connivence avec l’intelligentsia et les milieux politico-financiers de la côte Est des U.S.A.. Mais, en définitive, cette Chine du XXIe siècle qui, sous des copies de Manhattan, escamote les toits de tuiles garances de son passé multimillénaire n’a plus rien à envier à l’Occident. Il y a quarante ans, déjà, Philippe Lavastine(1), lors de l’une de ses conférences magistrales dans laquelle il déplorait que la Chine et, in fine, tout l’Orient, se soient occidentalisés par le capitalisme et le marxisme, lança un inoubliable jeu de mot : « C’est vraiment malheureux, l’Empire du Milieu a été victime d’un Occident de parcours ». La « Longue Marche », au terme de laquelle Mao Tze Toung s’empara de la Chine, est remplacée par une autre marche forcée, celle conduisant à la convergence du communisme et du capitalisme, doctrines issues de l’Europe et des U.S.A. Quelle sinistre ironie !
Si l’on veut vraiment comprendre quel abime sépare les Chinois d’aujourd’hui – tiraillés entre les reliquats toujours toxiques du maoïsme et les impératifs sans âme de l’économie de marché – de ce qui fut à l’origine de l’Empire du Milieu, il suffit d’expliciter son mythe fondateur.
Il y a bien longtemps, alors qu’un sage, nommé Fo-Hi, méditait sur un rivage, une énorme tortue sortit de l’eau.
L’animal portait sur son dos le symbole du Yin-Yang entouré des trigrammes disposés en octogone. Cette simple image était constitutive de tout l’ « Empire du Milieu ». Voyons pourquoi.
1- La tortue, ventre carré et dos formant un dôme, symbolise le passage de la terre au ciel (en l’occurrence, boréal, avec pour centre l’étoile polaire). Le compagnonnage parlerait de l’équerre et du compas qu’anthropomorphise l’ « homme double » de Léonard de Vinci puisque le carré figure la terre (le monde matériel) et le cercle la totalité spirituelle d’un être :
Redisons, ici, combien la pièce italienne de 1 euro portant cette figure pourrait apparaître comme « à rebours » du présent monde car elle nous restitue un schéma essentiel amenant à comprendre que, selon une parole bien connue, « on ne vit pas que de pain » (Saint Luc, IV, 4) et que les nourritures spirituelles sont aussi nécessaires que celles sustentant le corps.
Un même symbolisme se retrouve en Orient comme en Europe. Sans doute l’une des preuves qu’en des temps lointains, une source commune irriguait des civilisations différentes. Mais, gardons-nous d’oublier, comme le prouve les découvertes archéologiques du Sin-Kiang en 1978, qu’un rameau indo-européen, les Tokharoï, a joué un rôle majeur dans la fondation de la Chine
2- Pour les Chinois, la tortue symbolise le Nord. Ce qui signifie que le passage de l’état terrestre à celui céleste s’opère en fonction de cette direction de l’espace. En outre, le dos – le dôme – de la tortue opère la synthèse du ciel boréal et de la Montagne sacrée, autrement dit le Pôle. Par conséquent la suprême connaissance, symbolisée par les 9 figures (les 8 trigrammes et le Yin-Yang), vient du Pôle. Ce qui rejoint bien d’autres traditions (celles de l’Inde, de la Perse, de l’Égypte, de la Grèce, des Celtes et des Germains(2), etc.)
Une illustration des plus parlantes car montrant le sage Fo-Hi émergeant d’une montagne, symbole polaire s’il en est. Il vient de tracer les trigrammes. On peut dire que la sagesse qu’il représente l’ « incorpore » au Pôle. La végétation émanant des trigrammes nous énonce que ces signes amènent la fécondité (de la terre et de l’esprit).
3- Le Yin-Yang confère la connaissance de l’équilibre sur lequel repose l’univers. Autour, disposés en octogone, les trigrammes, associés deux par deux, vont devenir les 64 hexagrammes totalisant toutes les situations sociétales – mais à résonnance initiatique – pouvant se présenter à un individu. C’est ce que l’on nomme le Yi-King, Le Livre des Transformations. Intégrer ces situations en appliquant les conseils prodigués par ce traité de sagesse conduit à devenir, je cite, l’ « Homme véritable », c’est-à-dire l’Homme de vérité. La pratique des vertus qui en résultent – l’individu qui se distancie de son égo (le « moi-je » détestable et cause de tous les drames personnels et collectifs) – conduit cet « Homme véritable » à devenir l’ « Homme transcendant ». On passe de la sagesse de Confucius, première étape, à celle de Lao-Tseu, le maître du taoïsme.
Les 64 hexagrammes sont à la fois disposés en carré, figure évocatrice de la terre, et en cercle, ce qui renvoient à la circularité du ciel. Deux figures simples, le carré et le cercle résument le fondement de toute une civilisation.
4- L’octogone – et là intervient une « géométrie sacrée » – comporte 8 angles intérieurs de 135° chacun. Faites le total et vous obtenez 1080°, un nombre qui est à rapprocher du 108 que l’Inde associe au Dharma, l’ordre du monde. Dans un texte sacré, il est question des « 108 portes lumineuses du Dharma ».
Donc, une seule figure tirée d’un mythe suffit à expliciter un modèle de civilisation et les comportements que nécessite l’équilibre d’une collectivité.
À partir de cette figure, le monde et la société répondent à un modèle qui est une référence permanente. On n’est plus dans l’incertain, le flou, l’hésitation, l’improvisation.
Cette figure octogonale est l’image parfaite d’un ordre que l’on sait immuable car il traduit ce qui est constitutif de l’univers et de chaque être.
Rêvons un peu et imaginons un conseil des ministres qui commenterait le Yi-King…
Le message qu’exprime la tortue de Fo-Hi est l’antithèse de ce que l’on voit quotidiennement en ouvrant la télévision. Mais il prouve aussi qu’un symbolisme identique se retrouve dans d’autres civilisations avec la même signification. L’octogone marque le Centre du monde, les 8 directions de l’espace, comme la « rose des vents ». Du reste, dans l’antiquité grecque, à Athènes, un monument octogonal fut érigé : la Tour des Vents(3).
Mais, plus important encore, le fait que la couronne de Charlemagne et des empereurs du Saint-Empire Romain-Germanique soit octogonale :
Celui qui la portait se trouvait symboliquement in medio mundi et tout au Nord(4).
Enfin, il y a dans les Pouilles, en Italie du sud, à Castel del Monte(5), un incroyable édifice octogonal, construit à la demande de l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen. Les dernières études concernant ce lieu révèlent qu’il s’agit d’une sorte de temple aménagé de façon à recevoir les rayons solsticiaux. Par ses vastes connaissances, Frédéric II fut surnommé « la stupeur du monde » ou encore « le prodigieux transformateur des choses ». À sa mort, on a dit que « le soleil du monde s’était éteint ».
Chacune des tours du Castel del Monte est elle-même octogonale. Ce qui donne 8 fois 8 côtés = 64, cube de 4, le même nombre que les hexagrammes du Yi-King et les cases de l’échiquier.
Rappelons que Frédéric II dirigea la seule croisade pacifique, ce qui laisse entendre qu’il entretenait des liens avec certaines organisations initiatiques du Proche Orient, des groupements soufis (de l’arabe safa, « clarté, limpidité », « pureté du cristal ») trop savants pour être instrumentalisés par un fanatisme religieux(6). N’oublions pas que la « mosquée » (qui, en fait, n’en est pas une puisqu’il n’y a pas de minaret) du « Dôme doré » à Jérusalem est octogonale (et fut victime d’un début d’incendie le même soir que N‑D. de Paris… Curieuse coïncidence).
Comme on le constate ce symbolisme est quasiment planétaire et manifeste l’existence d’une connaissance commune qui pourrait rapprocher les peuples tout en sauvegardant leurs spécificités ethnoculturelles.
N’en déplaise à certains thuriféraires de la mondialisation, l’universalité du symbolisme conduit à sauvegarder les identités. Non, monsieur Mélenchon, l’avenir n’est pas dans la « créolisation » des peuples(7) mais bien dans leurs racines originelles. Là se trouve sans doute l’une des possibles voies libérant des impasses idéologiques enfermant le présent monde dans une fatalité autodestructrice. Formulons le vœu qu’un jour la Chine retrouve son âme authentique et replace l’emblème reçu par Fo-Hi sur son drapeau rouge(8).
Walther
(1) Personnage extraordinaire, d’une immense culture, sanscritisant distingué et conférencier exceptionnel qui a marqué les « chercheurs de vérité » de ma génération.
(2) Mais aussi des Hébreux car, comme on le lit dans l’Ancien Testament, au Psaume 48, la symbolique montagne de Sion se trouve là où le vent du Nord prend naissance.
(3) Œuvre du Macédonien Andronicos et datant du premier siècle avant notre ère.
(4) Des auteurs tels que julius Evola et René Guénon nous rappellent qu’en symbolisme le centre et le nord se confondent. Le véritable centre du monde est le Pôle.
(5) À soixante kilomètres à l’ouest de Bari.
(6) Il convient ici de rappeler qu’en Libye, en Syrie et au Pakistan les organisations soufis ont été une cible privilégiée de Daech.
(7) Formule utilisée par Mélenchon lui-même, le 29 Septembre 2020, à l’occasion d’un discours sur la République.
(8) Ce qui est partiellement — car seuls quatre des huit trigrammes figurent sur son étendard — le cas pour la Corée du Sud.
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