Demi-finale de la Coupe du Monde de football : la défaite du Maroc n’est pas celle de l’Afrique, ni la victoire du Nord contre le Sud
Au lendemain d’une demi-finale attendue de la Coupe du Monde de football, la défaite (par 2 buts à 0) de l’équipe du Maroc n’est pas plus celle de l’Afrique que la victoire des « pays du Nord », d’Europe, sur les « pays du Sud ».
On ne s’étendra pas ici sur les allégations soutenues de corruption dans le processus d’organisation des championnats internationaux de football, y compris de cette Coupe du Monde exotique et controversée au Qatar, que renforcent les scandales actuels de conflits d’intérêts, de trafic d’influence et d’enrichissement illicite au sein de l’Union européenne. La série Netflix bien documentée « FIFA : Ballon rond et corruption », éclairante sur le règne croissant de l’argent sans odeur dans le milieu du football professionnel depuis cinquante ans, suffit à dégouter tout public exigeant sur les valeurs supposées saines du sport.
Autre tendance, depuis l’Afrique on entend avec lassitude les nombreux et bruyants commentaires média politisés et idéologisés en provenance de la France sur cette Coupe du Monde.
Les « décoloniaux » français, Français de souche renégats ou d’adoption ingrats, voudraient imposer dans ce feuilleton mondialisé, le scenario d’une revanche imaginaire. La vengeance fantasmée des pays du Sud (noirs et métissés) où ils ne vivent pas, contre ceux du Nord (Blancs) où ils ne s’intègrent pas ; des opprimés qu’ils n’ont jamais été, contre d’anciens dirigeants dont ils ne retiennent que les excès ; des victimes d’un passé qu’ils invoquent indument, contre leurs exploiteurs dont ils convoquent injustement les descendants au tribunal mémoriel. Les Français éclairés d’aujourd’hui intenteraient-ils un procès contre l’Italie, au titre de dommages infligés par l’Empire romain dont les bienfaits de la colonisation ont largement contribué au développement ?
Cette tentative idéologique de récupération et de manipulation s’appuie sur une vision simpliste, anhistorique et décontextualisée.
En effet, cette vision assimile le Maroc, pays du Maghreb, à l’Afrique. Or, le continent africain se définit avant tout par sa diversité politique, ethnique et culturelle. Le projet de pan-africanisme reste plombé par des ambitions rivales, nationales et claniques. Le roi Mohammed VI a fait sienne cette phrase de son père, Hassan II. « Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe. »(1). Or, depuis le ralentissement de la croissance économique en Europe, le Maroc mène une campagne très active de diplomatie politique et d’investissement économique sur le continent africain, pour rejoindre la CEDEAO (Communauté Économique des Pays d’Afrique de l’Ouest), tout en maintenant des liens particuliers avec les pays du pourtour méditerranéen et une relation spéciale avec les États-Unis (le Maroc est le premier pays à avoir reconnu les États-Unis)(2). Cette ambition dominante d’un puissant pays arabo-musulman, souvent admiré et respecté en Afrique, suscite toutefois une certaine crainte de domination auprès des populations d’Afrique noire, occidentale et centrale.
Lors de cette demi-finale, tandis que l’équipe du Maroc (composée exclusivement de Marocains de souche) était unanimement soutenue par les pays musulmans d’Afrique, du Golfe et d’ailleurs, de nombreux Africains d’Afrique noire soutenaient ouvertement l’équipe de France, pour la raison politique évoquée et du fait de sa composition ethnique très métissée, dans laquelle ils se reconnaissaient.
Dans « La haine de l’Occident », essai publié en 2008, Jean Ziegler, ancien député socialiste de Genève et rapporteur spécial des Nations Unies pour le Droit à l’alimentation, confondait les termes « Occident, Nord, Blancs » pour cibler et justifier la « méfiance viscérale » des pays de l’hémisphère sud face à leur arrogance et à leur aveuglement, et « l’exigence de réparations » de leurs « crimes historiques ». Soixante ans après les indépendances, cette rhétorique persistante et dépassée entre Nord et Sud exonère toute responsabilité des dirigeants et des peuples africains dans leur sous-développement chronique. On retiendra et soutiendra plutôt cet appel final et salutaire de Jean Ziegler : « C’est dans leurs cultures autochtones, leurs identités collectives, leurs traditions ancestrales, que les peuples du Sud puiseront le courage d’être libres. »
En attendant, on espère voir avant tout du sport de qualité dans la finale prochaine d’une Coupe du Monde décidément très politisée.
Jean-Michel Lavoizard
(1) https://www.lesechos.fr/2010/07/comment-le-maroc-veut-seduire-ses-freres-africains-1086721
(2) Le Maroc (Empire chérifien) a été le premier au niveau international à reconnaître l’indépendance des États-Unis le 20 décembre 1777, ce qui s’est traduit des années plus tard, en 1787, par un traité d’amitié, toujours en vigueur aujourd’hui.
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