Festival international des Motards du Mali : avec ou sans la communauté internationale, la vie continue

par | 19 décembre 2023 | 1 com­men­taire

Ces 25 et 26 novembre s’est tenue la sixième édi­tion annuelle du « Festival des Motards du Mali »(1) (FMM).

Dans un contexte de guerre civile et de menace ter­ro­riste, l’événement peut paraitre sur­réa­liste pour un obser­va­teur éloi­gné, abreu­vé de nou­velles mani­chéennes et tra­giques triées et mar­te­lées par des médias contrô­lés. Le lec­teur est invi­té à un effort d’ouverture d’esprit pour ne pas trans­po­ser des consi­dé­ra­tions sociales et envi­ron­ne­men­tales qui, sou­vent tein­tées de tiers-mon­disme dépas­sé et de pater­na­lisme dépla­cé, sont ici hors sujet.

Ce fes­ti­val a été l’occasion, une fois de plus, de démon­trer que les peuples d’Afrique de l’ouest et du Sahel, de la Mauritanie au Nigeria, s’intègrent natu­rel­le­ment, digne­ment et paci­fi­que­ment par la base des com­mu­nau­tés humaines – socié­té civile et sec­teur pri­vé. Plus concrè­te­ment, soli­de­ment et dura­ble­ment(2) que par le som­met poli­tique chan­geant, le jeu diplo­ma­tique mou­vant et le sec­teur public défi­cient, mis en scène par leur canal média­tique conciliant.

L’occasion aus­si de véri­fier que « la vie conti­nue » même en situa­tion d’isolement impo­sé par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, avec ou sans elle, dix-huit mois après le retrait du Mali du G5 Sahel(3) sui­vi il y a quinze mois par le départ des troupes fran­çaises de la Force Barkhane(4), puis de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA), en cours d’achèvement(5). Pour le meilleur et pour le pire, mais en auto­no­mie, avec les res­sources locales de com­mu­nau­tés autoch­tones liées par une même langue mater­nelle, le bam­ba­ra, ciment d’unité natio­nale dans la diver­si­té, et reliées aux mêmes eth­nies d’outre-frontière.

Comme nous en avions déjà témoi­gné ici(6), ce phé­no­mène socié­tal et apo­li­tique récent de « trans­hu­mance méca­nique » de motards de tous milieux socio-cultu­rels et reli­gieux vers les capi­tales afri­caines, s’étend à l’échelle conti­nen­tale. Favorisé par le « tam-tam » moderne des réseaux numé­riques, il est un vec­teur dyna­mique et paci­fique de cohé­sion sociale où cha­cun exprime fiè­re­ment son iden­ti­té cultu­relle tout en res­pec­tant celle des autres, en par­ti­cu­lier celle des hôtes. Lors de ren­contres cha­leu­reuses et sin­cères, le par­tage d’actions sociales et de moments fes­tifs tisse des liens pro­fonds et solides entre motards et avec les popu­la­tions locales, atti­rées par ce spec­tacle bigar­ré et vrombissant.

C’est ain­si que nous sommes des cen­taines à avoir conver­gé par la route vers Bamako depuis toute l’Afrique de l’ouest. Contre « vents et marées » poli­tiques et sécu­ri­taires, alors que des affron­te­ments armés opposent des forces irré­den­tistes gou­ver­ne­men­tales, sépa­ra­tistes toua­regs et isla­mistes conqué­rantes. Un véri­table acte de foi et non de défi, d’optimisme sans angé­lisme pour par­ta­ger la joie simple et com­mu­ni­ca­tive de se retrou­ver, d’échanger les nou­velles et de célé­brer les valeurs saines de « l’esprit motard » fait de soli­da­ri­té et de fra­ter­ni­té, de mai­trise de soi et de res­pect d’autrui. Un esprit de com­mu­nion fra­ter­nelle a ain­si réuni des mil­liers de per­sonnes de bonne volon­té, dont trois cas­ca­deurs fran­çais invi­tés, venus enflam­mer l’ambiance par des figures époustouflantes.

Car, ici comme dans d’autres pays de la région éga­le­ment en phase d’émancipation sou­ve­raine et de tran­si­tion poli­tique (Burkina Faso, Niger, Gabon), la popu­la­tion et le gou­ver­ne­ment dis­tinguent net­te­ment la per­sonne du pré­sident Macron dont ils rejettent l’arrogance et la suf­fi­sance et méprisent son aban­don des valeurs pro­fondes de la France au pro­fit d’un mon­dia­lo-pro­gres­sisme hos­tile aux cultures locales ; de l’État fran­çais, qui mène sous sa hou­lette une poli­tique afri­caine inco­hé­rente, repen­tante et per­dante ; enfin, des res­sor­tis­sants fran­çais tou­jours bien­ve­nus tant qu’ils res­pectent les us-et-cou­tumes locaux et contri­buent à la vie locale. La sagesse popu­laire sait dis­tin­guer qui fait par­tie de ses pro­blèmes, qui de leur solution.

Comme d’autres aspects mécon­nus ou négli­gés de la vie quo­ti­dienne locale qui en consti­tuent pour­tant la réa­li­té, le « phé­no­mène motard » est igno­ré par les médias publics ou sub­ven­tion­nés, car il brouille la grille de lec­ture sim­pliste habi­tuelle qui condamne à l’isolement, aux sanc­tions et au marasme socio-éco­no­mique pro­pice au ter­ro­risme, les pays afri­cains réti­cents à la sou­mis­sion à la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale : chan­tage finan­cier condi­tion­né à l’alignement docile à la poli­tique étran­gère (par le vote aux Nations Unies) et à un modèle wokiste de socié­té dic­tés par les États-Unis, mora­toire et annu­la­tion des dettes, accès faci­li­té à l’argent inter­na­tio­nal, etc.

En Afrique, le mou­ve­ment popu­laire d’adhésion volon­taire sans adhé­rence for­cée à ces Printemps afri­cains, se dis­tingue de celui, par adhé­rence volon­taire sans adhé­sion spon­ta­née, des popu­la­tions euro­péennes rési­gnées à la prise de contrôle public de leur vie pri­vée sous la pres­sion de menaces chi­mé­riques. Par le contrôle social de régimes tota­li­taires d’un nou­veau genre.

Pendant ce temps, la « Zone de libre-échange conti­nen­tale afri­caine » (ZLECAF)(7) votée par l’Union afri­caine (UA) en 2012, célé­brée par une com­mu­nau­té inter­na­tio­nale com­plai­sante comme une avan­cée majeure, reste lettre morte. Sacrifié aux égoïsmes natio­naux et à la cupi­di­té d’acteurs locaux, ce grand pro­jet trans­fron­ta­lier est sus­pen­du à l’enfer bureau­cra­tique et à la cor­rup­tion publique que subissent les popu­la­tions et toutes per­sonnes vivant au régime com­mun, sans passe-droit.

Tout cela était résu­mé par un motard malien una­ni­me­ment appré­cié, entre­pre­neur en bâti­ment, décé­dé récem­ment. Koro Dia – Paix à son âme -, répé­tait avec bon sens et convic­tion que, comme toute fon­da­tion, l’intégration (qui ne signi­fie pas, ici, dis­so­lu­tion) se construit par la base, non par le som­met. Une parole sage qui pour­rait être rap­pe­lée aux peuples euro­péens sou­mis aux dik­tats d’une tech­no­struc­ture euro­péenne hos­tile aux nations.

Respect et cou­rage aux popu­la­tions, et longue vie aux motards afri­cains, cham­pions de l’intégration trans­fron­ta­lière pacifique !

Jean-Michel Lavoizard


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Aris - Jean-Michel LavoizardJean-Michel Lavoizard est le diri­geant-fon­da­teur de la socié­té ARIS – Advanced Research & Intelligence Services.
Jean-Michel Lavoizard publie éga­le­ment sur Boulevard Voltaire.

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Jean-Michel Lavoizard

1 commentaire

  1. Bravo et mer­ci, moi qui suis blanc, amou­reux de l’Afrique Noire dans laquelle j’ai tra­vaillé (dans 15 États de l’Afrique occi­den­tale, équa­to­riale et cen­trale) et habi­té (2 ans en Côte d’Ivoire), je recon­nais là le vrai mes­sage afri­cain. Cela me rap­pelle votre atti­tude face au Covid auquel vous avez su résis­ter sans l’aide de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, mais grâce à votre Bon Sens légen­daire. J’ai une seule ques­tion : com­ment expli­­quez-vous que les Africains qui arrivent chez nous en nombre n’aient pas votre belle phi­lo­so­phie de vie ?

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